Opéra de Marseille, Marseille, saison 2023/2024
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Piano Elena Bashkirova
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Suite N° 4 en sol majeur, dite “Mozartiana”;
Symphonie N° 5 en mi mineur; Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto N° 13 en do majeur
Marseille, le 15 octobre 2023
En ce début de saison un public nombreux s’était donné rendez-vous dimanche après-midi pour ce premier concert classique. Tchaïkovski, Mozart, valeurs sûres et succès assuré. Loin des accents slaves mais avec une certaine profondeur, Tchaïkovski se laisse porter par la fluidité de la musique de Mozart. Etrangement, il pense aussi à composer sa symphonie N° 5, d’une écriture totalement différente. Ce concert mettra en parallèle ces deux œuvres. Lawrence Foster retrouve l’orchestre, qu’il a dirigé de nombreuses années en tant que directeur musical, et le plaisir partagé avec les musiciens se ressent immédiatement. Immédiatement le geste amène la phrase musicale, les respirations et trouve l’unité de son jusque dans les attaques d’une grande précision. Tempo vif pour cette gigue au spiccato léger en fugato dans une sûreté d’archets, mais, plus lent le menuet interprété avec élégance dans des sons très mozartiens au velouté homogène. Une gestuelle efficace sans effets de manches ou de baguette laisse respirer la musique sur de belles reprises d’archets. Si chaque mouvement est la citation de certaines œuvres de Mozart, c’est sans doute dans Preghiera (prière) que l’évocation de l’Ave verum corpus est la plus présente avec les notes égrenées par la harpe et le soutien des violoncelles en contrechant. Moins religieux que l’original mais avec des phrases d’une grande pureté. Un marcato léger pour ce Tema con variazioni, plus vif, plus enlevé dans une vélocité toute académique, donne la parole à la flûte, au basson pour un discours d’une grande fluidité. Avec une baguette qui allie souplesse et fermeté, le maestro Foster change les atmosphères. L’unité de son se retrouve dans les couleurs de la petite harmonie et les réponses des cordes malgré les oppositions de nuances. L’entrée du violon solo sous forme de concerto laisse la technique et la musicalité de Da-Min Kim s’exprimer avec aisance dans l’élégance d’un démanché ou l’envolée d’un staccato à la Paganini. Tchaïkovski a laissé la parole à Mozart jusque dans ce solo de clarinette a cappella, joué par Valentin Favre, qui met un point final à ces Variations dirigées avec beaucoup de musicalité. Mozart encore pour ce concerto de piano N° 13, mais sans Tchaïkovski cette fois, sous les doigts de la pianiste russe Elena Bashkirova. Ce concerto, deuxième des trois concertos écrits en do majeur, est composé à Vienne en 1783 dans un caractère joyeux. Tempo allant dirigé avec énergie pour une exposition marcato. Le jeu clair et perlé de la pianiste, avec des oppositions de nuances jouées avec délicatesse, expose la cadence dans une vélocité efficace qui garde fluidité et musicalité. Et, c’est dans un discours d’une évidente simplicité que la pianiste, au toucher délicat, répond à l’orchestre qui déroule un tapis sonore. La reprise du thème retient les notes dans une cadence au jeu naturel et laisse parler la musique jusque dans les notes piquées. Beaucoup de musicalité dans ce mouvement lent qui laisse la place au Rondo joyeux et enchaîné. Joie dans le tempo et les phrases de l’orchestre mais nostalgie sous les doigts appuyés sans sècheresse de la pianiste qui, sous le charme des différentes humeurs du compositeur laisse revenir, dans une courte cadence, l’impertinence d’un Mozart qui efface la nostalgie avec la légèreté de l’insouciance. Une interprétation classique au plus près du texte, au plus près du compositeur. Moment de grâce et de complicité en la compagnie d’Elena Bashkirova et du maestro Foster qui a su insuffler les nuances et les inflexions voulues par Mozart et la pianiste. Mozart toujours pour ce bis joué avec vélocité et légèreté dans l’élégance du phrasé. Energie et lumière dans un discours qui se renforce sans jamais perdre le sens de la phrase musicale. Mozart, sous les doigts d’Elena Bashkirova; le temps en suspension! Tchaïkovski, le 17 novembre 1888 dirige à Saint Pétersbourg sa 5ème symphonie en première écoute. Ecrite en quatre mouvements, cette symphonie est d’une facture classique avec des thèmes que l’on rencontre dans chacun de ses mouvements et des couleurs orchestrales contrastées. Jouant sur le timbre aigu ou grave des instruments avec des modes qui passent continuellement du mineur au majeur, le compositeur nous entraîne dans ses états d’âme en perpétuels changements mais c’est dans la petite lumière du majeur qu’il terminera cette symphonie. Lawrence Foster explore cette âme torturée avec beaucoup d’intensité, sans trop de pathos et dans des tempi qui ne s’éternisent pas ; le maestro va à l’essentiel et laisse ressortir la solitude, les doutes, la lutte du compositeur avec le destin, ce fatum qu’il finit par accepter. Sombre est l’introduction avec les timbres voilés de la clarinette et du basson dans un tempo juste qui devient plus allant mélangeant espoir fugitif et mélancolie dans un lié de phrases musicales qui laissent ressortir les notes des timbales, les accents tragiques des cordes et les sonorités puissantes des trombones et du tuba. Lent et sombre encore l’Andante cantabile du deuxième mouvement. Le son velouté de Julien Desplanque dans un long solo de cor apportera-t-il la lumière ou faudra-t-il attendre le son du hautbois et de la clarinette ? Les phrases s’enchaînent, les sentiments aussi. Sous la baguette de Lawrence Foster, la désespérance de Tchaïkovski retrouve toujours un éclair de lumière. Une phrase plus romantique, un agitato féroce, un éclat dans une montée chromatique, l’âme torturée du compositeur accepte la valse joyeuse d’un troisième mouvement apaisé où les tourments semblent s’estomper aux sons syncopés des bassons. Ces mêmes bassons qui annoncent le Finale dans l’atmosphère sombre et pesante du début et des notes de trompettes qui marquent le retour du destin auquel l’on n’échappe pas. Et pourtant Tchaïkovski lutte, se révolte, oppose les instruments plus clairs, les phrases des violons. Rien ne résiste à cette marche inéluctable où le tuba, plier de l’architecture sonore, entraîne cuivres et cordes sur un marcato de contrebasses. Dans cette écriture désespérée, le triomphe des trompettes et des timbales laisse poindre l’espoir que donne le mode majeur. L’orchestre en grande forme a suivi son chef dans les inflexions, les introspections, les espoirs et désespoirs d’un Tchaïkovski qui n’hésite jamais à dévoiler ses états d’âme dans une musique qui passe des profondeurs intimes aux éclats sonores démesurés. Une interprétation qui porte à la réflexion et touche un public qui manifeste son enthousiasme par de longs, très longs applaudissements et bravi qui veulent dire Merci !