Marseille, Opéra Municipal: “La Traviata”

Marseille, Opéra municipal, saison 2023/2024
LA TRAVIATA
Opéra en 3 actes, livret de Francesco Maria Piave
Musique de Giuseppe Verdi
Violetta RUTH INIESTA
Flora LAURENCE JANOT
Annina SVETLANA LIFAR
Alfredo JULIEN DRAN
Germont JEROME BOUTILLIER
Gastone CARL GHAZAROSSIAN
Le Marquis FREDERIC CORNILLE
Le Baron Douphol JEAN-MARIE DELPAS
Le Docteur YURI KISSIN
Le Commissionnaire NORBERT DOL
Giuseppe JEAN-VITAL PETIT
Le serviteur THOMAZ HAJOK
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Clelia Cafiero
Chef de chœur Florent Mayet
Mise en scène Renée Auphan
Réalisation de la mise en scène Yves Coudray
Décors Christine Marest
Costumes Katia Duflot
Lumières Roberto Venturi et Pierre Gaillardot
Marseille, le 6 février 2024
En ce mois de février 2024 “La Traviata” est programmée à l’Opéra de Marseille dans une production créée en 2014, mise en scène par Renée Auphan, et réalisée ici par Yves Coudray. Pour cette “Traviata”, créée à Venise le 6 mars 1853, Giuseppe Verdi avait noté : “La Traviata, hier, fiasco.” Et pourtant, “La Traviata” est depuis longtemps l’opéra le plus joué dans le monde et le mettre à l’affiche est synonyme de succès. Chics et sobres pourrions-nous dire des décors conçus par Christine Marest. Des lambris habillent les murs et encadrent une imposante cheminée alors que de hautes fenêtres aux rideaux tirés, de part et d’autre d’un immense miroir, feutrent les atmosphères. Une longue table et de nombreux fauteuils meublent le salon de Violetta. La maison de Campagne du deuxième acte s’ouvre sur une terrasse fleurie avec un mobilier plus léger qui laisse respirer la joie et le bonheur. Plus lourd, plus pesant est l’intérieur chez Flora. Un grand escalier pour un réel effet mène au salon avec table de jeu. Epurée et d’une sobriété monastique sera la chambre de Violetta au dernier acte. Le grand lit aux draps blancs évoque la maladie. Une maladie qui tient lieu de décor. Les lumières intelligemment choisies par Roberto Venturi et Pierre Gaillardot créent les atmosphères ; tamisées pour les réceptions ou plus ensoleillées à la campagne. Mais la chambre restera éclairée dans un bleu profond laissant étrangement ressortir le blanc immaculé de la chemise de Violetta. Les costumes de Katia Duflot toujours élégants nous transportent dans cette société de fête d’un second empire naissant. Smoking pour les hommes et robes aux jupes amples mettant les silhouettes en valeur. Elégante, Violetta elle le restera jusque dans sa longue chemise blanche du dernier acte. Le succès tient certainement aussi au choix des artistes ; voix, âge et physique du rôle donnent à ce couple romantique une grande crédibilité. La soprano Ruth Iniesta a certes les moyens vocaux que requiert la partition allant même jusqu’à des aigus souvent transposés. L’on a souvent dit qu’il fallait trois voix pour chanter ce rôle et cela est sans doute vrai tant les situations et les atmosphères sont autres dans chacun des trois actes. A la joie frénétique du premier acte qui enlève un peu du mélodieux pour des “Gioire” légèrement stridents nous préférons le lyrisme de la voix au deuxième acte où après avoir affronté Germont avec mesure et musicalité Violetta devient sensible accompagnée par la clarinette au son douloureux alors qu’elle écrit sa lettre de rupture, où dans le duo avec Alfredo aux inflexions tragiques “Amami, Alfredo…” avec une rondeur du medium poignante dans son “Addio”. Poignante encore au dernier acte soutenue par le violon solo en réminiscence ou dans son “Addio del passato” sur un aigu piano et tenu. Le ténor Julien Dran est ici Alfredo, sa voix au timbre chaleureux charme Violetta et le public dès son “Brindisi” chanté avec nuances et projection. Jeune homme un peu emprunté dans cette mise en scène qui ne le met pas en valeur, le bonheur lui donne de l’assurance au deuxième acte. De beaux aigus tenus et une certaine tendresse dans la voix qui s’épanouit dans un phrasé musical. Si le bonheur lui va bien, sa voix devient tragique dans la jalousie aux graves sonores et aux aigus puissants. Emotion encore dans le dernier acte où la voix se fait plus suave dans des notes d’espoir exprimées avec tendresse. Jérôme Boutillier est ici Germont, ce père sévère qui giflera son fils. Dans son costume de pasteur il affirme son autorité toute cléricale avec une profondeur et une maîtrise de la voix que sa jeunesse ne rendait pas évidentes. Avec sa belle diction et son sens du phrasé il impose ce rôle des plus ingrats. Les résonances de sa voix se font entendre sans forcer dans de beaux aigus aux sons amples avec une technique mise au service de la musique. Un cast sans faute pour les seconds rôles aussi avec la sculpturale Flora de Laurence Janot dans une voix sonore et projetée. Efficace Svetlana Lifar dans le rôle assez court d’Annina mais toutefois remarqué. Remarqué aussi le Gastone de Carl Ghazarossian vif et très en voix, ainsi que le Marquis de Frédéric Cornille, le Baron Douphol de Jean-Marie Delpas, le Docteur dans la voix grave de Yuri Kissin, le Commissionnaire de Norbert Dol, le Giuseppe de Jean-Vital Petit ou Thomasz Hajok (Serviteur). Toujours très bien préparés par Florent Mayet, les artistes du chœur se font applaudir pour des interventions sonores, des voix homogènes et des évolutions justes, jusque dans le chœur de coulisses. Belles voix d’hommes pour le chœur des Matadors. Peut-il y avoir une “Traviata” réussie sans les sonorités sensibles du quatuor dans des Intermezzi à faire pleurer les moins sensibles ? L’orchestre, dirigé par la chef  Clelia Cafiero, est partie prenante du succès de cette soirée soutenant les chanteurs et faisant ressortir avec sensibilité les instruments solistes. Peut-être une gestuelle plus précise éviterait-elle les quelques décalages inhérents aux premières ? Ne boudons pas notre plaisir et participons avec enthousiasme à ces bravos mérités et qui font plaisir dans ces temps de morosité. Longs, longs applaudissements qui vont droit au cœur des artistes et qui prouvent que NON, l’opéra n’est pas un art désuet et has been. La fidélité du public le prouve, l’enthousiasme aussi.  Superbe soirée ! Photo Christian Dresse