Entre deux représentations des “Nozze di Figaro” données à l’Opéra de Marseille, le baryton Jean-Sébastien Bou, que nous avions applaudi au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence en 2022 dans l’opéra de Pascal Dusapin “Viaggio Dante” prend le temps d’un entretien musical pour les lecteurs de GBopera Magazine.
Faisons connaissance et parlez-nous de votre première approche de la musique.
Par chance je n’ai pas dû aller vers la musique car la musique était chez-moi. Je suis issu d’une famille de musiciens et j’ai toujours entendu de la musique. Mon père, directeur du Conservatoire de Champigny-sur-Marne était pianiste et avait eu des professeurs tels que Nadia Boulanger, Jacques Février…dont l’enseignement a marqué plus d’une génération de musiciens. Tout naturellement ma première approche technique d’un instrument a été le piano. Si cette étude ne m’a pas vraiment enthousiasmé, il faut reconnaître que cela m’a beaucoup apporté, solfège et sens de la ligne musicale. Le chant, voilà ce qui m’a tout de suite passionné avec tout d’abord la rencontre avec Mady Mesplé, professeur au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, qui m’a conduit plus tard au CNSM de Paris où j’ai terminé mes études de chant.
Le chant, la scène sont la grande affaire de votre vie, mais quand avez-vous ressenti un déclic ?
Ayant assisté assez jeune à une représentation de “Pelléas et Mélisande”, ce fut pour moi un déclic immédiat. Mais bien entendu, je ne savais pas à cette époque que je serais chanteur. Personnellement, c’est en étant sur scène où je me suis tout de suite senti à l’aise ; “Une éducation manquée” de Chabrier par exemple. Les choses ont suivi leur cours, le plaisir est resté, décuplé même au fil des engagements… “Iphigénie en Tauride” dans le rôle d’Oreste en 1999 à Nantes, “Der Freischütz” dans le rôle d’Ottokar en 1999 à Tours où Yves Ossonce, le directeur du Théâtre, aimait produire de jeunes talents, “Pelléas et Mélisande” en 2002 à l’Opéra-comique pour le centenaire de l’œuvre. La scène me rend heureux pour différentes raisons, le plaisir de chanter bien sûr mais aussi celui d’entrer dans divers personnages, le rôle et son côté psychologique, c’est vraiment passionnant. Les metteurs en scène, qui ont des points de vue différents sur les personnages, changent totalement notre interprétation et notre idée du rôle. J’ai souvent travaillé sous la direction d’Olivier Py ou de Christoph Warlikowski. Entrer dans leur conception m’intéresse vraiment.
Vous aimez la langue française et défendez le répertoire français, mais pas que…
Je suis un amoureux de la langue française, de ses mots, de son rythme mais aussi de la poésie de certaines phrases. Défendre le répertoire français est un plaisir tout d’abord mais c’est aussi lui rendre justice. Un peu boudés durant quelques années les compositeurs français semblent revenir sur le devant de la scène ; il y a de très beaux airs dans les opéras français, ils étaient très attendus et le public les connaissait par cœur. Vous savez, tout est une question de mode. Certains ouvrages n’ont d’ailleurs jamais quitté la scène à l’étranger et les mélodies françaises, témoins d’une époque où la beauté avait un sens premier, sont des moments de délectation et pour l’interprète, et pour l’auditeur. D’ailleurs, avec Sophie Marin-Degor, soprano, et François René Duchâble au piano nous avons enregistré les mélodies de Charles Bordes sur des poèmes de Paul Verlaine. Une pépite ! Mais j’aime aussi les opéras italiens, j’aime Strauss, Tchaïkovski et le rôle d’Eugène Onéguine, Mozart avec le mythique Don Juan… J’aime la musique et les découvertes qu’elle apporte.
Vous abordez le baroque et allez jusqu’au répertoire du XXe siècle (Olivier Messiaen) voire du XXIe avec Pascal Dusapin, Thierry Escaich… Que vous apporte la musique contemporaine ?
C’est exact, je suis d’un naturel curieux et toutes les musiques m’interpellent. L’on peut voir l’évolution de la musique, de l’écriture et des styles. Il y a déjà de grandes différences entre L’Orfeo de Monteverdi et Les Boréades, l’ultime opéra de Jean-Philippe Rameau, alors imaginez aller jusqu’à Olivier Messiaen ou plus proches encore Pascal Dusapin et Thierry Escaich qui composent quelquefois en pensant à ma voix… Ce sont des expériences que l’on ne refuse pas avec des rôles que l’on interprète avec jubilation. Je pense au rôle de Dante “Il viaggio Dante” de Pascal Dusapin créé au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence ou à celui de Claude de l’opéra éponyme de Thierry Eschai créé à l’opéra de Lyon, des rôles forts qui permettent à la musique d’aller au-delà de la simple musicalité et au chanteur de chercher au plus profond de lui-même.
Lorsque vous reprenez un rôle, pensez-vous découvrir de nouveaux aspects du personnage ?
Tout à fait, je ne rentre jamais dans la routine d’un personnage déjà interprété, je trouve toujours quelque chose de nouveau. Par l’angle de vue du metteur en scène qui met l’accent sur un côté ou un autre du personnage, mais aussi par mon évolution personnelle ; la maturité apporte souvent des émotions différentes donc, un jeu différent.
-Changer de partenaires dans les rôles que vous reprenez, est-ce un plus, est-ce porteur ?
Je ne pense pas que cela soit un plus. Il pourrait être dérangeant d’avoir un ou une partenaire qui n’entre pas dans le jeu d’une nouvelle production mais dans mon cas cela ne s’est jamais produit. Porteur ? Pas forcément mais je reconnais que jouer, chanter, avec une personne qui comprend votre jeu et vos intentions est beaucoup plus facile et agréable.
Vous interprétez des personnages si différents, comment les abordez-vous, par le côté psychologique, par la partition ?
La musique est primordiale bien sûr, mais le personnage m’intéresse infiniment. J’étudie tout d’abord le caractère de ce personnage et le côté psychologique dans le contexte de l’ouvrage car le chanteur est aussi un comédien. Il y aura peut-être des accents différents, des respirations autres qui se mettront en place en étudiant la partition. Même dans une œuvre longtemps et souvent jouée il y a une part de création pour le nouvel interprète. C’est un côté passionnant.
Vous avez-dit qu’un metteur en scène doit être dévoué à l’œuvre, mais est-ce toujours le cas ? Dmitri Tcherniakov, Olivier Py, Krysztof Warlikowski…ont souvent une vision différente de l’œuvre à sa création. Est-ce un plus pour vous ?
Il y a des metteurs en scène que je connais bien, je leur fais confiance et, quelques fois, ils m’ont même choisi. J’essaie de comprendre et d’intégrer leur vision de l’œuvre. Je ne pense pas qu’ils détruisent l’ouvrage mais sans doute veulent-ils lui donner une autre dimension tout en offrant au public l’occasion de porter un regard différent sur une œuvre restée longtemps immuable. Je reconnais que cela peut-être parfois déroutant.
Y-a-t-il un rôle que vous affectionnez particulièrement, et comment sortir de certains rôles ? Des rôles impossibles que vous auriez aimé interpréter ?
J’ai beaucoup aimé interpréter le rôle de Pelléas mais maintenant, je vais sûrement aller vers le rôle de Golaud qui correspond plus actuellement à ma voix…et à mon âge. Don Juan fait aussi partie des rôles que j’affectionne mais j’aime aussi interpréter Ford (Falstaff) et j’ai beaucoup de tendresse pour Eugène Onéguine et la musique de Tchaïkovski. J’aimerais interpréter Posa dans l’opéra “Don Carlo” qui a donné l’un des plus beaux duos du répertoire avec Carlo, le ténor. Mais, dans les rôles impossibles je suis très attiré par la Maréchale du “Chevalier à la rose”, un des regrets de ma vie sans doute ! (dit-il avec un sourire). Il est fréquent, entre les répétions et les représentations, de se retrouver dans peau de Don Juan, par exemple, pendant tout un mois et il est bien évident que s’endormir Don Juan et reprendre le costume l’après-midi suivant marque un peu un chanteur…surtout suivant les mises en scène. Le style de la musique imprègne aussi quelques temps et, si l’on doit enchaîner avec un autre rôle totalement différent cela peut-être un peu compliqué pour la voix, mais le comédien doit pouvoir laisser le costume dans la loge lorsqu’il quitte le personnage, quelquefois avec regrets…
Parlez-nous de ce Comte que vous interprétez pour la première fois
Je n’avais encore jamais interprété le Comte des “Noces de Figaro” et je dois dire que travailler avec Vincent Boussard le metteur en scène est un plaisir. Il a une vision cohérente de l’ouvrage, il sait ce qu’il veut obtenir sans vraiment limiter l’acteur. C’est une prise de rôle agréable avec une équipe au top niveau dans une grande unité d’interprétation et de style. Patrizia Ciofi est une Comtesse superbe est c’est avec sincérité que j’implore son pardon à la fin de l’ouvrage.
Merci monsieur Bou pour ce moment partagé et bon succès pour la suite des représentations