Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2024
“LA CLEMENZA DI TITO”
Opéra seria en deux actes, livret de Caterino Mazzolà
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Tito PENE PATI
Vitellia KARINE DESHAYES
Sesto MARIANNE CREBASSA
Annio LEA DESANDRE
Servilia EMILY POGORELC
Publio NAUHEL DI PIERO
Orchestre et Chœur Pygmalion
Direction musicale Raphaël Pichon
Mise en espace Romain Gilbert
Lumière Cécile Giovansill Vissiere
Aix-en-Provence, le 21 juillet 2024
Peut-on concevoir le Festival Lyrique d’Aix-en-Provence sans une œuvre de Mozart, compositeur mythique présent avec “Cosi fan tutte” depuis la création de ce festival en 1948 ? C’est chose faite ce soir avec “La Clemenza di Tito” pour une seule représentation et sans mise en scène. Question de budget sans doute. Nous ne regretterons pas les mises en scène, souvent décevantes ou parfois irritantes au plus haut point, d’autant plus que nous est offert ce soir un plateau de rêve accompagné par l’excellent ensemble, Chœur et Orchestre, Pygmalion. Si l’on se réfère à Suétone Tito, assez débauché dans sa jeunesse, deviendra, après la mort de Vespasien son père, un empereur clément – d’où le titre de l’ouvrage – ne disait-il pas: “Diem perdidi” une journée sans bonne action, journée perdue. Tito est ce soir Pene Pati; le choix est judicieux tant le ténor samoan utilise sa voix avec souplesse dans un timbre velouté. Si les forte amènent une plénitude vocale sonore et des aigus projetés dans une homogénéité de voix adaptée au style, les piani sont chantés avec délicatesse dans la noblesse du phrasé. La voix est ample, le vibrato agréable et les vocalises sonnent agiles avec de belles nuances dans un tempo soutenu.
Les doutes l’assaillent-il devant toutes ces trahisons ? Son pardono sensible reflètera avec élégance la clémence de cet empereur. Une prise de rôle très réussie. Prise de rôle aussi pour Karine Deshayes.Habituée au rôle de Sesto, elle est maintenant vitellia, cette femme partagée entre amour et jalousie, dont les sentiments explosent dans des colères sonores tout en conservant la profondeur de voix jusque dans les aigus. La pureté de son style et l’intelligence que l’on retrouve dans chacune de ses interprétations donnent un relief particulier à cette Vitellia qui cède à la passion amoureuse dans des attaques franches, timbrées et l’éclat d’aigus sonores. Somptueuse, altière elle devient sensible dans un phrasé délicat accompagnée par le staccato de la clarinette lors de son repentir. Superbe technique, grande musicalité, et magnifique prise de rôle ! Souvent entendue, toujours applaudie, l’an dernier encore pour la création de George Benjamin Picture a day like this dans ce même festival, Marianne Crebassa sera ovationnée tant ce Sesto la révèle dans un jeu, une voix naturelle et des sentiments d’une grande authenticité. Peut-on rêver un Sesto plus expressif ? La somptuosité du timbre qui garde sa couleur dans chaque tessiture et l’investissement qu’elle met dans l’interprétation du personnage sont sidérants. Son Parto, parto accompagné par la clarinette de basset est un modèle du genre. Les respirations, le style, les nuances qui passent du son le plus doux aux aigus colorés dans un vibrato harmonieux et les vocalises agiles laissent le public confondu par tant d’aisance, de naturel et de musicalité. Peut-on tout dire en peu de mots ? Un seul suffit. Superbe ! Autre mezzo-soprano toujours appréciée pour la pureté de son style et le timbre harmonieux de la voix, Lea Desandre qui passe de Cherubino à Annio avec aisance et bonheur dans ces rôles de travestis. Elle est cet Annio amoureux, sensible et fidèle dans l’authenticité d’une voix homogène qui amène les applaudissements et des bravi fournis. La jeune soprano américaine Emily Porgorelc est une Servilia au timbre clair et projeté dont la délicatesse du phrasé est immédiatement remarquée. Quel joli duo avec Annio, chanté dans une même esthétique musicale ! Autre voix remarquée, celle de la Basse Nahuel Di Pierro déjà applaudi dans le rôle d’Achisch du Samson de Jean-Philippe Rameau il y a peu. Avec une voix de basse sonore et bien placée, le chanteur argentin propose ici un Publio énergique et de grande qualité dans une diction projetée et des graves timbrés. Ce plateau remarquable et très équilibré ne suffirait pas à obtenir un tel succès sans l’ensemble Pygmalion dirigé par son fondateur Raphaël Pichon. Sans baguette mais avec beaucoup d’énergie le maestro prend l’orchestre à bras le corps. Faisant résonner les instruments anciens avec netteté, il donne le souffle et les nuances dans des tempi adaptés, vifs pour la légèreté du staccato des violons ou plus lents dans des gestes amples. Soutenant les chanteurs, le chef d’orchestre n’hésite pas à faire sonner les instruments solistes, les cors, les trompettes, les bassons ou les timbales el le pianoforte, allant jusqu’à faire jouer la clarinette de basset en avant-scène pour cet admirable duo avec Sesto qui allie musicalité et virtuosité. Le Chœur est partie prenante de ce succès avec des voix homogènes et des attaques précises. Pas de mise en scène mais une légère mise en espace conçue par Romain Gilbert qui règle avec soin les évolutions des chanteurs mis en lumière pas les éclairages de Cécile Giovansili Vissière. Une soirée longuement applaudie tant le talent de chacun a été présent tout au long de ce concert. Quand le talent tient lieu de mise en scène. Un immense bravo!
Photo© Vincent Beaume
Photo© Vincent Beaume