Auditorium Palais des Congrès du Parc Chanot, Marseille, saison 2024
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Piano Olivier Lechardeur, Vladik Polionov, Nicolas Stavy
Serge Prokofiev: Concerto pour la main gauche No4; Sergeï Bortkiewicz: Concerto pour la main gauche No2; Erich Wolfgang Korngold: Concerto pour la main gauche op.17
Marseille, le 13 octobre 2024
Comme chaque année le festival Musiques Interdites nous propose des concerts de musiques écrites par des compositeurs “interdits” sous le régime nazi de l’entre-deux guerres. Interdits parce que juifs. Certains compositeurs contemporains de cette époque mettront du temps à retrouver le chemin des salles de concerts, d’autres tomberont définitivement dans l’oubli. En cet après-midi du 13 octobre, un concert assez original nous était proposé : 3 concertos écrits pour la main gauche, commandes du pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui avait perdu son bras droit sur le front russe en 1917. D’autres compositeurs, et non des moindres, tels Maurice Ravel, Benjamin Britten ou encore Richard Strauss, répondront à ses demandes mais c’est avec Sergueï Prokofiev, Sergueï Bortkiewicz et Erich Wolfgang Korngold, tous trois faisant partie de ces compositeurs “interdits”, que nous partagerons ce moment musical avec trois pianistes différents. Olivier Lechardeur commence ce concert avec le concerto de Sergueï Prokofiev composé en 1930, toujours à la demande de Paul Wittgenstein qui n’apprécia pas cette œuvre et ne l’inclura pas dans son répertoire. D’une grande exigence technique avec un étrange final d’une durée d’une minute vingt secondes, le concerto ne sera créé qu’en 1956 à Berlin après la mort du compositeur. Pourtant, l’écriture originale qui entre directement dans le vif du sujet subjugue dès les premiers accords avec une sorte de légèreté qui fait penser au ballet Roméo et Juliette, composé plus tardivement. Avec aisance le pianiste semble se jouer des difficultés techniques s’adaptant aux différentes couleurs et atmosphères qui sont la marque du compositeur ; notes piquées sur le bout des doigts, phrases lyriques ou très marquées dans une sorte de Russie en marches avec ses peines et ses joies. Cette œuvre puissante qui demande un grand investissement physique ne laisse aucun répit au pianiste dont les doigts, dans une agilité au jeu perlé, semblent courir sans vouloir s’arrêter tout en discourant avec l’orchestre. Quelques notes jazzy nous emmènent dans un deuxième mouvement plus nostalgique qui laisse toute latitude au soliste pour exprimer ses émotions. Olivier Lechardeur a trouvé les oppositions de couleurs et les rythmes qui caractérisent le style du compositeur avec élégance et musicalité. Une œuvre superbement interprétée qui mériterait d’être plus souvent jouée. Changement complet d’atmosphère avec le concerto No2 de Sergueï Bortkiewicz. On a souvent écrit que sa musique, et particulièrement ce concerto, empruntait son lyrisme aux romantiques russes et à Rachmaninov en particulier. Mais, peut-on être polonais, avoir étudié à Saint-Pétersbourg et écrire de la musique aux phrases lyriques sans n’être jamais inspiré par certaines musiques ? Le propre de la musique étant de laisser exprimer ses émotions et, pourquoi pas de séduire, alors en ce sens le compositeur réussit. Vladik Polionov défend avec beaucoup de brio ce concerto composé en 1929. Puissance, technique et sensibilité s’accordent avec cette écriture romantique qui s’écoute avec plaisir. Le pianiste répond aux envolées de l’orchestre ou au violoncelle solo et séduit par son interprétation qui reste classique et sobre sans jamais tomber dans un lyrisme exagéré. Technique et musicalité dans un dialogue avec le violon solo ou la clarinette aux sonorités plus dramatiques. Avec beaucoup d’allant l’orchestre et le pianiste se répondent nous entraînant dans des régions musicales connues et évocatrices. Rythmes et répétitions aux accents slaves feront le succès de cette brillante interprétation saluée par de nombreux bravos. Ecriture encore différente avec l’œuvre d’Erich Wolfgang Korngold, créée à Vienne en 1924, dont Paul Wittgenstein s’était réservé les droits jusqu’à sa mort. Ce concerto sous forme de poème symphonique écrit sur une riche structure voulait donner l’illusion, avec sa puissance et ses sauts d’intervalles, d’une pièce jouée par les deux mains. Nicolas Stavy prend le piano à bras le corps pour une introduction puissante avant de dialoguer avec l’orchestre dans des oppositions d’atmosphères et de couleurs. Cette œuvre écrite alors que le compositeur n’a qu’une vingtaine d’années, bien avant qu’il n’émigre en Amérique, laisse déjà entrevoir les envolées cinématographiques qui feront son succès outre-Atlantique. Dans les moments dramatiques aux sons majestueux des cuivres le piano répond avec une grande expressivité s’exprimant avec délicatesse ou avec plus d’autorité accentuant même la force du propos par la puissance de ses doigts. Avec une technique sans faille le pianiste s’autorise des respirations ou des changements de nuances pour répondre au violon solo ou au célesta dans un toucher très délicat. Dans cette orchestration puissante et fouillée, les notes graves sonnent sans dureté laissant la cadence monter graduellement jusqu’au fortissimo pour une fin magistrale dans un Tutti triomphal. Ovation et succès assuré ! Avec une baguette sûre et incisive, Lawrence Foster a dirigé l’orchestre avec brio dans ces œuvres aux écritures différentes, laissant la parole aux solistes tout en les soutenant, prenant la parole à son tour dans des rythme marqués ou de superbes envolées. Une direction sans pathos mais d’une grande précision. Avec intelligence et musicalité le maestro a mis en lumière les particularités de chaque compositeur dans un exercice assez délicat. Un immense bravo à ce grand musicien à la tête de cette magnifique phalange qu’il connaît bien.