Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2024
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale Daniele Gatti
Richard Wagner: Le Crépuscule des dieux (extraits symphoniques); Richard Strauss: Ein Heldenleben (Une vie de héros)
Aix-en-Provence, le 5 avril 2024
L’Orchestre de l’Opéra de Paris se produit rarement en concert, en cette soirée du 5 avril, Le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence allait nous procurer le plaisir d’écouter cette superbe phalange dans un éblouissant programme sous la baguette inspirée du maestro Daniele Gatti. Deux Richard, Wagner et Strauss, deux monuments de la musique allemande ; c’est dire si l’orchestre allait pouvoir déployer les couleurs et l’ampleur des sonorités qui le caractérisent. Daniele Gatti aime et connaît bien la musique de Wagner, n’a-t-il pas dirigé Parsifal en 2008 à Bayreuth (ce qui est rare pour un chef italien) ? Il y retournera d’ailleurs en 2025 pour Les Maîtres chanteurs de Nuremberg. Ce soir, et sans chanteurs, les “Extraits symphoniques” Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux) allaient emplir la salle de ces harmonies reconnaissables entre toutes. C’est un réel plaisir de voir diriger le maestro avec une gestuelle précise, mais sans grandiloquence, qui laisse jouer l’orchestre en maintenant les tempi. Tout en dirigeant un peu à l’allemande, les sons arrivant légèrement après les temps, il allie dans les phrases lyriques, legato musical et ligne italienne. Avec les leitmotive wagnériens et le cor solo dans les coulisses pour l’appel de Siegfried, l’on peut suivre le condensé de ce long Crépuscule même sans mise en scène. L’on retrouve aussi l’orchestration fournie de Richard Wagner avec la trompette basse et les tubènes (ces instruments imaginés par le compositeur uniquement pour la Tétralogie). La beauté de cette interprétation vient du relief donné à chaque atmosphère, chaque situation, chaque personnage ; un climat pesant, tendu, mystérieux au son de la clarinette basse ou plus lyrique, avec des arrêts nets qui amènent des attaques précises et des nuances qui viennent en vagues sonores ou qui laissent entendre les notes arpégées des harpes. Peut-on citer tous les instruments de cet orchestre au son immense avec un quatuor aux archets puissants ou délicats, des trompettes éclatantes ou le son étrange du cor anglais ? Chaque sonorité, chaque intention, chaque leitmotiv nous fait vivre cette épopée qui se termine par la mort de Siegfried, près de Brünnhilde retrouvée, et la Marche funèbre sur quelques notes de timbale suspendues pianissimi. Une interprétation superbe avec un orchestre qui a su faire vivre la magie de Wagner sous la baguette d’un maestro impérial. Richard Strauss n’a que 34 ans (âge de tous les défis) lorsqu’il compose Une vie de héros, sorte d’autoportrait disent certains. Le compositeur a-t-il quelques comptes à régler avec quelques Adversaires du Héros, parle-t-il de son couple avec La Compagne du Héros ou veut-il évoquer La Paix du Héros dans un certain mysticisme pour finir par l’Accomplissement et le Retrait du monde du Héros ? Nous nous contenterons d’écouter la musique et de laisser défiler les images, tout en participant à sa Bataille, avec cet énorme orchestre qui ne demande pas moins de 8 cors, 5 trompettes, 2 tubas dont un tuba basse… mais qui, sous la direction de Daniele Gatti sonnera avec puissance mais toujours dans une belle rondeur de sons pour permettre à chaque instrument de livrer son message dans ces harmonies audacieuses qui sont la signature du compositeur. Si le Héros se bat contre ses adversaires, c’est contre les notes qui se frottent, s’enchevêtrent ou se superposent que le compositeur se bat. Combat dont il sortira victorieux ; n’a-t-il pas conquis définitivement l’auditeur qui retrouve avec plaisir dans ce poème symphonique certaines phrases entendues depuis dans d’autres œuvres ? Cette orchestration géniale évoque, durant 45 minutes de musique, la vie du Héros avec ses aspirations, ses nostalgies, ses élans amoureux dans un désordre savamment orchestré. Claude Debussy, pourtant avare de compliments, louera cette “Prodigieuse variété orchestrale dans un mouvement frénétique”. Daniele Gatti nous en livre une version magistrale où l’exaltation de la victoire – avec trompettes en coulisses – laisse, avec des gestes amples, résonner en majeur les cuivres et tous les instruments de l’harmonie, après avoir évoqué, sous les doigts et l’archet du violon solo, La Compagne du Héros avec humour, tendresse, simplicité ou suavité dans des sons moelleux procurés par une belle technique d’archet. Si la Paix du Héros s’installe avec les notes arpégées des harpes, la plainte du cor anglais, avec les violons en souvenirs, nous dit que le Retrait du monde du Héros, malgré le calme, n’est pas si évident. Quelques soubresauts tout de même avant la méditation du violon solo au vibrato nostalgique et contrôlé. L’espoir, l’acceptation, l’Accomplissement viendront des cors aux sons soutenus et une superbe phrase du soliste reprenant la sonorité du violon, pour une conclusion mélodique tel un choral dans le grave. Superbe interprétation par un orchestre dont la palette de couleurs est immense où chaque instrumentiste est un soliste. La direction sans partition laisse à Daniele Gatti une grande liberté de gestes et d’interprétation, donnant chaque départ, chaque intention avec une efficacité qui reste très musicale. Sa compréhension de l’œuvre a permis à l’orchestre de s’exprimer avec souplesse, intelligence et générosité de son dans ces récits contrastés. Grandiose ! De très longs rappels et applaudissements d’un public qui reste sous le charme. Photo Caroline Doutre