Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, saison 2024
Orchestre National Symphonique de Lettonie
Direction musicale
Violon Anna Agafia Egholm
Carl Maria von Weber : “Oberon”, ouverture; Felix Mendelssohn-Bartholdy: Concerto pour violon N°2 en mi mineur, op.64; Nikolaï Rimski-Korsakov: “Schéhérazade” suite op.35
Aix-en-Provence, le 24 mars 2024
C’est un concert avec orchestre que nous proposait le Festival de Pâques en cette soirée du 24 mars 2024 pour un programme de musique attrayante dans des styles tout à fait différents. A la tête de l’Orchestre National Symphonique de Lettonie, le toujours jeune chef d’orchestre français Jean-Claude Casadesus dont la vie musicale est une longue suite de succès, d’engagements et de batailles pour que la musique soit reconnue en France et puisse vivre dans les meilleures conditions. Avec l’énergie et l’enthousiasme qui ne l’ont jamais quitté le maestro prend l’orchestre à bras le corps pour l’Ouverture d’Oberon de Carl Maria von Weber. Dans une douceur élégiaque le cor enchanté d’Oberon ouvre la porte aux différents thèmes qui animeront ce récit poétique et donneront la parole aux solistes. Après une phrase jouée sans trop de lenteur la vélocité des cordes, dans un agitato contenu, donne du relief sous la baguette précise du chef d’orchestre qui n’hésite pas à recourir au moelleux de la clarinette pour un moment de nostalgie vite repris par le déchaînement des cuivres. Une introduction de concert sonore qui met l’orchestre à l’honneur. Lumière différente avec le concerto pour violon n°2 de Felix Mendelssohn-Bartholdy dans l’interprétation de la jeune violoniste danoise Anna Agafia Egholm. Le charme la féminité ; mais il ne faut pas se fier à cette seule apparence. Dès qu’elle pose sur l’épaule son Guarnerius del Gesù, voilà le violon, pris au piège de son tempérament et de sa musicalité sonnant comme elle le désire avec flamme ou sensibilité. Comme lui nous sommes sous le charme de cette violoniste qui doit faire sourire le compositeur tant l’interprétation personnelle est si convaincante que l’on est sûr d’entendre ce concerto tel qu’il doit être joué. Les mœurs ont peut-être changé mais la musicalité est restée, même après la traversée des siècles. Dans un tempo allant et sans introduction l’archet est posé sur les cordes avec autorité et précision. Charme et dextérité laissent sonner la ligne musicale dans de jolis phrasés où les démanchés sont faits avec délicatesse. Cadence à l’aise pour une interprétation personnelle qui allie force et sensibilité dans un déploiement d’archet et un vibrato qui se plie aux nuances ; fougue, virtuosité et vélocité de main gauche pour ce mouvement. Enchaîné par le basson, le deuxième mouvement se fait plus romantique. Avec beaucoup de présence la violoniste laisse vibrer la chanterelle, cette corde aiguë quelquefois agressive, dans un bel équilibre des sons et une souplesse d’archet qui reste à la corde jusque dans le piano. Enchaîné aussi le troisième mouvement pour un discours avec l’orchestre, toujours à l’écoute, avec humour et fantaisie dans un staccato volant ou un petit détaché sonore. Dans un tempo vif et soutenu la précision de chaque note rend presque aériennes les phrases lyriques jouées à l’orchestre. Le talent et l’enthousiasme de la jeunesse font de cet Allegro final un éblouissement. Avec beaucoup de calme Anna Agafia Egholm nous interprète en bis le premier mouvement de la Sonate n°5 d’Eugène Ysaÿe. Une maîtrise d’archet où vélocité, pizzicati de main gauche et bariolages d’archet font résonner des chants d’oiseaux dans une ambiance bucolique. Cette rencontre avec la violoniste ne laisse personne indifférent et déchaîne les bravos. Superbe moment ! Schéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov terminait ce programme et allait nous faire voyager dans le Moyen Orient. Moins jouée que pendant les décennies précédentes, cette œuvre qui nous plonge dans les Contes des mille et une nuits, est d’une haute portée musicale tout en nous faisant rêver. Le compositeur prend ici la place de Schéhérazade et c’est avec ses notes, ses harmonies et les timbres particuliers des instruments que nous feuilleton ce livre de contes imagé, poétique dans une partition aux mille et une couleurs. Le maestro a saisi toutes les nuances inhérentes à ces contes utilisant avec à propos les sonorités de chaque instrument et, si l’on pense souvent à des leitmotive dans ces thèmes qui reviennent joués par le violon et la harpe pour la délicatesse de Schéhérazade ou les cuivres sonores pour le Sultan, le compositeur s’en défend. Ils font partie de l’œuvre et reviennent souvent en modulations suivant l’éclairage donné au récit. Les attaques précises, les rythmes marqués, l’énergie insufflée viennent certainement de la formation de percussionniste du chef d’orchestre mais, au-delà de ce souffle, le maestro a su saisir les nuances, les couleurs, les respirations contenues dans la partition. Dans un bon tempo il laisse s’exprimer librement un violon solo de charme accompagné par la harpe, laisse ressortir le timbre rond du cor ou du violoncelle ou donne force et vigueur au quatuor avec les notes au fond des temps dans Le Vaisseau de Sinbad qui retrouvera bientôt des eaux plus calmes. Très Oriental, La légende du prince Kalender, avec un violon solo envoûtant aux doubles cordes sonores qui tente de s’opposer aux cuivres du Sultan atténués par le son voilé du basson. Plus léger et joyeux le conte du Prince et de la princesse avec ces phrases qui viennent par vagues reprises par la clarinette ou la trompette et qui donnent un éclairage nouveau. C’est après Fête à Bagdad que Le Vaisseau se brise dans un déchaînement orchestral et les cadences du violon solo. Ce voyage sur un tapis persan nous laisse songeurs, comme envoûtés par cette musique.Photo Caroline Doutre / Festival de Pâques