Marseille, Opéra Municipal, saison 2024/2025
“NORMA”
Opéra en 3 actes, livret de Felice Romani
Musique de Vincenzo Bellini
Norma KARINE DESHAYES
Adalgisa SALOME JICIA
Clotilda LAURENCE JANOT
Pollione ENEA SCALA
Oroveso PATRICK BOLLEIRE
Flavio MARC LARCHER
Grand cerf VALENTIN FRUITIER
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Michele Spotti
Chef de Chœur Florent Mayer, Clément Lonca
Mise en scène Anne Delbée
Décors Abel Orain, Hernàn Penuela
Costumes Mine Verges
Lumières Vinicio Cheli
Sculpteurs Vincent Liévore, Augustin Frison-Roche
Marseille, le 26 septembre 2024
Pour l’ouverture de la saison 2024/2025, une “Norma” à faire couler les larmes ! Considérée comme le sommet du belcanto, l’œuvre de Bellini connaît un succès jamais démenti séduisant Donizetti et Richard Wagner connu pour n’être pas tendre dans ses critiques. Si le livret nous ramène dans la Gaule alors occupée par les Romains, le drame psychologique, lui, reste actuel. Norma, grande prêtresse du temple druidique, transgresse les règles de chasteté et trahit son père et son peuple par amour pour le chef Romain Pollione. Proche de Médée qui inspira le librettiste, Norma songe à immoler les deux fils qu’elle a eus de lui lorsque celui-ci la délaisse. Peut-on traduire en musique le combat intérieur qui déchire cette femme ? Certes ! La mise en scène est confiée à Anne Delbée qui fait le choix d’un certain dépouillement dans une esthétique sobre mais poétique. Retrouvant les mythes des anciennes civilisations celtes, la metteur en scène évoque le Grand cerf, animal sacré chez les druides dont les rituels se cachent dans les profondes forêts les soirs de pleine lune. Peu de décors, confiés à Abel Orain et Hernàn Penuela qui utilisent une longue passerelle penchée donnant de la hauteur aux chanteurs éclairés à la fin par l’éclat d’une pleine lune rousse. Des voilages laissent bouger les branches d’arbres peintes nous plongeant en pleine forêt alors que plus tard une barque et de grands chevaux blancs en cariatides, sculptés par Vincent Liévore et Augustin Frison-Roche, évoqueront le passage dans l’autre monde. Les lumières conçues par Vinicio Cheli magnifient cette conception avec des teintes bleutés pour la forêt ou des lumières orange nimbées de fumée à l’évocation du bûcher. On peut s’étonner de la venue du Grand cerf déclamant un texte ancien perpétué oralement. Si ce texte n’est pas du meilleur effet avec la musique, l’image du Cerf est très poétique alors qu’il évolue avec grâce dans ce grand manteau blanc aérien créé par Mine Verges qui habille Norma dans une seyante robe noire agrémentée d’une cape somptueuse. Les costumes du Chœur sont assez intemporels, vareuses et pantalons blancs pour les druides, Oroveso étant vêtu d’une longue robe noire alors qu’Adalgisa porte une tunique à l’antique. Une certaine allure pour le costume noir de Pollione qui n’a rien de romain mais qui reste seyant. Une mise en scène qui laisse les chanteurs évoluer avec fluidité dans ce drame souvent intériorisé. Evidemment cet opéra aux nombreuses mélodies est porté par Norma, et c’est un triomphe pour Karine Deshayes qui est ici somptueuse. Une Norma solide, d’une grande sobriété sans effets mal venus. Chaque geste est mesuré comme l’intensité de sa voix. Elle nous propose “Casta Diva”, cette prière à la déesse, dans une voix prégnante sur un solo de flûte mélodieux avec des prises de notes piano aux aigus purs dans une grande musicalité. L’agilité et la légèreté de ses vocalises font oublier sa technique sans faille. Le timbre chaleureux de sa voix se retrouve dans chaque tessiture avec un vibrato qui colore les notes. Exprimant ses doutes, sa voix devient puissante dans la colère ou d’une infinie douceur en pensant à ses enfants. Femme amoureuse, femme jalouse, avec un souffle long, des aigus solides projetés et une justesse parfaite dans les duos, Karine Deshayes a marqué Norma de son empreinte. Enea Scala est ici un superbe Pollione. De l’allure, une grande prestance dans l’évolution mais aussi une voix projetée qui n’enlève rien à la musicalité, la justesse et la solidité des aigus puissants et tenus. De la longue fréquentation des œuvres de Rossini, le ténor a gardé la ductilité de la voix et les changements de registres dans une grande homogénéité de timbre avec un vibrato mesuré qui laisse résonner des graves amples dans un phrasé très musical. Sensible dans son duo avec Adalgisa, il est un Pollione qui marque le rôle vocalement et scéniquement. L’Adalgisa de Salomé Jicia est tout en nuances ; le timbre chaud de sa voix donne une grande profondeur au rôle et le dramatique de son interprétation n’occulte en rien le velouté de cette voix homogène. Dans un phrasé musical les aigus colorés sont projetés sans rudesse et si le duo avec Pollione séduit, ceux chantés avec Norma charment plus encore. Homogénéité des deux voix, sensibilité dans l’expression, justesse impressionnante dans les vocalises et le court a cappella. Imposant l’Oroveso de Patrick Bolleire. Voix ronde et projetée dans la puissance d’un timbre sonore et profond de basse. Dans un rôle très court Marc Larcher est un Flavio investi qui laisse résonner sa voix percutante de ténor. Court aussi mais remarqué le rôle de Clotilda chanté par Laurence Janot dans une belle présence vocale et scénique. Le Chœur de l’Opéra de Marseille, très présent, donne du relief à certaines scènes. Chœur d’hommes aux voix projetées et homogènes, chœur sensible des femmes soutenant le “Casta Diva”, mais impressionnant chœur mixte dans le “Guerra ! Guerra” d’une grande force dans la précision des attaques. Pour sa première Norma Michele Spotti, qui retrouve son orchestre, fait preuve d’une grande maturité musicale trouvant immédiatement les nuances et les tempi maintenus avec énergie tout au long de l’ouvrage. Sa lecture juste et sensible laisse sonner l’orchestre jusque dans les soli tout en soutenant les chanteurs dans une direction élégante et expressive. Ovationné avec ses musiciens, il participe de l’immense succès aux multiples rappels et aux nombreux Brava ! Photo Christian Dresse