Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2024
Violon Renaud Capuçon
Piano Alexandre Kantorow
Ludwig van Beethoven: Sonate pour violon en mi bémol majeur, op. 12 n°3;
Johannes Brahms: Sonate pour violon et piano n°3. Op. 108; Richard Strauss: Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur op. 18
Aix-en-Provence le 22 mars 2024
La saison 2024 du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence s’annonce, comme les précédentes, d’un grand intérêt musical, faite de découvertes et de rencontres. En ce 22 mars, Renaud Capuçon et Alexandre Kantorow, deux artistes que l’on ne présente plus tant ils sont appréciés, étaient au programme pour interpréter trois sonates, trois compositeurs différents, trois écritures différentes mais avec pour fil conducteur le romantisme et l’exigence. Ecrite dans la tradition classique en trois mouvements et troisième sonate des dix composées par Ludwig van Beethoven, la Sonate n°3 pour violon est interprétée dans un subtil dosage des sonorités et une simplicité de jeu qui donne une impression de facilité. La légèreté du violon dans ses longueurs d’archet, son spiccato aérien ou ses sforzandi dans l’archet laissent le pianiste s’exprimer dans un jeu perlé tout en nuances pour un discours aimable plein de fraîcheur laissant poindre une pointe d’humour. Plus lent est le deuxième mouvement où le violon reprend avec lyrisme le thème exposé par le pianiste au jeu élégant et aéré. Calme et paix, les phrases du violoniste au vibrato intense et mesuré s’effacent sur de longues tenues jouées piano pour laisser la parole au pianiste dans une sorte de mélancolie tranquille, comme en réminiscence, dans un discours d’une grande sagesse musicale. Vif et joyeux est le troisième mouvement dans un spiccato précis. Précision aussi dans le jeu du pianiste qui, sans forcer les nuances, reste dans l’esthétique musicale du violoniste avec des nuances contrastées sans exagération qui donnent rythme et vivacité à ce mouvement plein de fraîcheur. Cette sonate, moins jouée que celle dite “Le printemps”, est une œuvre attachante où les deux artistes laissent librement exprimer leurs sentiments dans un échange qui demande virtuosité et exigence musicale. La Sonate n°3 pour violon et piano est la dernière sonate que Johannes Brahms compose pour ces deux instruments. Dédiée au chef d’orchestre et ami Hans von Bülow, elle est écrite en quatre mouvements. Plus romantique que la sonate de Beethoven elle permet aux deux solistes de faire ressortir des tempéraments plus affirmés. Dans un tempo allant le violon expose le thème pour une phrase lyrique dans une facilité d’archet qui laisse sonner l’instrument. Cette sonate, qui donne souvent la parole au piano avec une grande diversité de thèmes, permet aux deux solistes des nuances contrastées. L’Adagio du deuxième mouvement laisse ressortir le romantisme Brahmsien où les sons moelleux du violon aux légers portamento se mêlent au toucher délicat du pianiste. Un voile de tristesse et des respirations qui laissent attendre les notes apportent ce souffle tranquille aux vibrations harmoniques d’une beauté intense et pure. Dans le troisième mouvement, la parole est donnée au pianiste dans une vélocité délicate avec un violon en syncope ou en contre chant. Une énergie retrouvée pour ce Presto agitato où chacun prend la parole avec force et brio. Le martelé au talon et un archet vigoureux laissent la place à des instants plus doux où le piano prend la parole dans une écriture virtuose sur des thèmes différents. Une sonate où moments de réflexion et éclats de vie s’opposent dans une large palette sonore sous les doigts déliés du pianiste et l’aisance d’archet du violoniste en complète symbiose. Elégance et musicalité pour ce Brahms intense. Avec sa Sonate op.18 en mi bémol majeur pour violon et piano, Richard Strauss, dans une sorte de post romantisme, cherche à se détacher de Brahms tout en restant dans une écriture classique en trois mouvements. Cette œuvre que l’on considère encore comme une œuvre de jeunesse fait montre de brillance et de la légèreté d’un âge des bonheurs sans ombres, qui a pour thèmes passé, présent, avec un éclairage vers le futur. Dans un tempo très allant les deux solistes nous proposent des phrases lyriques dans une conversation où, dans une belle sûreté de main gauche, le violoniste s’exprime avec une vigueur qui n’exclut pas une certaine nostalgie, soutenu par le jeu ferme du pianiste qui allie charme et musicalité dans des oppositions de nuances et de sentiments. Dans un rythme ternaire assez mélancolique, l’Andante cantabile appelé Improvisation laisse écouter un violon séducteur dans un chant romantique sur les notes élégamment égrenées par le pianiste pour un récit sentimental interprété dans une même esthétique musicale. Démanché artistique et arpèges délicats au piano laissent ressortir les émotions sur des notes posées. Avec les doigts au fond des touches, les accords graves du piano introduisent le troisième mouvement où pointent déjà quelques notes annonçant Don Juan le poème symphonique à venir. Dans ce discours musclé et une belle solidité de main gauche, le violoniste s’exprime avec force et détermination répondant au pianiste dans un bon dosage de sonorités où l’on perçoit déjà les accents straussiens qui seront la signature du compositeur. Une œuvre colorée, presque symphonique par moments, interprétée par deux solistes qui se répondent et discourent dans une complicité de chaque note. Une fin de programme éblouissante, mais pas une fin de concert. 3 bis d’un charme tout sentimental avec Liebesleid de Fritz Kreisler, cette valse lente un peu nostalgique interprétée avec élégance avant la Sicilienne de Maria Theresia von Pardies au charme désuet dans un archet qui survole les cordes et un toucher délicat du pianiste pour finir par Salut d’Amour d’Elgar aux notes langoureuses sans nostalgie. Une salle comble conquise qui croule sous les applaudissements. Un grand bravo pour cette soirée musicale où talent et simplicité ont fait le bonheur de tous. Photo Caroline Doutre