Marseille, Opéra Municipal: “Don Quichotte”

Marseille, Opéra municipal, saison 2023/2024
“DON QUICHOTTE”
Opéra en 5 actes, livret de Henri Cain
Musique de Jules Massenet
Coproduction Opéra de Saint-Etienne/Opéra de Tours
Dulcinée HELOÏSE MAS
Pedro LAURENCE JANOT
Garcias MARIE KALININE
Don Quichotte NICOLAS COURJAL
Sancho MARC BARRARD
Rodriguez CAMILLE TRESMONTANT
Juan FREDERIC CORNILLE
Premier serviteur GABRIEL RIXTE
Second serviteur NORBERT DOL
Premier brigand JEAN-MICHEL MUSCAT
Second brigand CEDRIC BRIGNONE
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Gaspard Brécourt
Chef de Chœur Florent Mayet
Mise en scène Louis Désiré
Décors et costumes Diégo Méndez Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Marseille, le 19 mars 2024
Après plus de vingt ans, l’Opéra de Marseille reprend Don Quichotte l’une des dernières œuvres de Jules Massenet dans une coproduction Opéra de Saint-Etienne/Opéra de Tours confiée à Louis Désiré et son équipe. Une équipe réduite mais dont la synergie produit toujours des émotions fortes et diverses dans une ligne visuelle tendue, suspendue à la conduite musicale. Que de chemin parcouru pour cet opéra depuis la première française, à Marseille justement, le 17 décembre 1910 dans un succès jamais démenti. Cette comédie héroïque, commande de l’Opéra de Monte-Carlo, sera créée dans cet Opéra le 24 février 1910. Il ne faut pas rechercher ici le récit exact de Miguel de Cervantès mais plutôt vivre cette épopée par la vision que nous en donne Don Quichotte qui, aux portes de la mort, revoit sa vie mêlant souvenirs, fantasmes et hallucinations. Dans cette mise en scène Louis Désiré fait ressortir la quintessence du personnage, cet être dont la lumière intérieure illumine toutes choses. La mise en scène est millimétrée, rien n’échappe à l’œil du metteur en scène qui, dans un souci du détail mais aussi une exactitude des sentiments nous donne une version onirique, christique et hautement spirituelle. Comme très souvent dans les ouvrages proposés par Louis Désiré tout est sombre, noir même, mais, les éclairages créés par Patrick Méeüs sont là pour donner du relief aux scènes dont on ne s’échappe pas. Dans des couleurs différentes qui vont du doré aux blancs plus blafards, en passant par le rouge qui détermine la taverne, l’on vit les atmosphères et l’action, assez statique, à travers les yeux et le ressenti de Don Quichotte et c’est une sensation assez étrange que de vivres ces aventures à l’aide de ces lumières qui suivent la dramaturgie et les mouvements assez lents alors que nous restons subjugués dans notre fauteuil. Les décors et les costumes sont confiés à Diégo Méndez Casariego. Peu de décors mais le principal pour suivre les errances du Chevalier de la longue figure, suivi par son fidèle Sancho. Un grand lit à baldaquin où il vit, où il mourra et que l’on transporte d’étape en étape. Une estrade ou deux délimitent la taverne ou le balcon où apparaît Dulcinée, mais quelques trouvailles aussi, un grand miroir cabossé telle l’âme cabossée de notre héros et ces hommes, les géants, transformés en moulin par le truchement de sa lance habilement manipulée. Et que dire de la statuette dorée d’un Don Quichotte monté sur Rossinante, que l’on déplace pour un très bel effet. Les costumes sont pensés avec justesse: une longue chemise pour le Chevalier qui revêt aussi une vieille veste militaire aux épaulettes de général ou ceint une couronne aléatoire. Des éléments de vêtements de voyage, un peu fatigués, pour Sancho et deux jolies robes seyantes pour Dulcinée. Gardant le côté sobre et mystérieux, les artistes du chœur portent le même costume noir. Seule fantaisie, les fraises qui ornent le cou des brigands donnent une connotation de puissance et de richesse. Une distribution choisie avec beaucoup de soin avec un Nicolas Courjal au mieux de sa forme pour incarner un Don Quichotte halluciné, amoureux, touché par une grâce étrange, dont la voix de basse se plie aux exigences du personnage et de la musique. S’il laisse éclater quelques aigus, c’est avec délicatesse et tendresse qu’il sculpte la poésie du texte dans sa sérénade à Dulcinée  ou avec plus d’intériorité encore devant les brigands “Seigneur reçois mon âme, elle n’est pas méchante”. Beaucoup d’émotion aussi alors qu’il offre “L’île des rêves” à son fidèle Sancho. Une prise de rôle d’une grande finesse qui révèle un Nicolas Courjal tout en intériorité. Marc Barrard est un Sancho époustouflant de justesse d’interprétation dépouillée, où ne ressortent que les sentiments. Amusant lorsqu’il parle des femmes ou plus emporté contre les moqueurs. Mais quelle émotion lorsqu’il pleure “O mon maître, O mon grand… La voix suit les sentiments avec humanité et tendresse allant jusqu’à des aigus qui gardent la rondeur du timbre. La Dulcinée d’Héloïse Mas sera touchée par tant d’amour tant de bonté, elle la courtisane, lui le chevalier. C’est dans une voix pleine aux longs phrasés qu’elle évoque la jeunesse avec nostalgie “Quand la femme a vingt ans…”ou avec plus de fantaisie “Ne pensons qu’au plaisir d’aimer…” Et, si elle se moque encore, c’est avec simplicité et tristesse qu’elle lui explique son refus. Couleur, rondeur de voix et aigus assurés donnent à cette prise de rôle un bel éclairage. Laurence Janot (Pedro), Marie Kalinine (Garcias), Camille Tresmontant (Rodriguez) et Frédéric Cornille (Juan) forment un quatuor pertinent et homogène vocalement. Il faut aussi noter la justesse des deux rôles parlés: Jean-Michel Muscat (premier brigand) et Cédric Brignone (deuxième brigand). Très bien préparé par Florent Mayet, le Chœur fait montre d’une grande homogénéité des voix, hommes et femmes dans de mêmes costumes et d’un bel investissement pour le chœur des brigands. Gasparg Brécourt dirige l’orchestre avec justesse et rigueur laissant ressortir toutes les subtilités de la musique de Massenet pleine de couleurs et d’intentions harmoniques dans une partition précise qui ne couvre jamais les voix mais au contraire les soutient dans ces sentiments que l’on retrouve dans chaque solo, violon, clarinette alto… Notons le long discours plein d’émotion de Xavier Chatillon, violoncelle solo. La salle comble aux nombreux rappels fait-elle cet immense succès ? Nous dirions aussi que c’est cette envie de revoir ce spectacle dont l’émotion rend meilleur… Photo Christian Dresse