Opéra de Marseille: “Un ballo in maschera”

Marseille, Opéra municipal saison 2023/2024
UN BALLO IN MASCHERA
Opéra en 3 actes, livret de Antonio Somma
Musique Giuseppe Verdi
Amelia CHIARA ISOTTON
Oscar SHEVA TEHOVAL
Ulrica ENKELEJDA SHKOZA
Gustave III ENEA SCALA
Comte Anckarström GEZIM MYSHKETA
Comte Ribbing MAUREL ENDONG
Comte Horn THOMAS DEAR
Cristiano GILEN GOICOECHEA
Le serviteur d’Amelia REMI CHIORBOLI
Le juge NORBERT DOL
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef de Chœur Florent Mayet
Mise en scène Waut Koeken
Chorégraphie Jean-Philippe Guilois
Décors/costumes Luis F. Carvalho
Lumières Nathalie Perrier
Marseille, le 4 juin 2024
Pour clôturer sa saison 2023/2024, l’Opéra de Marseille avait programmé l’opéra de Giuseppe Verdi “Un ballo in maschera” et le public marseillais, toujours amateur de grande voix, était venu nombreux en ce soir de première. Cette coproduction dans la mise en scène de Waut Koeken est une réussite totale et a remporté tous les suffrages. Initialement écrit pour le Théâtre San Carlo de Naples, dans un livret d’Antonio Somma d’après Scribe, le sujet délicat d’un régicide sur scène sera refusé par la censure et ce n’est qu’après de multiples changements que l’opéra sera enfin créé à Rome en 1859 après avoir transporté l’action à Boston. C’est la version originelle qui nous est donnée à voir ici avec l’assassinat du roi Gustave III de Suède. Waut Koeken conçoit sa mise en scène de façon spectaculaire représentant un théâtre dans le théâtre avec une scène tournante qui laisse parfois apparaître les coulisses. Une mise en abyme réussie pour un assassinat en direct lors d’un bal masqué donné à l’Opéra Royal de Stockholm en 1792. En principe nous ne sommes pas fans des mises en scène qui investissent les ouvertures mais ici le côté somptueux des rideaux rouges, qui s’ouvrent sur un roi en pleine introspection nous laissant goûter les mélodies et les thèmes qui composent l’ouvrage, nous plonge au cœur de l’histoire avec les couleurs enveloppantes et les jeux de lumières conçues par Nathalie Perrier. Le rouge, les ors de la royauté, le bleu sombre et froid d’un lieu où se dresse le gibet… La conception de ce petit théâtre tournant permet de changer de décor avec facilité, passant de la scène théâtrale à l’antre de la devineresse. Peu de mobilier mais des effets de lumières qui créent les espaces. Une grande cohérence visuelle qui séduit, dans les décors et costumes signés par Luis F. Carvalho, et qui finit en apothéose avec la prise de vue particulière de l’intérieur du Théâtre San Carlo, où l’opéra aurait dû être créé, avec en fond de scène le plafond peint par Giuseppe Cammarano. Effet spectaculaire réussi pour ce Bal masqué où les choristes évoluent dans des robes magnifiques et colorées. Superbe ! L’on aime, l’on n’aime pas (très rare), l’on est ébloui. Evidemment, au-delà des décors et de la chorégraphie de Jean-Philippe Guilois qui utilise deux couples de danseurs avec talent et à-propos, le succès viendra des voix pour un plateau homogène dans un cast très bien choisi, chanteurs connus ou découvertes. Enea Scala (Gustave III). Toujours très apprécié du public marseillais, le ténor italien habitué des colorature Rossiniennes développe sa voix vers des côtés plus lyriques avec une ligne de chant irréprochable aux accents verdiens. Chanteur investi, Enea Scala séduit dans ses trois airs, passant du sentiment amoureux à plus de légèreté ou de dramatique, changeant les couleurs de sa voix avec un sotto voce mélodieux ou des aigus éclatants et faciles. Rondeur du timbre, soutien du souffle et énergie vocale rendent le personnage convaincant. Une réussite ! L’Amelia de Chiara Isotton, fait  preuve ici d’une grande sensibilité dans une voix ductile et pleine qui allie noblesse et tendresse. Dans un vibrato qui laisse percevoir l’émotion, accompagnée par le son nostalgique du cor anglais à l’acte II, sa voix homogène et suave séduit par son style et ses prises de notes délicates. La sincérité contenue dans sa voix réussira à émouvoir son mari et un public conquis. Le Comte Anckarström, le solide baryton Gezim Myshketa, voix énergique d’une grande puissance. Le timbre est rond avec des aigus affirmés dans une projection efficace malgré une légère raideur effacée par des phrases musicales. Le baryton nous propose un Renato aux émotions contrastées où la jalousie l’emporte dans un superbe trio aux accents de vengeance. La voix profonde et chaleureuse de la mezzo-soprano Enkelejda  Shkoza nous propose une Ulrica d’une grande crédibilité, avec un vibrato qui laisse résonner des harmoniques de contralto très sombres qui séduisent. Les aigus pleins sont projetés dans un air puissant qui appelle les ténèbres. Superbe interprétation !  Espiègle, joyeuse  l’Oscar de Sheva Tehoval fait merveille dans cette production. Vive dans son jeu et dans les rythmes elle anime avec talent ce drame dans une voix fraîche et claire aux aigus cristallins faisant de ses interventions et de son air des moments de plaisir joyeux, de ceux que Verdi aime à parsemer ses drames. La soprano belge est une artiste dont le talent mérite d’être suivi. Maurel Endong et Thomas Dear proposent les rôles des deux conspirateurs dans des voix de basses aux accents sombres et inquiétants. On remarque aussi la voix solide et projetée du Cristiano de Gilen Coicoechea ainsi que celles de Remi Chiorboli et Norbert Dol bien dans leur rôle et dans leur voix. Toujours bien préparé par Florent Mayet, le Chœur participe du succès avec ces ensembles d’hommes aux voix homogènes dans des attaques nettes et des rires sarcastiques. Belle homogénéité aussi dans les interventions mixtes ou féminines, avec puissance et musicalité. Paolo Arrivabeni était à la baguette. Le maestro a su trouver les nuances et les tempi spécifiques à cet ouvrage qui allie mélodies, dramatique et puissance dans un savant dosage. Ne couvrant jamais les voix, les soutenant ou laissant ressortir les instruments solistes, le chef d’orchestre italien a laissé écouter les solos de la harpe, la flûte, la clarinette et le violoncelle, mais aussi de la trompette et du violon solo dans des effets chambristes pour créer des atmosphères ou accompagner les chanteurs. Une direction toute musicale très applaudie qui a su mettre l’orchestre à en valeur. Au final…un immense succès.