Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2024
Mezzo-soprano Elina Garanca
Piano Malcolm Martineau
Lieder et chants: Johannes Brahms, Jazeps Medins, Alfreds Kalnins,
Jazeps Vitols , Richard Strauss, Sergueï Rachmaninov
Aix-en-Provence, le 18 juillet 2024
Après les éclats de la Symphonie fantastique, une soirée dans la douceur, l’élégance et la musicalité d’un récital Elina Garanca. Des poèmes, des chants, des mélodies, des lieder sur des musiques de Brahms, Richard Strauss, Sergueï Rachmaninov et quatre compositeurs lettons, Jazeps Medins, Alfreds Kalnins, Janis Medins, Jazeps Vitols. Le mezzo-soprano suave de la chanteuse lettone et le toucher délicat du pianiste écossais Malcolm Martineau nous ont proposé une soirée de rêve. Rêve éveillé bercé de phrases musicales et de vibrations plus ou moins sonores dans une complicité toute poétique. Dans ce programme de récital, le choix se porte sur 3 compositeurs très différents mais dont le romantisme s’adapte aux poèmes et 4 compositeurs lettons dont les phrases musicales laissent parfois poindre quelques accents de musiques traditionnelles. Le public remplissait la salle et attendait presque silencieusement la venue de la charismatique mezzo-soprano. Le charme opère immédiatement. Superbe robe d’un chic sobre, port altier mais souriante, accompagnée d’un non moins souriant Malcolm Martineau, Elina Garanca nous propose lieder et chants de Johannes Brahms, composés sur des poèmes allemands. On ne présente plus Elina Garanca tant elle est connue et reconnue pour ses interprétations sensibles dans une technique et une musicalité sans failles. Nous en avons la preuve encore ce soir où le public est tenu en haleine sur ces poèmes où la tristesse, la douleur même sont chantées avec retenue. Mais la souffrance n’habite-t-elle pas les poètes, ces grands romantiques mis ici en musique dans des phrases musicales qui demandent une expressivité contrôlée, des respirations suspendues et des attaques sans dureté ? Elina Garanca se prête à toutes les intentions d’un Johannes Brahms qui s’adresse à un enfant ou confie les secrets d’un amour chuchoté. La nostalgie de l’enfance l’habite et cherche le repos dans les souvenirs. Souvenirs d’un amour perdu sous les doigts d’un pianiste attentif qui laisse courir quelques arabesques mais laisse la chanteuse dérouler une ligne de chant expressive dans des graves dramatiques ou plus tendres pour une sorte de prière. Le timbre de sa voix se teinte de tristesse sur les notes perlées d’un piano au rallentando musical. N’y-a-t-il plus d’espoir dans cet éclatant aigu ? L’éternel amour a chassé la nostalgie et la force du pianiste soutient maintenant un aigu coloré. Intensité des sentiments, intensité de la voix dans un vibrato contrôlé. La lune d’argent fait place aux étoiles pour une rêverie lettone. N’entend-on pas résonner les cordes de la Kokle ? Ce récit en forme de berceuse est chanté comme une douce évidence dans un timbre aux résonnances profondes. La tristesse du pianiste laisse sonner les gouttes de pluie dans les respirations de la chanteuse qui rythme les pleurs. Ô douleur! La rêverie romantique s’est éteinte dans un forte dramatique et le nocturne laisse les deux artistes chanter leur tristesse. Les souvenirs sont douloureux dans cette voix profonde, des souvenirs qui reviennent intériorisés dans un timbre prenant. Complainte dans un chant naturel sur une mélodie jouée au piano. Douleur encore dans un forte marqué, douleur même des souvenirs heureux, douleur toujours dans cette voix si expressive. Venant après l’entracte, les poèmes sur une musique de Richard Strauss sont moins douloureux mais tout aussi délicats. On aime la transposition pour voix de mezzo dans l’interprétation d’Elina Garanca pour ces sept chants extraits de cicles de lieder, où les notes sont posées avec délicatesse, accompagnés dans une grande intelligence musicale par le piano qui reprend les sonorités de la voix. Les tempi changent un peu, amour, bonheur fugace commencent le Winternacht avec un pianiste virtuose mais au récit délicat. Après les douces vibrations du Schön sind…dans un vibrato qui tarde à venir, Wie solten…ce récit expressif, expose son amour dans l’éclat des aigus ronds et projetés de la superbe mezzo. Comme pour une berceuse, Malcolm Martineau pose les notes et accompagne un parlando délicat aux aigus maîtrisés pour une fin nostalgique aux notes arpégées. Le charme, les contrastes de nuances, Heimiche Aufforderung laisse entendre un medium coloré sur le contrechant d’un piano qui s’éteint lentement. Befreit est un modèle de douceur. La douleur intérieure est rendue par un grand soutien du souffle dans un joli vibrato qui laisse résonner les graves. Longue tenue sur le souffle soutenue par les vibrations du piano qui s’estompent. Superbe ! L’allemand, le letton ont fait vibrer des accents de sensibilités différentes mais le russe de Rachmaninov sonne avec profondeur dans la chaleur du timbre de la mezzo-soprano pour des sentiments qui s’expriment avec plus de vigueur. Sur un poème de Tolstoï, et après un aigu éclatant, le pianiste se lance dans une sorte de cadence et cette langue, ô combien romantique, laisse exprimer la tendresse dans un “je t’aime” d’une expressivité délicate où la force est contenue. Le poème de Heinrich Heine se prête à une rêverie plus joyeuse alors que sur le poème Autre guitare de Victor Hugo, les aigus sont pris avec une grande douceur. Ne sent-on pas une pointe d’humour ? Les romances de Rachmaninov se terminent avec le glorieux retour du printemps dans des contrastes de nuances et l’éclat de deux artistes inspirés par un poème de Fiodor Tiouttchev. Trois bis ont répondu à l’ovation d’un public plus qu’enthousiaste; Une chanson nostalgique aux légères vocalises de Sergueï Rachmaninov, suivie par la sensuelle Habanera de la Carmen de Georges Bizet et Nana, une chanson nostalgie et tendre de Manuel de Falla aux vocalises andalouses qui sont merveille dans cette voix colorée. A la douceur de ces phrases musicales, s’oppose l’ovation du public. Photo © Vincent Beaume.