Théâtre Antique, Orange, Chorégies 2024
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Direction musicale Kirill Karabits
Piano Khatia Buniatishvili
Lumières Vincent Cussey
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Concerto pour piano en si bémol mineur, op. 23; Le Lac des cygnes, op. 20 (ballet) – extraits
Orange, le 29 juin 2024
En cette soirée du 29 juin, les Chorégies d’Orange avaient programmé une soirée Tchaïkovski avec la pianiste Khatia Buniatishvili en soliste pour interpréter le concerto n°1 du compositeur russe. Le public était venu nombreux, et parfois de très loin, pour écouter cette artiste charismatique, d’autant plus qu’elle avait dû annuler sa prestation l’an dernier pour raisons de santé. Mais, consternation, ce concert semblait se présenter sous de mauvais auspices, comme d’ailleurs celui programmé pour “Musiques en Fêtes” où la pluie avait gâché la fête. En début de soirée le ciel, menaçant jusque-là, déversait une forte pluie par averses successives. Aucun découragement parmi le public qui sortait parapluies et imperméables décidé à attendre l’annulation officielle. Certains sont partis, la plupart sont restés et les dieux n’ont pas voulu les décevoir. 21h30, le couperet devait tomber lorsque la pluie a cessé. Les gradins mouillés ? Qu’importe. Le public a refermé les parapluies et s’est assis, attendant l’arrivée d’une Khatia Buniatishvili rayonnante, moulée dans une superbe robe noire…et le charme opère instantanément. Kirill Karabits, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, comme au théâtre, ouvre le rideau au son des premiers accords. Ce concerto, célèbre entre tous, avait pourtant connu des débuts difficiles. Tchaïkovski le dédie initialement à son professeur et directeur du conservatoire de Moscou, Nikolaï Rubinstein ; ce dernier déclarera : “cette œuvre donne la nausée”. Le concerto sera donc créé par Hans von Bülow le 13 octobre 1875 et connaîtra le succès que l’on sait. Khatia Buniatishvili nous en donne une version éblouissante et néanmoins personnelle avec des contrastes de nuances et des respirations bien venues sans affectation. Pianiste sincère, elle aime la liberté d’expression et avoue vivre ses émotions en direct. Cela se ressent immédiatement ; le public est sous le charme, scrute le ciel et retient son souffle. Dans un tempo sans lenteur, la pianiste géorgienne nous propose un premier mouvement imagé avec cette sûreté de jeu qui donne une apparence de facilité. La force de ses doigts ne nuit en aucune façon à son toucher délicat, aux phrases musicales et romantiques où les nuances extrêmes donnent des notes comme en suspension. Dans une interprétation toute personnelle, la cadence langoureuse sonne avec délicatesse pour un enchaînement avec souplesse de l’orchestre, au son moelleux des timbales, vers un final sonore. Sans lenteur, les pizzicati des violons ou les solos de la flûte et du violoncelle nous transportent dans les atmosphères nostalgiques du deuxième mouvement où la pianiste, dans des croisements de mains précis, laisse les doigts s’exprimer avec agilité. Belles respirations, rallentando bien amené, contraste de nuances, clarté des trilles au son du cor solo pour ces phrases qui nous emmènent en plein romantisme. Pratiquement enchaîné, le troisième mouvement, dans un tempo allant, laisse les mains de la soliste parcourir le clavier comme en s’amusant se jouant des syncopes et des contre-temps. Vélocité, agilité où le chef laisse, en toute liberté, s’exprimer orchestre et pianiste pour un accelerando furioso sonore et précis. Superbe d’expression et de musicalité dans une technique éblouissante ! A ce public enthousiaste qui a résisté aux averses, Khatia Buniathisvili offre 2 bis, “La javanaise” de Serge Gainsbourg, jazzy et délicate, pour un moment de détente musicale qui séduit un public heureux, puis la Rhapsodie hongroise n°2 de Franz Liszt dans une interprétation originale où les doigts s’amusent pour un feu d’artifice de notes dans une sûreté époustouflante ; force et sonorité sans dureté. Un réel bonheur où les glissandi sonnent avec humour. Immense succès mérité, ovation ! Afin de passer entre les gouttes de pluie, les extraits du “lac des cygnes” sont enchaînés sans entracte. Kirill Karabits reprend l’orchestre qu’il avait dirigé avec intelligence et musicalité dans le concerto et retrouve Tchaïkovski pour ce florilège de numéros rythmés et dansants. Avec des gestes amples et sans emphase il laisse dialoguer harpe et hautbois dans des enchaînements sans rupture. Justesse des attaques d’une valse qui nous fait tournoyer dans des sonorités homogènes. Romantiques et un peu nostalgiques la harpe et le violon solo aux longueurs d’archet expressives. Souplesse, légèreté et pureté, le violon se mêle aux sons moelleux du violoncelle dans un duo intériorisé, cédant la place à plus d’énergie ou de langueur pour des danses folkloriques, airs de Czardas, castagnettes pour une danse espagnole ou beau solo de trompette sur des rythmes de tarentelle napolitaine. Mais le noir génie veille avec des phrases dramatiques et douloureuses. Timbales menaçantes mais trompettes en majeur pour une apothéose avec lueur d’espoir ? Superbe interprétation où les pierres millénaires réverbèrent les sons en majesté, cuivres sonores ou violons délicats dans les lumières changeantes de Vincent Cussey. Pour remercier les dieux de leur clémence, Le chef ukrainien, qui a su trouver les accents de la Russie de Tchaïkovski, bisse un court extrait. Soirée de suspense mais soirée réussie avec des artistes longuement applaudis. Un moment de bonheur musical.