Festival lyrique Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2024
“SAMSON”
Opéra perdu de Jean-Philippe Rameau, livret censuré de Voltaire, inspiré de la Bible.
Musique Jean-Philippe Rameau
Samson JARRETT OTT
Dalila JACQUELYN STUCKER
Timna LEA DESANDRE
Achisch NAHUEL DI PIERRO
Elon LAURENCE KILSBY
L’Ange JULIE ROSET
Un convive ANTONIN RONDEPIERRE
La Mère de Samson ANDREA FERREOL
Chœur et Orchestre Pygmalion
Direction musicale et conception musicale Raphaël Pichon
Mise en scène, concept et scénario Claus Guth
Scénographie Etienne Pluss
Costumes Ursula Kudrna
Lumières Bertrand Couderc
Chorégraphie Sommer Ulrickson
Aix-en-Provence, le 6 jullet 2024
En cette soirée du 6 juillet nous ne savions pas trop à quoi nous attendre pour la représentation du “Samson” de Jean-Philippe Rameau. Autant le dire tout de suite, c’était superbe et dans une réalisation sans faute. Une création mondiale dans le parti pris de recréer une partition écrite il y a près de 300 ans et perdue depuis dont le livret écrit par Voltaire avait été censuré deux fois. Le “Samson” auquel nous assistons ce soir n’est donc pas l’œuvre originale mais une reconstitution réussie qui veut rester dans la lignée des opéras de Jean-Philippe Rameau et dans l’esprit de Voltaire, philosophe contestataire et néanmoins humaniste. Raphaël Pichon sélectionne certains passages d’opéras tels que “Les Indes galantes”, “Castor et Pollux” ou “Les Fêtes d’Hébé”, susceptibles d’avoir été réutilisés par Rameau lui-même à partir de la partition de son “Samson”. Claus Guth coordonne, donne une ligne au récit biblique et, par rapport au Samson de Saint-Saëns, déjà anti-héros, nous propose un Samson plus violent, sanguinaire, qui n’arrive pas à réprimer ses pulsions. La vengeance qui l’habite le poussera à mourir avec ses ennemis dans un acte ultime où il se voit en justicier. Claus Guth nous présente un travail intéressant, original et, si nous n’aimons pas les opéras revisités, cette recréation nous a séduits en tous points. Le récit, tiré du Livre des Juges – Samson n’est-il pas le dernier des juges – retrace les éléments marquants de sa vie; il déchire un lion à mains nues, retrouve un essaim d’abeilles dans sa dépouille et l’offre à sa mère, se marie, frappe les Philistins après la noce, met le feu à leurs champs en attachants des torches aux queux de chacals, pour finir prisonnier et aveugle. L’idée de la vengeance ne le quitte pas, jusqu’au moment où, sa force retrouvée, il meurt enseveli avec ses ennemis en détruisant les colonnes qui soutiennent le temple. Dès l’entrée Etienne Pluss pose le décor, une sorte de bel édifice en ruine que quelques ouvriers vont essayer de réparer. Ce récit, c’est la mère de Samson qui nous le livre dans un come-back intelligent : l’apparition de l’Ange qui lui annonce sa grossesse puis le jeune Samson et jusqu’à ses pleurs, agenouillée au milieu des ruines. Les costumes sobres imaginés par Ursula Kudrna jouent sur les couleurs, le blanc pour les Hébreux, le noir pour les Philistins. Les lumières de Bertrand Couderc sont admirablement pensées, dorées avec des rougeoiements qui évoquent l’incendie, plus sombres avec des contrejours ou venues du toit endommagé éclairant certains personnages. Lui, attaché sur un lit taché de sang et posé à la verticale, n’est-ce pas au Christ que l’on pense, ainsi qu’à l’image de la cène alors que, tout de blanc vêtu, il est assis au milieu de cette table entouré de philistins ? Lumières crues et scènes réalistes avec ces arrêts sur images qui font appel à la technique: laser, néons et éclairs spectaculaires. Ce spectacle qui nous remet en mémoire des textes millénaires nous tient en haleine jusqu’à la dernière note. La distribution homogène nous immerge dans ces temps anciens. Jarrett Ott est un Samson plus que crédible; le baryton américain à la prononciation impeccable et au jeu pertinent chante dans une voix forte et ronde aux graves sonores dans un joli vibrato et un phrasé musical. Son combat intérieur se ressent dans le soutien du souffle et les contrastes de nuances qui donnent un relief vocal au personnage. Le solide baryton Nahuel Pierro interprète Achisch dans une voix aussi sombre que son noir costume et une projection sonore pleine d’énergie. Il laisse résonner les graves au vibrato contrôlé dans un jeu efficace et cohérant. Laurence Kilsby est un Elon à la voix claire et projetée. Son timbre de ténor peut monter jusqu’à la stridence dans une colère exacerbée aux rythmes marqués. Lea Desandre laisse ressortir le joli timbre de son mezzo-soprano dans une interprétation musicale du rôle de Timna. Dans un jeu approprié, les ornementations sont chantées avec délicatesse dans la pureté du style baroque qui contrôle le vibrato. L’envoûtante et lascive Dalila de Jacquelyn Stucker subjugue Samson dans une voix de soprano aux aigus clairs et projetés. Sa belle technique lui permet un vibrato contrôlé avec des nuances qui passent d’une voix forte à la tristesse, jusqu’à une plainte murmurée alors qu’elle se suicide. Très beau relief de ce personnage maléfique. On apprécie la voix pure de l’Ange annonciateur de Julie Roset qui perdra une aile dans toute cette violence. Bonne prestation aussi du ténor français Antonin Rondepierre pour un convive remarqué. Très remarquée aussi Andréa Ferréol pour le rôle parlé de la mère dans une voix projetée qui laisse ressortir ses sentiments. Pas d’effet théâtral mais une interprétation sobre et sensible. La chorégraphie conçue par Sommer Ulrickson pertinente, efficace et néanmoins artistique permet aux danseurs d’imager ce récit tout en soutenant la violence du discours. Toujours très présent, le Chœur Pygmalion aux voix homogènes, parfois coryphée antique et ciment inconditionnel de ce récit, nous donne à entendre des voix aux sonorités qui se fondent dans des contrastes de nuances où chœur d’hommes ou de voix mixtes vont de la puissance au murmure dans une belle intensité. L’Orchestre Pygmalion avec Raphaël Pichon à sa tête a su trouver les sonorités baroques de ses instruments tout en les faisant sonner avec plus ou moins de force mais toujours avec musicalité dans ce style particulier où les respirations donnent le rythme mais créent aussi les atmosphères. Photo© Monika Rittershaus