Marseille, Opéra, saison 2023/2024
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Violon Daniel Lozakovich
Johannes Brahms: Ouverture tragique en ré mineur; Max Bruch: Concerto pour violon n°1 en sol mineur; Krzysztof Penderecki: Symphonie n°4
Marseille, le 23 février 2024
Superbe concert proposé en cette soirée du 23 février à l’Opéra de Marseille avec en soliste le violoniste Daniel Lozakovich accompagné par l’Orchestre Philharmonique qui retrouvait Lawrence Foster, son ancien directeur musical, avec un plaisir évident et partagé. Un programme classique malgré la symphonie n°4 de Krzysztof Penderecki dont le nom aurait pu évoquer une œuvre rien moins que classique. Musique allemande en première partie avec Johannes Brahms et Max Bruch pour finir avec le compositeur polonais aux diverses influences. Des musiques que le maestro affectionne particulièrement ayant même connu Krzysztof Penderecki. Dès les premiers accords de l’Ouverture tragique, sous la baguette énergique de Lawrence Foster l’orchestre trouve le son Brahms. Ce son particulier, puissant, rond qui va chercher les notes au fond des temps, les laissant résonner dans des respirations mesurées. L’orchestre connaît bien cette direction où précision ne veut pas dire dureté. Certes cette œuvre n’est pas vraiment tragique, mais elle vient en opposition à la précédente Ouverture pour une fête académique composée de façon plus légère. “L’une rit, l’autre pleure” avait l’habitude de dire le compositeur. Ecrite en mineur, le souffle nostalgique de Brahms s’écoute immédiatement dans une belle unité de son, ce son plein que l’on retrouve aussi dans les soli d’instruments et les thèmes qui reviennent en vagues sonores. Dans un tempo allant le maestro laisse jouer son orchestre sur le soutien des contrebasses et la longueur d’archets des violons. Plus rigoureuse que tragique, cette Ouverture permet au hautbois solo de s’exprimer avec nostalgie ou aux trombones de faire entendre quelques mesures d’un choral quasi religieux sur un roulement moelleux de timbales. Une introduction au concert sonore et majestueuse qui d’entrée séduit le public. Mode mineur encore avec le concerto pour violon n°1 de Max Bruch. Un concerto romantique dédicacé au célèbre violoniste Joseph Joachim. Romantique et assez intériorisé, ce concerto est plus dédié à la musicalité qu’à la virtuosité, et c’est ce côté que le jeune violoniste suédois Daniel Lozakovich fera ressortir principalement dans une maîtrise impeccable des sons et de la ligne musicale. Au-delà de la musicalité contenue dans l’écriture et le jeu, la technique du violoniste impressionne avec un calme et un contrôle d’archet qui permettent de longues tenues de notes dans un vibrato mesuré. Dans le deuxième mouvement, enchaîné, c’est avec délicatesse que le violoniste entre sans le son piano de l’orchestre pour des phrases lyriques jouées sur de belles longueurs d’archet qui laissent sonner la corde grave. Le tempo allant pris avec énergie par le maestro permet au violoniste de s’exprimer avec force dans cet éblouissant final aux rythmes marqués. Technique encore avec les doubles cordes d’une justesse parfaite et des accords au talon sonores. Une interprétation toute personnelle qui allie jeunesse et romantisme dans l’élégance de chaque note et de chaque coup d’archet. Une explosion d’applaudissements qui contraste avec la sobriété de ce jeu sensible et musical. Ce grand jeune homme qui semble tout juste sorti de l’adolescence joue sur le violon Stradivarius Ex-Sancy de 1713 ayant appartenu à Ivry Gitlis et, c’est avec une pointe d’humour qu’il va, dans un bis nostalgique, faire résonner ses cordes dans la chanson “Les feuilles mortes” ; sans les paroles de Jacques Prévert, mais sur la musique de Joseph Kosma. Un moment de calme, de musicalité pure, venue de loin, suspendue aux crins de l’archet. C’est certainement un calme voulu avant d’enchaîner la sonate pour violon seul n°3 d’Eugène Isayës dédicacée à George Enesco. Un feu d’artifice de notes et de coups d’archet, de maîtrise et de vélocité. Plus de romantisme mais une autre facette du violoniste, le côté expansif et fougueux de la jeunesse maîtrisé par une technique plus que solide. Un moment rare de musique qui soulève l’enthousiasme du public. Ovation ! Krzysztof Penderecki, après avoir été le chef de file de l’avant-garde de la musique polonaise avec une écriture allant jusqu’à l’écriture sérielle, revient à la musique tonale vers la fin des années 1980 ; c’est le cas pour cette Symphonie n°4, commande du ministère de la culture et de Radio France pour le bicentenaire de la révolution française. Nommée Adagio mais en plusieurs séquences, c’est une œuvre magistrale qui demande un grand orchestre et comporte des instruments peu usités tels l’arbre à crotale ou les rototoms. Œuvre forte, puissante dans ses intentions et ses couleurs, faisant ressortir chaque famille d’instruments et les solistes. Dès l’entrée le timbre sombre des altos et du cor anglais impose une atmosphère lourde qui pourrait même emprunter certaines notes à Chostakovitch. Après les sonorités profondes de Brahms et la sensibilité de Bruch, Lawrence Foster impose avec précision le style plus direct de Penderecki. Le marcato des altos, comme jouant une cadence de concerto ou les trompettes aux sons pleins se répondant depuis une loge tient l’auditeur en haleine, sensible au solo du cor anglais soutenu par le tremolo des violons ou marqué par le tam-tam des percussions. Penderecki utilise l’harmonie dans des accords qui ne saturent jamais les sons tel ce long solo de cor ou celui du basson aux sonorités moelleuses et trombones, tuba ou trompettes bouchées pour des sons qui semblent venir de plus loin. C’est une œuvre d’atmosphères, enveloppante où chaque instrument apporte sa lumière plus ou moins brillante, comme aperçue d’une fenêtre entrouverte. La stridence du piccolo s’oppose aux graves des violoncelles ou à l’humour d’un soli d’altos avant un solo original de rototoms et le déchaînement de tout l’orchestre dans un furioso de sonorités entraîné par les violons. Une fin calme, apaisée sur les sonorités chaudes des altos ou celles plus sombres de la clarinette basse. Une belle découverte sous la baguette éternellement jeune d’un maestro passionné. Un grand bravo, un grand merci !