Marseille, Opéra municipal saison 2024/2025
“MADAMA BUTTERFLY”
Opéra en 3 actes, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Production Opéra national de Lorraine
Musique GIACOMO PUCCINI
Cio-Cio San ALEXANDRA MARCELLIER
Suzuki EUGENIE JONEAU
Kate Pinkerton AMANDINE AMMIRATI
Pinkerton THOMAS BETTINGER
Sharpless MARC SCOFFONI
Goro PHILIPPE DO
Le Bonze JEAN-MARIE DELPAS
Le Prince Yamadori MARC LARCHER
Le Comissaire impérial FREDERIC CORNILLE
Yokuside NORBERT DOL
L’Officier du registre PASCAL CANITROT
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef de Chœur Florent Mayet
Mise en scène Emmanuelle Bastet
Scénographie Tim Northam
Costumes Amélie Loisy
Lumières Bernd Purkrabek
Marseille, le 14 novembre 2024
Immense succès le 14 novembre en ce soir de première pour l’œuvre de Giacomo Puccini “Madama Butterfly” créée à la Scala le 17 février 1904. Une cabale, qui blesse profondément le compositeur, tourne en ridicule cette première représentation. Immédiatement Puccini arrête les représentations à Milan, reprend l’ouvrage, coupe, modifie et le présente à Brescia pour une deuxième présentation. C’est un triomphe ! Le compositeur ne pardonnera jamais cet affront à Milan et refusera que son opéra soit programmé à la Scala de son vivant. Le succès ne se démentira jamais et “Madama Butterfly”, tout en nuances et sensibilité, sans doute l’opéra le plus dramatique, restera l’un des opéras favoris du public. Emmanuelle Bastet signe la mise en scène. Une mise en scène épurée, minimaliste, basée sur la pureté et l’attente selon la metteur en scène. Pureté et sincérité des sentiments d’une Cio-Cio San de quinze ans qui ne veut pas croire à l’abandon de Pinkerton. Si la scénographie de Tim Northam manque de poésie et d’imagination c’est dans l’interprétation de la jeune geisha que l’on trouvera le dramatique et les émotions qui toucheront le public. De simples panneaux de bois ajourés et mobiles cloisonnent l’habitation qui se tient en contrebas d’une petite colline faite de lattes de bois coupée par un large escalier, un petit point d’eau et un coffre pour tout mobilier. L’on peut se demander pourquoi tout ce bois clair qui, avec les lumières blanches, est loin d’évoquer le Japon. Les costumes imaginés par Véronique Seymat misent sur la pauvreté de Cio-Cio San et de sa famille avec des kimonos aux teintes passées et des obis très simples. On peut trouver étranges les costumes européens années 1940 portés par Goro et Yamadori avec casquette et chapeau mou d’un parfait style mafieux. Tout à fait traditionnel est l’uniforme blanc du lieutenant de vaisseau américain alors que le Consul porte le haori, cette veste noire qui habille souvent les japonais, plus surprenante est l’arrivée du Bonze barbu et chevelu. Mais ces touches mélangées ne dérangent en rien le dramatique de l’œuvre et l’ambiance surannée qui reste comme en suspension. Lente est l’action simplement animée par un enfant insouciant jouant avec un cerf-volant. Les lumières créées par Bernd Purkrabek n’apportent pas grand-chose, trop blanches sur ce bois clair, atténuées peut-être par quelques teintes dorées et un ciel sombre, étoilé où quelques fleurs sont suspendues pour honorer le retour hypothétique de Pinkerton. Les chanteurs feront le succès avec une Alexandra Marcellier habitée et présente tout au long de l’ouvrage. Sa longue fréquentation du rôle lui permet de chanter et de vivre ce drame en toute liberté. Crédible dans sa sincérité comme dans sa douleur, ses duos chantés dans une voix profonde et homogène apporteraient même un certain charme à un Pinkerton que l’on sent peu concerné par les sentiments de Cio-Cio San. Peu soutenue par une direction d’acteurs assez inexistante, c’est à elle seule que l’on doit l’émotion contenue dans l’air le plus fameux “Un bel di, vedremo”. Passant de la joie au désespoir dans une voix prenante, la scène avec son enfant est un moment où l’on retient ses larmes, ainsi qu’au moment du seppuku, alors qu’elle lève le wakizashi ayant servi à son père pour se donner la mort avec dignité. Une superbe Butterfly dont la voix au timbre profond et les aigus amples et assurés lui vaudront de longs, très longs applaudissements. Le rôle de Suzuki sans être prédominant est d’une grande importance ; comme Sharpless elle connait l’issue du drame et essaie de sa voix grave de protéger Cio-Cio San et de lui faire entendre raison. C’est au troisième acte que l’on peut apprécier la profondeur de sa voix et son investissement scénique et affectif pour des moments de grande émotion. Thomas Bettinger défend avec vaillance le rôle de Pinkerton, plus inconséquent et désinvolte que franchement antipathique. Bien dans son jeu et peu crédible dans les sentiments exprimés il offre une belle performance vocale aux aigus tenus et solides projetés avec vigueur. Le timbre rond de la voix se marie avec celui de Butterfly dans de jolis duos aux nuances mélodieuses. Le Sharpless de Marc Scoffoni est à retenir. Une voix profonde au timbre chaleureux à l’image de son humanité qui transparait dans chaque phrase. Un rôle qui lui va bien vocalement et scéniquement dans une voix homogène aux inflexions parfois douloureuses qui épousent avec musicalité celles de Butterfly. Philippe Dot est un Goro insidieux à souhait dans des phrases toujours en place. Chaque second rôle est bien tenu procurant une grande cohérence au plateau. Bien préparé par Florent Mayet, malgré le nombre restreint du cadre du Chœur l’on remarque la bonne tenue et l’homogénéité des voix de femmes au premier acte ainsi que la douceur du chœur de coulisses bouches fermées. La musique est vraiment à l’honneur dans cet ouvrage. Paolo Arrivabeni était à la baguette. Passée la première surprise d’une Introduction très rapide et la grande puissance obligeant les chanteurs à forcer sur leur voix au premier acte, l’on retrouve, dès l’acte II, la musicalité toujours présente dans la direction du maestro. Avec un Intermezzo aux nuances colorées laissant ressortir le dramatique de l’ouvrage ou quelques notes d’espoir jouées par le violon solo dans un tempo allant et une belle homogénéité des cordes. A l’écoute de la chanteuse la clarinette s’entend douloureusement avec le son vibrant des cors et les coups sans agressivité des timbales marquant la fin d’une destinée tragique. Ph.C.Dresse