Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2023
London Symphony Orchestra
Direction musicale Suzanna Mälkki
Direction musicale Suzanna Mälkki
Piano Kirill Gerstein
Kaija Saariaho: Lumière et Pesanteur; George Benjamin: Concerto pour orchestre; Paul Hindemith: Symphonie “Mathis der Maler”; Sergueï Rachmaninov: Concerto pour piano n°3 en ré mineur, op.30
Aix-en-Provence, le 20 juillet 2023
Programme assez hétéroclite pour ce concert donné au Grand Théâtre de Provence en cette soirée du 20 juillet 2023 avec le London Symphony Orchestra dirigé par Suzanna Mälkki et des musiques allant du tout début du XX° siècle à l’année 2021 ; une évolution musicale de plus d’un siècle. Une œuvre de Kaija Saariaho a été rajoutée en hommage à la compositrice disparue le 2 juin 2023 à Paris : Lumière et Pesanteur (d’après la “huitième station” de La Passion de Simone). Intéressée par la musique spectrale, Kaija Saariaho compose ici une œuvre pour grand orchestre auquel elle ajoute vibraphone, crotales ou glass wind chimes. Cette musique d’atmosphères donne des sons mystérieux ou des phrases musicales qui jouent sur les nuances et les vibrations en utilisant les possibilités de chaque instrument, vibration du tam-tam, large vibrato des violons avec des sons qui viennent de loin. Si l’on n’est pas ici comme dans la musique spectrale avec la décomposition des sons, ceux-ci, joués avec lenteur nous donne un aperçu de certaines de ses autres compositions. Suzanna Mälkki dirige avec élégance et précision cette musique aux ambiances éthérées. Avec le Concerto pour orchestre de George Benjamin, le programme annoncé reprenait son cours. Cette œuvre, créée le 30 août 2021 au Royal Albert Hall de Londres, est composée en hommage au compositeur Olivier Knussen décédé en 2018. Dans ce concerto George Benjamin met en valeur chaque instrument, leur écrivant solos et soli, et cherche à rendre avec réalisme l’énergie et le caractère enjoué de son ami défunt en utilisant des contrastes de rythmes et de sonorités (grondements de timbales, sons de violons sans vibrato) et, s’il emploie la clarinette contrebasse, c’est sans doute avec le tuba qu’il explore avec le plus d’intensité les sons graves. Si nous préférons le George Benjamin compositeur d’opéras, nous lui devons de reconnaître que cette œuvre fait montre d’une grande inventivité dans sa technique de composition avec des sons jamais agressifs même au plus fort des fortissimi passant par des clarinettes et hautbois jouant pavillons relevés, pour arriver aux bruissements pianissimo des violons. Chaque instrument joue ici un rôle particulier dans l’évocation de la personnalité d’Olivier knussen avec les rythmes des trompettes, les pizzicati des violoncelles, les cymbales frappées ou l’expression des violons. Une évocation aux couleurs diverses dirigée avec clarté par le compositeur à la tête d’un orchestre réactif aux solistes d’une grande virtuosité. Remontant un peu dans le temps, le programme nous proposait une œuvre de Paul Hindemith. Cette œuvre, Symphonie “Mathis der Maler”, créée à Berlin le 12 mars 1934 mettant en scène le peintre Matthias Grünewald, à qui l’on doit le retable d’Issenheim consacré à saint Antoine, servira de trame à son opéra du même nom. Paul Hindemith voit dans cette œuvre de la Renaissance comme un écho à l’époque qui est la sienne. Composée en trois parties, cette symphonie de moins de 30 minutes nous donne à voir quelques images inscrites dans cette peinture. Le concert des anges donné à Marie et à l’enfant Jésus est empreint de lumière, de joie avec le son éthéré des flûtes, mais aussi de majesté alors que le compositeur emploie trombones et tuba dans une sorte de choral religieux. Une fresque rythmée et colorée dans une écriture expressive. Inspiré de La mise au tombeau, ce deuxième mouvement, plus lent et aux sons posés, est propice à la méditation avec ce solo de flûte venu du ciel sur des archets aux accents douloureux et aux phrases langoureuses jouées avec retenue. Ambiance tout à fait différente dans le troisième mouvement qui évoque la tentation de saint Antoine et, comme dans le tableau de Jérôme Bosch, les images ici sont terrifiantes. Si le son des violons semble venu des profondeurs l’on peut ressentir les sentiments de peur de saint Antoine dans les accords secs joués forte ou les vibrations des cuivres avec ces trompettes qui semblent appeler à l’aide. Une interprétation imagée pour cette musique expressive qui s’achève sur un choral de cuivres aux accents religieux. Dans une direction large mais précise, Suzanna Mälkki laisse sonner l’orchestre jusque dans les dernières vibrations des sons. La deuxième partie de ce concert était consacrée au concerto N°3 de Sergueï Rachmaninov avec en soliste le pianiste de nationalité américaine Kirill Gerstein. Ce concerto, décrit comme injouable, sera créé à New York par le compositeur le 28 novembre 1909, son dédicataire Joseph Homann refusant de le jouer. Il est vrai que cette composition d’une virtuosité époustouflante demande technique, force et endurance, mais aussi souplesse et musicalité dans des envolées romantiques chères à Rachmaninov. Ce concerto écrit en trois mouvements, dont les deux derniers sont enchaînés, abonde de mélodies entrecoupées de passages hautement techniques, physiques même, dont le Finale est écrit sous forme de variations. Kirill Gerstein connu pour sa puissance et sa technique sans faille s’empare du piano et de la partition. Dire que nous avons été séduits par son interprétation n’est pas tout à fait exact. Subjugués par sa technique, peut-être mais séduits non. Dès les premières notes nous sommes “happés” par un toucher sec, presque agressif dans les triples forte. Certes le jeu est clair, d’une grande précision, mais les tempi vifs du premier mouvement qui laissent ressortir la virtuosité n’apportent pas une grande cohérence musicale ni même dans la cadence. Kirill Gerstein se laisse-t-il emporter par la puissance oubliant la sensibilité jusque dans les thèmes d’un grand romantisme ? Dans la longue exposition du deuxième mouvement et sans doute porté par l’envolée des violons le pianiste assouplie son jeu, lie les sons et nuances les phrases musicales avant d’enchaîner les variations du troisième mouvement avec plus de charme, passant du jeu perlé au marcato appuyé. Pourquoi donc ses phrases musicales n’aboutissent-elles pas, trop de technique, trop de son ? Entraîné par les timbales et la caisse claire, le concerto se termine dans un accelerando endiablé joué fortissimo. Si la direction de Suzanna Mälkki nous avait convaincus dans la première partie du concert, nous sommes plus dubitatifs quant au concerto. Avec une gestuelle répétitive, la chef d’orchestre n’est pas arrivée à une cohérence entre orchestre et soliste et malgré les belles sonorités de chaque pupitre et les tempi justes, les nuances parfois brutales coupant certaines phrases musicales donnaient l’impression à l’auditeur que pianiste et orchestre jouaient deux partitions différentes. Une interprétation éclatante et très applaudie. Toutefois, c’est avec un plaisir réel que nous avons écouté le pianiste, pas du tout éprouvé par ce concerto très physique, dans un bis des plus sensibles. Rachmaninov encore pour cet arrangement de la Romance op.4 N°3 écrit pour soprano et piano. Le toucher délicat joué dans un phrasé musical et langoureux, avec des respirations et des nuances piano, apporte délicatesse et douceur à cette romance tout en nous réconciliant avec le pianiste. Une soirée aux émotions musicales multiples fort appréciée par un auditoire conquis.