Bayreuther Festspiele 2023:”Siegfried”

Bayreuth, Festspielhaus saison 2023
“SIEGFRIED”
Opéra en 3 actes, livret de Richard Wagner
Musique Richard Wagner
Siegfried ANDREAS SCHAGER
Mime ARNOLD BEZUYEN
Der Wanderer TOMASZ KONIECZNY
Alberich OLAFUR SIGURDARSON
Fafner TOBIAS KEHRER
Erda OKKA VON DER DAMERAU
Brünnhilde DANIELA KÖHLER
Waldvogel ALEXANDRA STEINER
Der junge Hagen BRANKO BUCHBERGER
Grane IGOR SCHWAB
Orchestre du Festspielhaus
Direction musicale Pietari Inkinen
Régie Valentin Schwarz
Décors Andrea Cozzi
Costumes Andy Besuch
Dramaturgie Konrad Kuhn
Lumières Reinhard Traub
Lumières, adaptation 2023 Nicol Hungsberg
Bayreuth, le 24 Août 2023
En cette soirée du 24 août nous assistions à la représentation de Siegfried, deuxième journée et troisième volet de la Tétralogie de Richard Wagner, dans la production de Valentin Schwarz, toujours imaginée dans l’idée d’une saga familiale. Siegfried est sans doute l’ouvrage le moins populaire de cette œuvre monumentale en 4 parties et cette production ne le rendra pas plus attractif auprès d’un certain public qui lui reproche des longueurs dans une action assez lente. Il y a pourtant de très belles pages écrites pour les voix et l’orchestre, animées par les leitmotive qui viennent les illustrer. Le premier acte se passe dans l’ancienne maison de Hunding maintenant habitée par Mime où il a élevé Siegfried essayant de le maintenir dans l’enfance.Dans cette pièce où Mime, déguisé en magicien, fête un anniversaire, l’on trouve des poupées à l’effigie de personnages passés, Sieglinde en particulier, un théâtre de marionnettes et un fatras d’objets, un four style micro-ondes (feu de la forge ?), un aquarium rempli d’eau mais sans poissons Une scène assez déplacée nous montrera un Siegfried, arrivé saoul et en colère qui, après avoir décapité les poupées, mettra la tête de Mime dans le four puis la plongera dans l’aquarium. Le deuxième acte se déroule dans un appartement bien aménagé où vit Fafner l’architecte qui a construit le Walhalla. C’est maintenant un vieillard grabataire couché dans un lit médicalisé où le jeune Hagen, le garçon enlevé et qui remplace l’or qu’il détient, veille sur lui. Dans cet appartement, se rencontreront Alberich, Wotan, maintenant Le Wanderer, l’Oiseau de la forêt et Mime que Siegfried étouffera sous un coussin avant de laisser Fafner mourir d’une crise cardiaque.
Cette mise en scène, peu cohérente, ôte la tension et le dramatique contenus dans la musique en nous montrant certaines images apaisées : Wotan et Alberich confortablement installés dans des fauteuils devant une cheminée (le feu lancé par le dragon ?), alors que l’échange entre les deux hommes n’est rien moins qu’amical. La voix forte et sonore de Fafner répondant du fond de son lit à l’appel des deux hommes n’aura pas plus de cohérence que l’Oiseau, faisant retentir son chant, installé sur le canapé. Où donc est passée la féérie de la scène de la forêt ? Et que dire de Erda, vieille et aveugle, s’appuyant sur le bras de la petite fille, sauvée il y a bien longtemps et qui, pour toute réponse aux questions de Wotan, au troisième acte, lui tendra un révolver ? Dans un changement de décor et une lumière verte, Brünnhilde apparaît telle une momie, vêtue d’une cape blanche, peut-être sa cape de Walkyrie, un masque blanc sur le visage, la tête entourée de bandages et ce n’est que lorsque Siegfried les lui aura ôtés qu’ils se reconnaîtront et cèderont à l’amour. Comme dans les deux premiers volets de cette production, faisons abstraction du visuel et concentrons-nous sur les voix et la musique. Le Wanderer de Tomasz Konieczny a gardé les qualités de son Wotan. Nous l’apprécions pour la chaleur de son baryton et la largeur de sa voix sonore et timbrée. Nous aimons sa puissance homogène avec ses couleurs plus ou moins sombres qui ponctuent le phrasé musical et sa présence dans un engagement scénique qui donne une grande crédibilité au personnage, pilier de toute l’œuvre. Le Fafner de Tobias Kehrer qui semble venir des profondeurs de son lit nous propose un homme mourant mais vocalement très solide aux graves inquiétants, puissants, avant de tomber sur son déambulateur terrassé par une crise cardiaque. Nous sommes loin du dragon au souffle de feu voulu par Richard Wagner. Si le Mime de Richard Wagner est couard et mal traité, il est ici franchement ridicule et perd ainsi son côté fourbe. Arnold Besuyen réussit toutefois à lui donner drôlerie et caractère dans une voix de ténor homogène et projetée qu’il nuance avec intelligence pouvant aller jusqu’au dramatique, une voix efficace qui donne du relief à ses récits malgré une mise en scène qui ne le sert pas. Voix aux accents dramatiques aussi, celle d’ Okka von der Damerau qui interprète cette Erda aveugle. Elle conduit sa voix ronde aux graves sonores jusqu’à une sorte de parlando piano musical avant de lancer des aigus puissants. Comme dans L’Or du Rhin, l’Alberich d’Olafur Sigurdarson laisse ressortir la noirceur de son baryton jusque dans la qualité du phrasé au service du texte. Son interprétation pertinente et les couleurs de sa voix dans chaque intervention ou échange font du baryton islandais l’un des interprètes les plus remarqués. Un investissement total ! Waldvogel, l’oiseau de la forêt annonciateur est ici une jeune fille, infirmière auprès de Fafner ? La voix d’Alexandra Steiner, qui tenait déjà ce rôle dans la précédente production de Franz Castorf, est claire et forte avec des aigus projetés dans un joli vibrato mais dans une mise en scène sans grande action. Brünnhilde est ici interprétée par la soprano Daniela Kölher: droite et statique, elle ne fera entendre sa voix forte et timbré qu’une fois ôtés son masque et ses bandages. Un grand moment de tension orchestrale. Ses aigus timbrés sur des prises de notes posées résonnent avec force dans une voix homogène qui garde sa puissance et s’amplifie au gré des crescendi de l’orchestre. C’est avec sérénité et dans un joli phrasé piano, qu’elle nous fait entendre “Ewing war ich, ewing bin ich” sur les notes mélodieuses de Siegfried idyllAndreas Schager n’en est pas à son premier Siegfried, il en est même une référence. C’est un Siegfried dans les élans de sa jeunesse dont la voix projetée avec énergie conserve sa couleur dans une puissance que l’on aimerait plus nuancée par moments mais qui nous laisse entendre de belles phrases tel le “Das ist kein mann !” qui allie force et sensibilité. Graves colorés, belles prises de notes, présence et investissement; et quelle endurance tout au long de ces trois actes ! L’on regrette toutefois que cette production, un peu linéaire, ne rende pas assez la tension amoureuse contenue dans le duo final. Une mise en scène fournie et pourtant assez plate dans le registre émotionnel comme si Valentin Schwarz avait un peu de mal à parler d’amour. N’avait-il pas déjà occulté la passion éprouvée par Siegmund et Sieglinde dans La Walkyrie ? Les costumes actuels conçus par Andy Besuch n’apportent rien de particulier à cette deuxième journée pourtant pleine de rebondissements, pas plus que les lumières de Reinhard Traub sans trop de reliefs, mais joli contre-jour pour la scène finale. Les décors d’Andrea Cozzi n’ont rien de rare non plus et manquent d’originalité. Seul l’orchestre aux sonorités si particulières, dirigé par un Pietari Inkinen fougueux, nous immerge dans cette musique reconnaissable entre toutes avec ces lietmotive qui évoquent personnages et situations avec plus ou moins de force, faisant ressortir les accents wagnériens qui illustrent cette œuvre et soulèvent l’enthousiasme du public. Les huées d’usage pour cette production avant un déferlement d’applaudissements très mérités pour les artistes.