Bayreuth, Festspielhaus saison 2023
“GÖTTERDÄMMERUNG” (Le crepuscole de dieux)
Opéra en 3 actes, livret de Richard Wagner
Musique Richard Wagner
Siegfried ANDREAS SCHAGER
Gunther MARKUS EICHE
Alberich OLAFUR SIGURDARSON
Hagen MIKA KARES
Brünnhilde CATHERINE FOSTER
Gutrune AILE ASSZONYI
Waltraud CHRISTA MAYER
1. Norn OKKA VON DER DAMERAU
2. Norn CLAIRE BARNETT-JONES
3. Norn KELLY GOD
Woglinde EVELIN NOVAK
Wellgune STEPHANIE HOUTZEEL
Flosshilde SIMONE SCHRÖDER
Grane IGOR SCHWAB
Orchestre & Choeur du Festspielhaus
Direction musicale Pietari Inkinen
Chef de Chœur Eberhard Friedrich
Régie Valentin Schwarz
Décors Andrea Cozzi
Costumes Andy Besuch
Dramaturgie Konrad Kuhn
Lumières Reinhard Traub
Adaptation lumières 2023 Nicol Hunsberg
Vidéo Luis August Krawen
Bayreuth, le 26 août 2023
Le 26 août marque la fin de l’édition 2023 du Ring des Nibelungen avec Götterdämmerung, toujours dans la conception de Valentin Schwarz ; nous espérons vivement que son Crépuscule n’annoncera pas celui de ce Festival qui compte tant pour les inconditionnels de Richard Wagner et les mélomanes du monde entier. Y-a-t-il lieu plus mythique que le Festspielhaus de Bayreuth pour écouter cette musique alors que le compositeur l’a conçu dans ses moindres détails, rendant invisibles l’orchestre et son chef, afin que le public puisse se concentrer sur l’œuvre, et l’œuvre seulement ? Hélas ! L’on ne dit plus le Ring de Wagner mais bien le Ring de Castorf ou celui de Schwarz… Depuis plusieurs années la Colline verte est devenue le Werkstatt Bayreuth (Atelier Bayreuth), lieu d’expérimentation scénique, aussi militons-nous pour que la phrase écrite en son temps par Albert Lavignac : “On va à Bayreuth comme l’on veut, à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux” soit d’actualité pendant de nombreuses décennies encore, bien que le plus sûr moyen d’y arriver soit encore de prendre le train ou l’avion. Si pour ce dernier volet et dernière journée de L’Anneau des Libelungen monsieur Schwarz manque d’idées, celles qu’il nous propose sont d’une grande laideur dans des transpositions qui n’ont de sens que pour lui. Ainsi, Siegfried ne part plus à la chasse, il va pêcher avec sa fille dans un Rhin asséché, en fait une piscine vide où évoluent les filles du Rhin et ici, Brünnhilde et Siegfried ont eu un enfant, source de conflits. Dans les décors imaginés par Andrea Cozzi, nous passons d’un intérieur en bois blond où vit le couple, déjà utilisé dans de précédents volets, à la demeure des Gibischung habitée par Gunther et sa sœur Gutrune d’une vulgarité stupéfiante. Dans une grande pièce où trône un canapé blanc, l’on peut voir quelques statues, certaines étant des symboles contenus dans l’œuvre de Richard Wagner, et c’est dans cette piscine sans eau que mourra Siegfried veillé par une Brünnhilde inconsolable caressant la tête de Grane, son cheval mort, qui est ici son fidèle serviteur. Pour rester dans la légende wagnérienne, elle s’immolera en s’arrosant d’essence, mais n’ira pas jusqu’à l’enflammer. L’image de la fin est assez étonnante, sous une haute structure en forme de dôme, Wotan se balance, pendu haut, éclairé par une suite de néons aux lumières blafardes dans la conception de Reihnard Traub. Ainsi finissent les Dieux avec cette pyramide lumineuse qui s’éteint définitivement. Pyramide de verre qui a traversé la Tétralogie, passant de mains en mains et qui, nous le supposons, représentait le pouvoir. Que de mots inutiles pour tenter d’expliquer les idées d’un metteur en scène qui va jusqu’à nous montrer un Siegfried violant avec force Gutrune sous les yeux de son enfant. Il fut un temps où la mise en scène était en rapport avec la musique. Temps révolus, la musique n’est plus qu’accessoire et le metteur en scène règne en maître dans le temple de Wagner. Avec le Siegfried d’Andreas Schager, magistral, monumental, (venu ici remplacer Stephen Gould) et qui, en plus de ce rôle écrasant qu’il interprétait aussi dans le volet précédent, sera Parsifal. Le jeune Siegfried a coupé cette longue chevelure blonde qui lui allait si mal, il est maintenant un homme qui laisse éclater sa voix avec la force de la maturité et c’est dans ce timbre toujours chaleureux qu’il laisse triompher ses aigus pour le récit de ses exploits futurs. Dans une santé vocale qui défie les dieux, le ténor autrichien, véritable heldentenor, déploie ici toutes les facettes de sa voix dans un volume jamais agressif, avec sensibilité dans le phrasé et musicalité dans les nuances. Investi dans son jeu, Andrea Schager est un Siegfried d’une solidité époustouflante qui domine la partition de bout en bout sans aucune faiblesse dans une voix homogène qui garde sa couleur. Superbe ! Nous retrouvons Catherine Foster, la Brünnhilde de Walkyrie avec cette voix vigoureuse et riche en couleurs qui donne du caractère à ce rôle, tenant tête à Siegfried dans un volume vocal timbré et des aigus dramatiques ou affrontant Waltraute dans des échanges tendus. Une Brünnhilde dont les émotions suivent la musique et, si les éclats de ses colères impressionnent, l’on est touché par la douleur qui ressort dans des phrases aux couleurs délicates sur une belle longueur de souffle. La soprano anglaise réussit à nous émouvoir malgré une mise en scène sans grand relief. Nous retrouvons le jeune Hagen devenu adulte dans la voix forte de la basse finlandaise Mika Kares. Voix ample, sombre qui laisse résonner les graves tout en lançant des “Hoiho ! hoiho ho ho…” sonores. Sa belle technique lui permet un phrasé musical lors de ses échanges avec Gunther ou Alberich alors qu’il s’exerce à la boxe sur un punchingball. Nous retrouvons aussi l’Alberich d’Olafur Sigurdarson tel que dans les volets précédents, même jean, même blouson de cuir, même barbe, mais surtout même voix percutante aux aigus solides dans des ponctuations et des inflexions qui suivent la musique ; une interprétation toujours remarquée. Christa Mayer, la Fricka des deux premiers volets, interprète ici Waltraute, sœur de Brünnhilde qu’elle tente de résonner au cours d’un échange musclé, mais sans succès. Ni sa voix suave alors qu’elle évoque leur père Wotan, ni la force de sa voix au timbre homogène alors qu’elle se fâche, rien ne fera céder Brünnhilde. Très belle interprétation ! Alors qu’il triomphe dans Tannähauser (Wolfram), Markus Eiche reprend le rôle de Gunther, pour un remplacement au pied levé, dans une représentation assez étrange pour le chef du clan Gibischung, cheveux longs et allure de rocker. Si la voix est sonore, son jeu agité nuit à la projection et enlève du caractère au personnage. Un Gunther assorti à sa sœur Gutrune présentée dans une vulgarité aguichante aux interventions sonores qui manquent de charme. Les filles du Rhin Evelin Novak, Stephanie Houtzeel et Simone Schröder, tentent de donner un peu de légèreté à leur chant. Difficile dans ces costumes et ce maquillage vulgaire qui n’a rien à voir avec la fluidité de la musique. Seules les trois Norn paraissent assez réussies dans leurs costumes étranges, les seuls remarquables dans la conception d’Andy Besuch. L’on apprécie les voix d’Okka von der Damerau, Claire Barnett-Jones, et Kelly God pour un trio équilibré dans un jeu cohérent. Pas d’idée pour l’emploi du Chœur, confiné sur scène, statique dans des costumes noirs, affublés de masques rouges. Homogénéité sonore, vigueur des voix masculines aux rythmes marqués et au volume approprié. Notons aussi le rôle muet de Grane, souvent présent depuis Walkyrie. Pietari Inkinen, a su tenir l’orchestre, imposant ses tempi et surtout les couleurs qui font le charme de la musique de Richard Wagner. Les sons venus de loin, la rondeur des sonorités de chaque instrument soliste, le relief des lietmotive et l’homogénéité des cordes et de chaque pupitre. Si l’on ne va pas à Bayreuth pour la mise en scène, l’on y vient pour les voix et la musique superbement interprétée. Des voix dont la qualité et l’endurance défient par moment le rationnel. Les applaudissements d’un public debout qui tarde à s’arrêter tant il a été subjugué tout au long de ce très long voyage par la qualité des artistes, après les huées d’usage pour cette production. Les metteurs en scène ont-ils conscience du travail fourni par ces artistes ?