Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2024
Orchestre Les Siècles
Direction musicale François-Xavier Roth
Contralto Marie-Nicole Lemieux
Ténor Andrew Staples
Jean-Philippe Rameau: “Les Indes galantes” suite d’orchestre; Gustav Mahler: “Das Lied von der Erde” (Le Chant de la Terre)
Aix-en-Provence, le 27 mars 2024
En cette soirée du 27 mars le Festival de Pâques nous présentait un concert au programme un peu déroutant ; deux œuvres au lien peu apparent. Mais n’est-il pas dans l’ADN de ce festival d’associer des musiques, des artistes que l’on n’aurait peut-être pas pensé ou osé programmer dans le même concert ? Jean-Philippe Rameau et Gustav Mahler. Malgré la présentation faite par François-Xavier Roth nous expliquant que le lien entre ces deux ouvrages est l’ailleurs et sa découverte, nous avons préféré goûter chacune de ces œuvres, sans chercher à les relier, pour le simple plaisir de l’écoute tant nous les trouvons différentes. Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, premier Opéra-ballet créé en 1735 et certainement le plus connu, dans un exotisme approximatif, est le symbole d’une France raffinée et insouciante, prétexte à des scénographies grandioses. Cette Suite d’orchestre tirée de l’Opéra-ballet est une suite de danses rondeau, contredanse, menuets, tambourins, une Chaconne même qui clôt la Danse des Sauvages bien connue. François Xavier Roth dirige sans baguette comme le faisait Jean-Philippe Rameau à son époque. Pour donner le tempo et marquer certains temps il utilise un petit tambour qui donne un certain relief. Il nous avertit : jouant sur des instruments d’époque ou copies, ceux-ci sont accordés plus bas (415 hertz). Le son est peut-être moins éclatant mais ce n’est pas vraiment sensible, le son de l’ensemble Les Siècles étant très homogène avec cette notion un peu voilée des instruments d’époque. L’orchestre joue debout et nous laisse apprécier le théorbe et la guitare baroque. C’est avec plaisir que nous sommes transportés dans le XVIIIe siècle, et un baroque de caractère, dans un tempo allant avec une petite harmonie très présente et des violons qui marquent les temps sur l’appui des contrebasses. Les danses s’enchaînent dans des sonorités harmonieuses et des attaques moelleuses. Délicatesse de cette musique qui laisse sonner le tambourin pour une danse provençale aux accents folkloriques tout en laissant ressortir les piccolos avant un furioso de cordes. Ces danses nous projettent dans un univers agréable et nous laissent imaginer le faste des scènes qui se jouaient devant la cour et le roi. La chaconne avec timbales et trompettes éclatantes devient presque religieuse avant un tutti vif et forte dans un grand déploiement d’archets. Une fin flamboyante dont les trompettes semblent annoncer Les Musiques pour les feux d’artifices royaux de Georg Friedrich Haendel. Sans baguette, le maestro a sculpté les sons, fait ressortir les atmosphères et les rythmes dansants pour une première partie de concert colorée et musicale. Un réel plaisir ! Avec Le Chant de la Terre de Gustav Mahler nous changeons d’époque, d’instruments et de diapason, revenus à ceux actuels. Cette œuvre, considérée comme une œuvre testamentaire, le compositeur ne l’aura jamais entendue interprétée. Composée après une horrible période pour lui, il la donne à Bruno Walter tout en émettant quelques doutes. Sur des poèmes chinois anciens, il compose ces six chants comme une symphonie, voulant même intégrer les voix aux instruments de l’orchestre. Avec l’idée de la mort omniprésente, tout ce que Mahler considère comme essentiel est contenu dans ces pages. La jeunesse, la beauté, l’oubli dans l’ivresse ou la fragilité des illusions dans une sorte de sagesse chinoise. Toujours sans baguette et avec les contrebasses en fond de scène François-Xavier Roth laisse ressortir les harmonies spéciales à l’écriture de Mahler dans des solos d’instruments aux sonorités pures (hautbois), plus rondes (cor) sur des soli de cordes homogènes ou des tutti qui résonnent sans couvrir les voix dans un grand respect des nuances, des atmosphères et du texte. Andrew Staples est le ténor dont le registre aigu et tendu est tant sollicité. La chanson à boire est interprétée dans une voix claire et projetée aux attaques franches sans saturer les sons pour plus de sensibilité en évoquant la mort. Dans une pureté de style violons et hautbois déroulent un tapis nostalgique aux belles notes piano d’un contralto au timbre troublant. Avec tristesse et douceur, Marie-Nicole Lemieux évoque ce Solitaire en automne en quête de repos dans des graves peu appuyés portés par le souffle de l’orchestre. Après un appel du cor, La jeunesse est évoquée par le ténor, joyeux, bucolique, dans une tessiture moins tendue, accompagné par un orchestre rythmé avec plus de légèreté. C’est dans une prononciation aux prises de notes délicates que la chanteuse nous parle de la Beauté, une beauté suspendue aux notes du piccolo mais qui s’anime aux sons des cuivres tout en gardant à la voix son velouté et le legato musical. L’Homme ivre au printemps laisse entendre les éclats aigus du ténor qui passe au-dessus de l’orchestre. Plus sombre et mystérieux, scandé par les vibrations du tam-tam, est cet Adieu (Abschied) où règne une étrange tristesse. La flûte dialogue avec la chanteuse et les notes prises dans le souffle pour de longues phrases au vibrato contrôlé. Intelligence du chant et de la musicalité. Ce long Adieu est sans doute une des plus belles pages écrites par Mahler qui finit sur des Ewig…Ewig murmurés, éternellement… Moment hors du temps, sans fausse note, dans un unisson de musicalité où chanteurs et orchestre nous ont enchantés. Photo Caroline Doutre