Opéra national de Lyon, saison 2023/2024
“BARBE-BLEUE”
Opéra bouffe en 3 actes, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, adapté par Agathe Mélinand
Musique de Jacques Offenbach
Barbe-Bleue FLORIAN LACONI
Prince Saphir JÉRÉMY DUFFAU
Fleurette JENNIFER COURCIER
Boulotte HÉLOÏSE MAS
Popolani GUILLAUME ANDRIEUX
Comte Oscar THIBAULT DE DAMAS
Roi Bobeche CHRISTOPHE MORTAGNE
Reine Clémentine JULIE PASTURAUD
Alvarez DOMINIQUE BENEFORTI
Les 5 femmes de Barbe-Bleue SHARONA APPLEBAUM, MARIE-EVE GOUIN, ALEXANDRA GUÉRINOT, SABINE HWANG, PASCALE OBRECHT
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Direction musicale James Hendry
Chef des chœurs Benedict Kearns
Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Adaptation des dialogues Agathe Mélinand
Décors Chantal Thomas
Lumières Joël Adam
Lyon, le 1er février 2024
L’Opéra de Lyon reprend la production de Laurent Pelly créée in loco en juin 2019, formidable spectacle que l’Opéra de Marseille avait aussi eu la chance d’accueillir pour la période de fêtes de fin d’année 2019. L’action sur scène fait d’ailleurs aujourd’hui un curieux clin d’œil à l’actualité française et ses manifestations d’agriculteurs, protestations et blocages routiers qui s’étendent également au-delà des frontières de l’Hexagone. Apres l’Ouverture de l’opéra bouffe, pendant laquelle la Une d’un quotidien est projetée, évoquant la disparition mystérieuse de plusieurs femmes, le rideau se lève en effet sur une ferme où rien ne manque : tracteur garé dans le hangar avec son stock de foin entreposé pour l’hiver, un tas de purin sur le côté, et un chœur de paysans plus vrais que nature. A l’acte II au palais du Roi Bobèche, les courtisans s’inclinent devant le souverain, celui-ci – l’hilarant et vociférant Christophe Mortagne – en rajoutant dans la méchanceté en plaquant la tête de l’un d’entre eux contre le sol. Après l’entracte, placé entre les deux tableaux de l’acte II, on passe dans les souterrains inquiétants du château de Barbe-Bleue, et l’alchimiste Popolani qui prépare son vrai-faux poison entre table d’opération à gauche et paillasse de chimiste à droite. Les cinq anciennes femmes de Barbe-Bleue déjà assassinées – mais ressuscitées par la “petite machine électrique à musique” de Popolani dans l’opéra bouffe d’Offenbach ! – résident dans un boudoir rose derrière des portes de funérarium. Puis retour à la cour du roi pour le tableau final, la vengeance des femmes envers Barbe-Bleue et la fin heureuse où Boulotte s’unit à Barbe-Bleue, pour le meilleur cette fois… on l’espère ! Déjà titulaire du rôle-titre à Marseille, à la place de Yann Beuron lors de la création lyonnaise, Florian Laconi apparaît en scène comme un effrayant Barbe-Bleue tout de noir vêtu, manteau de cuir, boucle d’oreille et barbe légèrement bleutée. Vocalement, le ténor développe un certain panache, médium solide, aigus claironnés et tenus, tandis que le vibrato reste sous contrôle. Le chant est aussi dynamique, surtout lorsque le chef accélère nettement le tempo, en commençant alors à tendre vers un sillabato rossinien (« Je suis Barbe-Bleue, ô gué ! Jamais veuf ne fut plus gai »). Héloïse Mas en Boulotte connaît un démarrage vocal plus laborieux, ne parvenant pas à bien attraper le rythme sur ses premières interventions. La mise en place se fait ensuite et on retrouve la voix riche et profonde de la mezzo, ainsi que certains de ses aigus puissamment projetés. Son jeu de paysanne brute de décoffrage est d’un naturel confondant, comme lorsqu’elle embrasse le roi à pleine bouche, assez loin donc du protocole lié au baisemain royal. Au sein du couple Fleurette – Saphir, c’est le ténor Jérémy Duffau qui domine vocalement, style élégant et belle articulation du texte, tandis que Jennifer Courcier fait entendre un instrument d’une ampleur lyrique un peu moindre. Guillaume Andrieux est un inquiétant Popolani en scène, rares cheveux sur le crâne et lunettes à verre épais, baryton bien-disant et drôle. Un peu moins sonore, l’autre baryton Thibault de Damas possède également une voix sûre et joliment timbrée, tandis que la mezzo Julie Pasturaud maintient une agréable ligne vocale, frémissante de tristesse lorsqu’elle évoque son déprimant mariage avec le Roi Bobèche. Le chef James Hendry produit lui aussi un spectacle dans le spectacle, pratiquant une gestique particulièrement démonstrative, en sautillant, levant régulièrement les mains au ciel, dodelinant de la tête… Il impulse en tout cas une folle énergie à l’orchestre, voire du ressort à cette belle partition, sans oublier non plus de varier les nuances de rythme et d’amplitude sonore. Après le passage au pupitre du jeune Michele Spotti (26 ans à la fin 2019 pour la création du spectacle), le public lyonnais est décidemment gâté avec cette autre direction musicale. Un grand coup de chapeau est enfin à tirer aux chœurs de l’Opéra de Lyon, toujours aussi bien préparés par Benedict Kearns, impeccables vocalement et très drôles en scène dans la réalisation de Laurent Pelly, décidemment passé maître pour mettre en scène ce répertoire, depuis de nombreuses années. Photos Bertrand Stofleth