Marseille, Opéra Municipal:”l’Africaine”

Marseille, Opéra Municipal, saison 2023/2024
“L’AFRICAINE”
Opéra en 5 actes, livret d’Eugène Scribe
Musique de Giacomo Meyerbeer
Selika KARINE DESHAYES
Ines HELENE CARPENTIER
Anna LAURENCE JANOT
Vasco de Gama FLORIAN LACONI
Nelusko JERÔME BOUTILLIER
Don Pedro PATRICK BOLLEIRE
Don Alvaro CHRISTOPHE BERRY
Don Diego FRANCOIS LIS
Le Grand Prête de Brahma CYRIL ROVERY
Le Grand Inquisiteur JEAN-VINCENT BLOT
Un Matelot / Un Prêtre / Un Huissier WILFRIED TISSOT
Un Matelot JEAN-PIERRE REVEST
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Nader Abbassi
Chef de Chœur Christophe Talmont
Mise en scène Charles Roubaud
Décors Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Jacques Rouveyrollis
Vidéos Camille Lebourges
Marseille, le 3 octobre 2023
Après avoir été si longtemps boudé, Giacomo Meyerbeer revient sur le devant de la scène; il était pourtant, à son époque, le compositeur d’opéras le plus joué avec des succès jamais démentis. Présenté à l’Opéra de Marseille en fin de saison dernière, son opéra “Les Huguenots” avait été superbement accueilli par le public et la critique.  En confiant cette production au metteur en scène Charles Roubaud et à son équipe, Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, joue la carte du succès. Alors que la mode du regietheater semble amorcer un léger recul, les mises en scène de Charles Roubaud poétiques, sobres et dans le texte sont toujours très plébiscitées par le public. Un gage de plaisir visuel! Giacomo Meyerbeer a mis plus de vingt ans avant de mettre un point final à cet ouvrage. Lente et longue gestation mais triomphe au soir de la première le 28 avril 1865 à Paris, salle le Pelletier, pour ce récit historique qui est plutôt une épopée héroïque. Si depuis sa création la composition a subi de nombreuses coupures: l’ouvrage présenté ce soir est encore amputé de 1h30 de musique; moins de redites, plus de ballet sans lequel aucun opéra ne pouvait être joué à Paris à cette époque, mais aussi certains airs et duos occultés, très regrettés par les chanteurs. 5 actes, tout de même, qui permettent de présenter de très beaux tableaux dans une production qui ne change rien à l’action malgré certains costumes années 1950. L’on aurait sans doute aimé les fastes vestimentaires de la Renaissance portugaise mais, comme à son habitude, Katia Duflot nous présente des costumes seyants et élégants qui permettent aux chanteurs d’évoluer avec aisance, telle la robe d’Ines. Uniformes militaires pour le commandant de la flotte, redingotes pour le conseil, saris colorés pour la reine Selika et les femmes indiennes, mais un Vasco de Gama tout de cuir noir vêtu. Emmanuelle Favre signe les décors. Minimalistes ? Peut-être, mais d’une grande pureté et d’une belle portée émotionnelle. Les lumières conçues par Jacques Rouveyrollis concourent à créer les atmosphères avec des éclairages en demi-teinte, dans des tons ocres ou plus franchement orangés. Réussite des vidéos de Camille Lebourges. Pour coordonner tout cela, Charles Roubaud est à la barre. Peu de grands déplacements, mais une direction intelligente des artistes qui ne met jamais les chanteurs en difficulté, les positionne et fait ressortir les voix et le caractère des personnages. Des tableaux d’une grande beauté dans une justesse d’interprétation de l’œuvre. Si le visuel nous enchante, les voix participent de cet enchantement. Le Vasco de Gama de Florian Laconi est d’une vaillance à couper le souffle avec des gestes justes et une voix superbe dans une écriture qui ne laisse aucun répit. Si le personnage n’est pas, à priori, très sympathique, il faut reconnaître que rien ne résiste à sa détermination. Une détermination qui s’entend dans la voix, la projection et la force de ses aigus faciles. Puissance, certes, mais musicalité du phrasé et soutien du souffle dans une voix homogène; belle ligne de chant aussi pour les duos avec Selika chantés avec  souplesse dans un timbre adouci. Superbe interprétation du ténor qui se joue de tous les écueils, ceux du Cap de Bonne Espérance compris. A ses côtés la Selika de Karine Deshayes dont la beauté du chant s’écoute dans chaque note, chaque inflexion. La grande étendue de sa voix lui permet des graves timbrés aussi bien que des aigus éclatants toujours colorés. Mezzo-soprano, soprano, falcon dans une continuité de couleur tel un ruban qui se déroule et qui nous laisse sous le charme. Charme de la voix et de l’interprétation car la femme amoureuse laisse éclater la colère d’une reine offensée qui finit par pardonner dans une élégance de sentiments et de musicalité et c’est ce qui caractérise cette grande dame du chant, l’élégance de chaque note, de chaque son, bien au-delà d’une technique sans faille. Une Selika de rêve ! Les duos sont souvent des trios et le Nelusko de Jérôme Boutillier vient avec force ou tendresse équilibrer ces échanges vocaux. Un baryton à la voix naturelle qui passe sans forcer, qui joue avec aisance sans jamais surjouer et dont la voix garde la chaleur du timbre dans chaque tessiture.  La soprano Hélène Carpentier nous propose une Ines de charme qui fait montre d’une belle musicalité dans des aigus solides et colorés sur une belle longueur de souffle. Voix sonore et belle prestance pour le Don Pedro de Patrick Bolleire dont les graves, aussi bien que les aigus, sonnent avec générosité. Voix grave et jeu affirmé de François Lis qui impose son Don Diego, ainsi que Jean-Vincent Blot qui propose un Grand Inquisiteur dans une voix profonde et posée. Comprimari bien distribués, Christophe Berry dont la voix projetée et le jeu affirmé animent Don Alvaro, prestance de Cyril Rovery pour le Grand Prêtre de Brahma, justesse des interventions de Wilfried Tissot et charme de Laurence Janot pour Anna. Préparé avec justesse par Christophe Talmont le chœur impressionne dès le début. Qualité des voix et investissement jamais démenti. Pour cette production homogène, le maestro Nader Abbassi remplace pratiquement au pied levé le chef d’orchestre italien Roberto Rizzi Brignoli qui avait organisé les coupures. A son habitude le chef d’orchestre égyptien, qui connaît très bien l’orchestre, livre ici une interprétation très musicale, masquant les coupures par la cherche d’une ligne orchestrale continue tout en faisant ressortir les instruments solistes. Une direction souple et intelligente qui ne couvre jamais les voix et laisse ressortir l’écriture musicale de Meyerbeer avec relief dès l’ouverture qui expose les thèmes de l’ouvrage; cuivres sonores, cordes incisives. Une découverte pour bon nombre de spectateurs qui n’a laissé personne indifférent. Et c’est un succès pour la production et les chanteurs longuement ovationnés lors de nombreux rappels. Photo Chrisitan Dresse