Festival d’Aix-en-Provence 2024: “Madama Butterfly”

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2024
“MADAMA BUTTERFLY”
Tragédie japonaise en 3 actes, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Musique de Giacomo Puccini
Cio-Cio-San  ERMONELA JAHO
B.F. Pinkerton  ADAM SMITH
Susuki  MIHOKO FUJIMURA
Sharpless  LIONEL LHOTE
Goro  CARLO BOSI
Lo zio Bonzo  INHO JEONG
Il principe Yamadori  KRISTOFER LUNDIN
Kate Pinkerton  ALBANE CARRERE
Il commissario imperiale  KRISTJAN JOHANNESSON
Lo zio Yakusidé  ALEXANDER DE JONG
L’ufficiale del registtro  HUGO SANTOS
La madre di Cio-Cio-San  KARINE MOTYKA
La zia  SHARONA APPLEBAUM
La cugina  MARIE-EVE GOUIN
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Direction musicale Daniele Rustioni
Chef de chœur Benedict Kearns
Mise en scène Andrea Breth
Scénographie Raimund Orfeo Voigt
Costumes Ursula Renzenbrink
Lumière Alexander Koppelmann
Dramaturgie Klaus Bertisch
Aix-en-Provence, le 10 juillet 2024
Après “Tosca”, proposé en 2019, Puccini confirme son entrée au répertoire du Festival lyrique d’Aix-en-Provence avec “Madama Butterfly”. En lisant les propos de la metteur en scène Andrea Breth rapportés dans le programme de salle disant combien la beauté, la grâce et la finesse contenues dans cet opéra l’ont intéressée, nous pensons que nous allons peut-être échapper à ces relectures où la laideur prédomine. Et nous avions raison. Dans ce Japon fantasmé, ni Puccini, ni Andrea Breth n’y sont allés, la metteur en scène allemande s’inspire d’anciennes photos, d’estampes, de certains symboles connus et de cette musique qui reflète avec réalisme tous les sentiments des personnages. Rien de clinquant dans la scénographie de  Raimund Orfeo Voigt, l’intérieur dépouillé d’une maison traditionnelle japonaise vu à travers une structure en bois. Des parois coulissantes et des fenêtres faites de papier sans doute, donnent une impression de fragilité et d’intemporalité en écho aux sentiments éprouvés par Cio-Cio-San. Les fauteuils de style occidental qui meublent cet intérieur disparaîtront alors que Pinkerton disparaitra lui-même de la vie de Cio-Cio-San la laissant dans le dénuement. Le jaune un peu fané du paravent joue avec les lumières conçues par Alexander Koppelmann en résonance avec la conception d’Andrea Breth. Eclairages ombres et lumières, douceur et contrejours laissant apparaître un vol de Grues oiseaux sacrés et symbole de fidélité au Japon. Ce pourrait-être un récit présenté dans un livre ancien où les images ont des teintes passées comme celles des kimonos japonais créés par Ursula Renzenbrink qui mise sur un certain réalisme. Kimonos traditionnels pour des personnages aux visages figés sous des masques blancs évoquant le théâtre nô. Andrea Breth respecte les atmosphères de l’ouvrage avec une Cio-Cio-San qui voile ses sentiments dans une culture japonaise assumée, mais dont l’expression est le reflet du bonheur ou de la douleur. Un théâtre dont la lenteur est accentuée par un tapis roulant qui fait se mouvoir les acteurs sans gestes inutiles. Si la froideur de Pinkerton durant la cérémonie du mariage paraît assez naturelle dans ce contexte, l’omniprésence de sa femme Kate regardant dormir Cio-Cio-San tout en berçant son enfant à l’acte III ou en buvant une tasse de thé nous paraît tout à fait mal venue dans cet acte dramatique et hautement tendu. L’enfant étant ici un simple poupon. Heureusement Ermonela Jaho capte toute l’attention. Elle est une Cio-Cio-San merveilleuse d’intensité et de finesse d’expression dans une voix prenante où chaque prise de note, chaque phrase dans des nuances extrêmes est un rêve de musicalité. Elle chante “Un bel di vedremo” étendue sur le sol, position inconfortable pour une chanteuse, dans un dosage de projection et de noblesse du phrasé. La technique s’efface devant la force et la sincérité des sentiments exprimés jusqu’aux larmes dans un “Tutto e finito” à fleur de voix. La soprano albanaise est Cio-Cio-San incontestablement. Quelle beauté, quelle pureté de voix et de style ! Plus en retrait, la Suzuki de la japonaise Mihoko Fujimura. Il faudra attendre l’ultime scène pour apprécier le timbre coloré de son mezzo-soprano et jusqu’à sa plainte “Povera Butterfly” dans un mezza voce intense. Le Pinkerton du ténor britannique Adam Smith rempli toutes les cases pour ce rôle hautement antipathique. Le physique, mais aussi la voix forte et projetée dans un timbre rond aux graves plus doux. Son “adieu” laisse poindre un remords tardif dans la chaleur d’un aigu tenu et des “Cio-Cio-San” pathétiques. Lionel Lhote est un solide Sharpless à la voix de baryton forte mais mélodieuse aussi pour un consul qui, bien qu’humain, reste américain avant tout. Le ténor italien Carlo Bosi est un Goro crédible dans une voix et un jeu insidieux à souhait pour un marieur corrompu. Un peu en retrait le Prince Yamadory nous fait entendre la voix projetée du ténor suédois kristofer Lundin. Voix projetée mais grave et timbrée de la basse sud-coréenne Inho Jeong pour un  Zio Bonzo inquiétant. Dans cette distribution homogène chaque second rôle est à sa place dans un jeu cohérent. On remarque bien sûr le Choeur de l’Opéra de Lyon, bien préparé par son chef Benedict Kearns, assez peu sollicité et qui malgré le peu de visibilité propose des interventions justes dans des voix homogènes aux attaques précises jusqu’au chœur chanté bouches fermées. Si le succès de cette représentation, dans un visuel agréable et judicieux, repose principalement sur la Butterfly d’Ermonela Jaho, il est aussi dû à la direction magistrale de Daniele Rustioni à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Un orchestre qui répond immédiatement à toutes les demandes de son chef pour des nuances, des phrases musicales et des respirations bien amenées. Ne couvrant jamais les voix, le maestro laisse sonner l’orchestre avec des rythmes et des sonorités particulières dans cette écriture parfois légère ou dramatique, donnant la parole aux solistes qui dialoguent souvent avec les voix. Un immense succès !