Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence, saison 2024
Clarinet trio Anthology
Violoncelle Stephan Koncz
Clarinette Daniel Ottensamer
Piano Christoph Traxler
Ludwig van Beethoven: Trio avec piano n°4 en si bémol majeur op. 11 “Gassenhauer”; Max Bruch: Huit pièces, op. 83 (extraits); Johannes Brahms: Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur.
Aix-en-Provence le 3 avril 2024
Une heure de pure musique en cet après-midi du 3 mars au Théâtre du jeu de Paume d’Aix-en-Provence dans le cadre du Festival de Pâques 2024. Les concerts se suivent, les artistes changent, la qualité et le top niveau restent. Le Clarinet trio Anthologie était au programme avec des œuvres de Ludwig van Beethoven, Max Bruch et Johannes Brahms ; l’assurance d’une heure de plaisir. Stephan Koncz (violoncelle) Daniel Ottensamer (clarinette) et Christoph traxler (piano) se sont connus très jeunes et ont décidé de former ce trio, pas si inhabituel que cela si l’on regarde le nombre de partitions écrites pour cette formation. Tous les trois font partie du Philharmonix, cet ensemble qui inclut des membres des Vienna et Berlin Philharmonics afin d’élargir les frontières musicales. L’arrêt brutal pendant la période covid permet aux trois artistes d’approfondir leurs recherches dans cette formation commencée avec Beethoven et Brahms dont l’emploi de la clarinette est une histoire de rencontres avec l’instrument. Malgré des carrières aux multiples facettes, les trois solistes trouvent le temps de jouer ensemble pour nous offrir ces moments de musiques choisies, dans des interprétations flamboyantes aux couleurs et aux sentiments très différents, laissant apprécier chaque timbre d’instrument en soliste ou ensemble. D’un très haut niveau technique et solistique, et tout en restant dans une interprétation classique, ils nous livrent une vision très moderne de chaque œuvre faisant sonner l’instrument avec maestria ou avec finesse pour certains échanges. Ce trio,”Gassenhauer” (chanson populaire), composé par Beethoven en 1797 et dédié à la comtesse Maria Wilhelmine von Thun, est d’une écriture vive, joyeuse ou sensible dans un style viennois. Dès le premier mouvement le violoncelliste s’affirme dans une aisance d’archet qui laisse sonner les notes sur le jeu perlé du pianiste permettant au clarinettiste de s’exprimer avec grâce dans un tempo vif. Chaque instrument, dans la même esthétique musicale, livre son discours sans vouloir l’imposer mais sans s’effacer non plus. C’est avec un beau vibrato que le violoncelle expose avec sensibilité le thème du deuxième mouvement donnant la parole à la clarinette pour des phrases langoureuses à trois voix dans une grande souplesse de phrasé et d’homogénéité de sons. Joyeux et marcato, le troisième mouvement laisse le piano jouer avec vélocité pour des variations thématiques ou des modulations plus nostalgiques où les timbres se fondent. Délicatesse ou caractère affirmé, chacun s’exprime avec fermeté ou suavité pour finir sur la cadence du piano pleine d’humour. Relief et sensibilité. Max Bruch a 72 ans lorsqu’il compose ces Huit pièces et l’emploi de la clarinette n’est pas ici le fait d’une rencontre fortuite avec l’instrument, son fils est clarinettiste et, peu après d’ailleurs, il écrira le Double concerto pour clarinette, alto et orchestre, trouvant que ces deux instruments ont des sonorités qui s’accordent très bien. Post romantisme ou romantisme vieillissant, ce recueil de 8 pièces, d’une écriture classique, propose des moments d’intensité, de profondeur, d’intimité, de passion même et particulièrement dans cette interprétation où les trois artistes laissent sonner leurs instruments dans des phrases lyriques. 3 pièces nous sont proposées : I Andante, VI Andante con moto nommé “Nachtgesang” (Chant de nuit) et IV Allegro agitato. Le piano débute la première pièce sur un thème nostalgique repris par le violoncelle qui donne la parole à la clarinette dans un son un peu voilé. Cette pièce élégante joue la musicalité avec des phrases au souffle infini. Grave, nostalgique encore le Nachtgesang qui introduit la clarinette sur un Pizzicato de violoncelle et laisse les phrases se répondre dans de belles nuances contrastées. Sorte de souvenirs à trois voix dans des phrasés qui s’enchaînent avec musicalité. L’Allegro agitato est interprété avec force et caractère dans des discours musclés, qui n’altèrent en aucune façon la bonne humeur, mais mettent en évidence la technique de chacun et la vélocité du pianiste pour un accelerando final aux reliefs prononcés. Comme Beethoven, mais près de 100 ans plus tard, Johannes Brahms, dans une période tardive de sa vie mais néanmoins romantique, compose ce trio en quatre mouvements à la suite de sa rencontre avec un clarinettiste. La clarinette, cet instrument d’émission assez facile, qui permet des nuances extrêmes et une grande vélocité a souvent inspiré les compositeurs pour des œuvres en soliste, et cela dès Mozart. Avec beaucoup de présence le compositeur donne la parole à chaque instrument pour des discours passionnés où l’archet du violoncelle répond à la clarinette mais laisse aussi s’installer, dans un Allegro mesuré, une méditation à trois voix. Le court Adagio, dans un calme souverain et les notes du piano posées avec souplesse, est un échange de phrases sentimentales entre le violoncelle et la clarinette aux pianissimi timbrés et au souffle contrôlé. Gracieux, l’Andantino révèle le romantisme d’un Brahms raffiné et plus léger dans un tempo de valse en toute simplicité aux pianissimi murmurés. Toujours élégant mais avec plus de force l’Allegro semble laisser les solistes s’amuser dans une joie évidente avec sforzandi et vélocité. Trois œuvres magistralement interprétées, trois solistes aux tempéraments différents, mais une seule esthétique musicale. Pour un plaisir supplémentaire, Miniature trios, du compositeur russe Paul Juon nous est donné en bis où la délicatesse des sentiments s’expose avec douceur, exaltation ou sensibilité. Un rare moment hors du temps et d’immenses bravos. Photo Caroline Doutre