Bayreuther Festspiele 2023: “Parsifal”

Bayreuth, Festspielhaus saison 2023
“PARSIFAL”
Opéra en 3 actes, livret de Richard Wagner
Musique Richard Wagner
Amfortas DEREK WELTON
Titurel TOBIAS KEHRER
Gurnemanz GEROG ZEPPENFELD
Parsifal ANDREAS SCHAGER
Klingsor JORDAN SHANAHAN
Kundry EKATERINA GUBANOVA
1. Gralsritter SIYABONGA MAQUNGO
2. Gralsritter JENS-ERIK AASBO
1. Knappe BETSY HORNE
2. Knappe MARGARET PLUMMER
3. Knappe JORGE RODIGUEZ-NORTON
4. Knappe GARRIE DAVISLIM
Klingsors Zaubermädchen : EVELIN NOVAK, CAMILLE SCHNOOR, MARGARET PLUMMER, JULIA GRÜTER, BETSY HORNE, MARIE HENRIETTE REINHOLD
Altsolo MARIE HENRIETTE REINHOLD
Orchestre & Choeur du Festspielhaus
Direction musicale Pablo Heras-Casado
Chef de Chœur Eberhard Friedrich
Régie Jay Cheib
Décors Mimi Lien
Costumes Meentje Nielsen
Video Joshua Higgason
Dramaturgie Marlene Schleicher
Bayreuth, le 27 août 2023
Le 27 août était donnée la dernière représentation de Parsifal pour la saison 2023, toujours dans l’esprit “Werkstatt” l’Atelier Bayreuth et ses expérimentations scéniques. Une nouvelle technique “la réalité augmentée “allait réinventer la vision de Parsifal sans lien particulier avec l’action. A l’aide de lunettes, 330 personnes parmi le public allaient voir des images virtuelles qui n’existent pas sur la scène, plongeant ces personnes dans un irréel étrange où volent des arbres, des pierres, des sacs en plastique, toutes sortes de détritus, des fleurs, des mains coupées, des lances qui semblent vouloir vous transpercer et le cygne mort, ensanglanté, devant un renard vous regardant fixement. Ces images hors de propos, mais ayant sans doute un lien avec l’écologie et l’extraction des métaux lourds “polluent” la vue et rétrécissent le champ visuel de la scène. Et pourtant…Y-a-t-il œuvre plus christique que Parsifal ? Richard Wagner n’est jamais autant inspiré dans ses phrases musicales que lorsqu’il évoque la spiritualité, le sacré, Lohengrin ou Parsifal son dernier ouvrage. Alors, pour ces phrases musicales, avec ces accords qui, en deux notes, vous font passer du mode mineur au mode majeur pour une note d’espoir, l’on s’attend à des images qui vous transportent et vous élèvent. Ce ne sera pas le cas.  Et pourtant, quoi de plus inspiré que la musique de “l’Enchantement du Vendredi Saint” au troisième acte ? Si la régie confiée à Jay Scheib suit l’œuvre de Wagner sans rien y changer, l’on n’y trouve rien de spectaculaire ni rien de très beau. Les décors sommaires de Mimi Lien nous transportent d’une scène complètement vide, si ce n’est un immense poteau, dans les jardins de Klingsor où évoluent les Filles Fleurs dans un cadre naïf dont la végétation fluorescente semble sortie d’une peinture du Douanier Rousseau. Le dernier acte présente une terre désolée et enneigée aux couleurs blafardes qui se colore peu à peu le printemps revenu, après la guérison d’Amfortas. Mais que fait cette horrible machine rouillée encombrant un côté de la scène et dominant la pièce d’eau verdâtre où va se baigner Amfortas, sert-elle à l’extraction de métaux ? Assez étrange aussi l’idée de présenter le corps de Titurel, mort, enveloppé dans un grand sac en plastique noir, simplement déposé sur la berge. Les costumes imaginés par Meentje Nielsen n’ont rien d’esthétique non plus. Les Chevaliers du Graal vêtus de longues tuniques blanches et jaunes au début, les changeront contre des tenues style camouflage d’un vert fluorescent au dernier acte. Très inesthétiques aussi, les Filles Fleurs dans leurs toilettes suggestives roses, les seins dénudés. Pas plus compréhensible non plus la jupe jaune et les bottes noires de Kundry, ni le survêtement rouge d’un Parsifal revenu d’un long voyage. Et alors Klingsor portant un casque à cornes, son costume rose est-il une référence à son émasculation ? Des clichés enfantins, mais jamais très beaux. Les lumières de Rainer Casper tentent de donner une cohérence à tout cela sans y parvenir vraiment, une grande couronne lumineuse dont les lumières évoquent la couronne d’épines apparaît sur un fond bleu, orange ou vert selon les situations. Joli effet tout de même au deuxième acte où Kundry dans une pièce toute noire semble assujettie à l’apparition de Klingsor, figure hiératique, tout de rose vêtu se détachant des murs sombres dans une forme géométrique, rose aussi, dont le dessin évoque celui du Graal, selon Jay Scheib, Graal de cristal que Parsifal brisera. Seule image vraiment jolie dans tout ce Parsifal. Entre les objets qui volent et une mise en scène d’une grande platitude, l’on a du mal à se laisser transcender par la musique. Pablo Heras Casado est-il responsable ? Certes non. Pour sa première direction au Festspielhaus, le chef d’orchestre espagnol fait de son mieux mais n’est pas porté par le visuel. Il trouve pourtant les sonorités qui font résonner les thèmes sans les forcer dans une souplesse bien venue. Dès le prélude de l’acte I, avec des sons qui viennent de loin, le tempo lent permet de poser les sons sans précipitation, de les faire attendre et de laisser sonner les fins de phrases. La sonorité des violons dans toute leur longueur d’archet, l’ampleur et la douceur du dernier accord sont comme une lente ouverture vers cette quête du Graal qui se passerait bien des vidéos de Joshua Higgason dont les images en blanc et noir nous montrent Gurnemanz cédant au péché de la chair, source de toutes les malédictions. L’on apprécie cette direction habitée dans l’Enchantement du Vendredi Saint que l’on écoute en fermant les yeux. George Zeppenfeld, dans un chant clair et posé, est un Gurnemanz solide. S’il n’a pas ici le côté sombre de certaines voix de basse, il a une grande musicalité dans l’expression et une certaine assise dans son chant qui confinent à la sagesse du personnage. Le timbre de sa voix est rond, homogène dans un récit expressif. Andreas Schager après avoir interprété Siegfried est maintenant Parsifal. Venu remplacer Joseph Calleja, il prend le rôle à bras le corps dans une voix sensible qui s’affermit au cours de son récit. On apprécie sa voix solide et timbrée dans de dramatiques et puissants “Die Wunde !” aussi bien que son médium intense et coloré alors qu’il fait entendre un “Nur eine waffe taugt” sonore et projeté. Une très belle interprétation. La Kundry d’Ekaterina Gubanova est puissante, inquiétante dans un soprano coloré et expressif dont l’ampleur permet des écarts d’intervalles précis et homogènes. Séductrice, voix suave “Ich sah das kind an seiner Mutter Brust” ou plus incisive et menaçante “Graussamer” dans des graves et des aigus puissants qui conservent leur couleur. Peu servie par la mise en scène, la soprano russe impose son personnage. Sur les sonorités des cors, Jordan Shanahan projette avec force sa voix de basse colorée aux aigus puissants pour un Klingsor maléfique. Il affronte Kundry dans un grand investissement et une autorité qui n’accepte aucun refus. Le baryton australien Derek Welton est un Amfortas remarqué. Sa voix forte et chaleureuse dans un medium coloré projette chaque intervention. Beaucoup de musicalité dans son phrasé et bel investissement dans son jeu. L’on est déduit pas le timbre rond et chaleureux de sa voix. Autre voix grave qui impressionne, celle du Titurel de Tobias Kehrer qui, dans un rôle court, laisse résonner ses phrases avec puissance ; voix a cappella timbrée. Les Chevaliers Siyabonga Maqungo et Jens-Erik Aasbo, et les Ecuyers Betsy HorneMargaret Plummer, Jorge Rodriguez-Norton et Garrie Davislim sont remarqués pour leurs interventions pertinentes et très en place. Les voix des Filles Fleurs Evelin Novak, Camille Schnoor, Margaret Plummer, Julia Grüter, Betsy Horne et Marie Henriette Reinhold, joyeuses et enlevées apportent un peu de fraîcheur dans des rythmes précis. Le Chœur du Festspielhaus très bien préparé par Eberhard Friedrich fait ici une prestation exemplaire. Chœur des Chevaliers d’une grande homogénéité, dans le piano comme dans la puissance pour le chant religieux de L’Enchantement du Vendredi Saint, et Chœur de coulisses a cappella. Il est à regretter que ces chants, summum d’intensité musicale, ne soient pas mieux servis par une mise en scène plus adaptée. Malgré la pauvreté scénique et l’encombrement des images virtuelles, la musique et la qualité des voix soulèvent l’enthousiasme d’un public qui se déchaîne en applaudissements. La magie du lieu et de la musique de Richard Wagner opère toujours.