Chorégies d’Orange 2024: “Tosca”

Orange, Théâtre Antique, saison 2024
“TOSCA”
Opéra en 3 actes, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Musique de Giacomo Puccini
Floria Tosca  ALEKSANDRA KURZAK
Mario Cavaradossi  ROBERTO ALAGNA
Le Baron Scarpia  BRYN TERFEL
Angelotti  JEAN-VINCENT BLOT
Le Sacristain  MARC BARRARD
Spoletta  CARLOS NATALE
Sciarrone  JEAN-MARIE DELPAS
Un berger  GALIA BAKALOV
Chœurs des Opéras Grand Avignon et des Chorégies d’Orange
Orchestre Philharmonique de Nice
Direction musicale Clelia Cafiero
Coordination des Chœurs Stefano Visconti
Lumières Vincent Cussey
Orange, le 22 juillet 2024
Hommage à Giacomo Puccini pour le centenaire de la mort du compositeur avec “Tosca” pour une seule représentation et sans mise en scène mais avec une distribution qui a rempli le Théâtre Antique jusqu’aux derniers gradins. Après la pluie qui s’était invitée pour le concert donné par la pianiste Katia Buniatishvili, voilà que le mistral était ce soir de la fête. Peu importait semble-t-il, les artistes l’ont affronté avec beaucoup de vaillance et le talent a triomphé dans cette “Tosca” dont on se souviendra longtemps. Roberto Alagna n’était pas tout seul à recueillir les applaudissements, la somptueuse Aleksandra Kurzak et le diabolique Bryn Terfel participaient de ce succès. Ne voulant pas d’une version totalement concertante, les artistes ont imaginé une mise en espace bien venue. Rien pour meubler cet immense plateau, rien que le talent, le jeu et la présence scénique des artistes. C’est une réussite totale et le couple Alagna-Kursak nous a donné une version crédible au-delà de toute espérance. L’amour, la passion, la douleur transparaissent et dans la voix et dans le jeu. Aleksandra Kursak nous offre une interprétation éclatante de Floria Tosca au tempérament de feu dans une voix éblouissante de beauté de timbre, de ligne de chant et de compréhension musicale. Dans une intensité nuancée, elle est cette amoureuse prête à tout pour sauver celui qu’elle aime, dans la violence des sentiments exprimés ou dans les nuances qui traduisent ses doutes. Sans mise en scène, sans accessoires elle investit cette scène avec panache et hardiesse. Le vent, l’immensité des gradins, les milliers de spectateurs ? Rien ne compte que Mario et la passion qu’il lui inspire. Mais au-delà du jeu d’une crédibilité sidérante, il y a la voix. Un soprano rond, chaleureux, dont les couleurs sont conservées dans chaque nuance des pianissimi aux aigus éclatants et projetés. La violence même conserve l’homogénéité de la voix dans un grand souci d’équilibre. Mutine, jalouse, mais d’une grande douceur ; le “Vissi d’arte…” est chanté comme une prière avec des émotions à fleur de lèvres et l’on comprend la frayeur de cette femme pieuse mais déterminée dans ses Muori, muori, prononcés avec vigueur et dans une tension extrême alors qu’elle vient de tuer Scarpia. Amour, joie, douleur, Aleksandra Kursak ne chante pas, elle vit, elle est Tosca de la première note au dernier cri désespéré en passant par un Triomphal ! chanté dans un duo a cappella. Puissance d’expression et frisson garanti ! On retrouve Roberto Alagna comme toujours à son meilleur. La voix a-t-elle perdu un peu de sa brillance ? Elle gagne en profondeur dans ce timbre chaleureux qui amène le succès. Le rôle il le connaît, il l’habite, la scène il l’investit ne laissant pas au hasard le choix des places où il doit chanter piano ou lancer ses aigus solides, tenus et colorés. Cette femme il la connaît aussi, il sait son tempérament de feu, il sait comment l’apaiser dans une voix tendre et prenante O dolci mani… Et puis, on aime ce ténor qui est l’ADN de la musique lyrique française pour l’investissement qu’il met dans chaque rôle, la sincérité de chacune de ses interprétations et plus encore pour la musicalité, la richesse du timbre et la beauté des aigus. Le Lucevan le stelle, introduit par le solo sensible de la clarinette, chanté devant le haut mur antique, est un superbe moment de musique et de sensibilité. Nous dirons comme ses milliers de fans venus l’applaudir ce soir : Bravo Roberto ! Dans un rôle qui lui va bien, Bryn Terfel est un Scarpia dont l’allure imposante impressionne. Voix profonde et projetée, sourire sardonique le baryton-basse gallois, qui fait trembler tutta Roma finira tout de même très mal face à une femme amoureuse et déterminée. Mielleux à souhait, cruel, cynique ou démoniaque il nous livre toute la palette de ses affreux sentiments dans le Te Deum où son Va Tosca laisse résonner aigus et graves. La force et la violence de l’interprétation font écho à la puissance de sa voix et, si quelquefois le vent emporte les fins de phrases, il n’est qu’à le regarder pour trembler avec les romains. Les attaques sont franches, projetées et, s’il est un instant déstabilisé par l’annonce de la Victoire de Bonaparte, il reprend confiance avec des graves profonds et meurt après avoir lancé un Tosca, mia victorieux. Encore une fois, Bryn Terfel aura marqué ce rôle de son empreinte vocale et scénique. Jean-Vincent Blot est un Angelotti crédible dont la voix grave et projetée donne relief et rythme à l’action dans ce rôle assez court. Le manque de mise en scène enlève un peu de piquant à ce sacristain pourtant bien interprété par Marc Barrard qui rythme ses phrases avec précision. Carlos Natale (Spoletta) et Jean-Marie Delpas (Sciarrone) arrivent à donner de l’expression aux personnages et Galia Bakalov, dans l’immensité de ce théâtre à ciel ouvert, fait retentir sa voix claire et juvénile dans le rôle du Berger. Le Chœur, bien préparé par Stefano Visconti rythme ses interventions avec musicalité dans une grande homogénéité de voix. L’Orchestre Philharmonique de Nice, luttant contre le vent dans un ballet de pinces à linge et de partitions qui s’envolent réussit à donner les couleurs, et accompagner avec beaucoup d’intelligence et de musicalité les solistes dans des phrases soutenues tout en laissant ressortir les solos de la clarinette ou du quatuor de violoncelles dans la direction de Clelia Cafiero. Une Tosca qui a enthousiasmé plusieurs milliers de spectateurs et qui restera longtemps dans nos mémoires. Un grand bravo. Photo Gromelle & Plagne