Bayreuther Festspiele 2023: “Das Rheingold”

Bayreuth, Festspielhaus saison 2023
“DAS RHEINGOLD” (L’or du Rhin)
Prologue en 1 acte, poème et livret de Richard Wagner
Musique Richard Wagner
Wotan TOMASZ KONIECZNY
Donner RAIMUND NOLTE
Froh ATTILIO GLASER
Loge DANIEL KIRCH
Fricka CHRISTA MAYER
Freia HAILEY CLARK
Erda OKKA VON DER DAMERAU
Alberich OLAFUR SIGURDARSON
Mime ARNOLD BEZUYEN
Fasolt JENS-ERIK AASBO
Fafner TOBIAS KEHRER
Woglinde EVELIN NOVAK
Wellgunde STEPHANIE HOUTZEEL
Flosshilde SIMONE SCHRÖDER
Direction musicale Pietari Inkinen
Orchestre du Festspielhaus
Régie Valentin Schwarz
Décor Andrea Cozzi
Costumes Andy Besuch
Dramaturgie Konrad Kuhn
Lumières Reinhard Traub
Adaptation lumières 2023 Nicol Hungsberg
Vidéo Luis August Krawen
Bayreuth, le 21 Août 2023
Der Ring des Nibelungen, le cycle de 4 ouvrages de Richard Wagner était présenté pour la dernière fois de la saison 2023 et le Prologue “Das Rheingold” était donné en cette soirée du 21 août. Cette production conçue en 2022 par le metteur en scène Valentin Schwarz n’a fait l’unanimité ni de la presse ni du public. Loin de la conception de Richard Wagner, la déception est grande. Les huées qui fusent dès que le rideau se ferme, et ceci dès les premières représentations, démontrent assez bien l’insatisfaction, la déception, la colère même d’un public frustré. Mettant de côté le mythe et les symboles qu’affectionnait Richard Wagner, Valentin Schwarz garde la musique et le livret (c’est le moins que l’on puisse faire) et raconte une autre histoire. Ici point de Dieux, de Walhalla, mais une saga familiale où l’on se dispute le pouvoir et l’argent, l’un n’allant pas sans l’autre, et peu importent les incohérences et les situations improbables. Ce que l’on peut accepter dans un récit onirique est ici mal venu sur cette musique aux effets grandioses aux dimensions d’un Walhalla. Le metteur en scène impose son point de vue et veut nous raconter des histoires de personnes actuelles. Cela fonctionne-t-il avec cette musique ? La réponse est non ! Vient-on à Bayreuth qui ne vit et ne respire que par Richard Wagner pour les images conçues par ce metteur en scène de 33 ans habitué aux sagas distribuées par Netflix ? La réponse est encore non ! Le public boude et laisse des billets invendus, le public siffle… Il veut être en communion avec le compositeur, savourer sa musique sans être sans cesse dérangé par ce qu’il voit et par une mise en scène qu’il ne comprend pas toujours. Voler l’or contenu dans le Rhin ? C’est stupide, c’est ringard. Comment alors affaiblir une grande famille au sommet de sa puissance ? C’est simple on lui volera ses enfants, ses héritiers et c’est ce que fera Alberich en enlevant le jeune garçon qui deviendra l’objet de bien des convoitises. Les Filles du Rhin sont des nurses qui pataugent dans un petit bassin en surveillant les enfants et Alberich qui tentera de les séduire, sans succès, renoncera à l’amour et choisira la quête de la puissance. Ici Alberich et Wotan sont des frères jumeaux qui se détestent… Et tout commence par une vidéo où les deux fétus, reliés par le cordon ombilical, nagent dans le liquide amniotique… Début de la saga. Une maison cossue, celle de Wotan et Fricka, les géants sont les architectes du Walhalla qui, pour se faire payer vont enlever Freia, déesse de la jeunesse dans la conception de Richard Wagner. Les enfants, symbole de la puissance ont ici un grand rôle. Ils jouent, vêtus de rose, dans une nurserie vitrée sous la garde de Mime. Tout est assez confus dans ce récit où l’on sort souvent les revolvers. Heureusement les leitmotive nous guident et l’on reconnaît celui des géants, alors que l’un tue l’autre, celui de Donner, dieu du tonnerre… Dans ce remue-ménage continuel d’enlèvements l’on perd parfois la musique mais les voix solides et sans faiblesse soutiennent notre attention. Evelin NovakWoglinde, Stephanie HoutzeelWellgunde, Simone Schröder, Flosshilde, Les Filles du Rhin font retentir leurs voix fraîches et équilibrées dans des rythmes précis et des rires insolents en réponse à la voix grave et projetée du baryton Olafur Sigurdarson cet Alberich au caractère inquiétant dont le physique et le tempérament sont taillés pour ce rôle et qui vient d’enlever le jeune garçon. C’est dans un intérieur cossu que nous rencontrons Wotan, le maître des lieux. Tomasz Konieczny impose son timbre de baryton-basse dans une belle ligne de chant qui laisse résonner les graves. Si cette production lui enlève sa lance et son bandeau sur l’œil, sa prestance et la force de son interprétation le font reconnaître comme le chef de cette famille.
Le Loge de Daniel Kirch aux manières précieuses met un peu de fantaisie avec son jeu vif et sa voix de ténor percutante et bien placée. Plus mafieux que GéantsTobias Kehrer et Jens-Erik Aasbo, Fafner et Fasolt, font résonner leurs voix de basses et donnent du relief à leur interprétation dans un phrasé très musical. Venus pour enlever Freia, ils repartiront avec elle malgré ses plaintes exprimées par la voix puissante du soprano chaleureux d‘Hailey Clark. Voix de caractère aussi, la Fricka de Christa Mayer, toujours appréciée pour sa force, son interprétation et la rondeur de son mezzo-soprano. Autre voix de femme très remarquée, le contralto de Okka von der Damerau qui prête son humanité à Erda dans de belles prises de notes et un phrasé qui n’exclut pas les nuances et laisse résonner les graves. On remarque aussi le baryton de Raimund Nolte pour un Donner puissant aux aigus soutenus ainsi que la voix du ténor Attilio Glaser pour un Froh rythmé à la voix projetée. Le leitmotiv des enclumes nous présente le Mime d‘Arnold Bezuyen dans la nurserie où les enfants sont rassemblés. Très investi dans son jeu, cette interprétation parfois amusante laisse toutefois apprécier une voix puissante au timbre rond et au phrasé musical. Dans ce concept où règne parfois la confusion avec ces divers enlèvements d’enfants qui remplacent l’or et l’anneau, l’on retient la superbe performance des chanteurs bien dirigés, dont les voix aux inflexions toujours justes ont su suppléer une mise en scène peu en rapport avec la grandeur de la partition, la subtilité des accords et des enchaînements musicaux.La direction musicale de Pietari Inkinen ne convainc pas d’emblée comme si le chef finlandais avait du mal à trouver immédiatement les sonorités particulières de cet orchestre. Mais peu à peu l’unité se fait, les sons se fondent tout en laissant ressortir les instruments solistes et créent la magie propre à ce lieu qui résiste à toutes les incohérences des divers metteurs en scène. Ni les lumières revues par Nicol Hungsberg, ni les costumes actuels créés par Andy Besuch, ni même les décors parfois trop chargés d‘Andrea Cozzi ne réussiront à rendre les atmosphères étranges ou maléfiques de ce premier volet du Ring des Nibelungen. Mise en scène huée dès la fermeture du rideau, mais longues, longues minutes d’un tonnerre d’applaudissements pour ces chanteurs remarquables et l’orchestre. Quelle ferveur dans ce théâtre où Richard Wagner règne en maître !