Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume, saison 2023
“PICTURE A DAY LIKE THIS”
Opéra en un acte, texte original de Martin Crimp
Musique George Benjamin
Woman MARIANE CREBASSA
Zabelle ANNA PROHASKA
Lover 1 / Composer BEATE MORDAL
Lover 2 / Composer’s Assistant CAMERON SHAHBAZI
Artisan / Collector JOHN BRANCY
Comédiennes et comédiens :
LISA GRANDMOTTET, EULALIE RAMBAUD, MATHIEU BAQUEY
Orchestre Mahler Chamber Orchestra
Direction musicale Sir George Benjamin
Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumière Daniel Jeanneteau, Marie-Christine Soma
Costumes Marie La Rocca
Vidéo Hicham Berrada
Création mondiale
Création mondiale
Aix-en-Provence, le 8 juillet 2023
Après la création mondiale en 2012 de Written on Skin qui créa l’événement, son compositeur George Benjamin est une nouvelle fois invité au Festival Lyrique d’Aix-en-Provence pour une autre création, très attendue: Picture of a day like this. Ce sera une réussite incontestée. Homme aimable et compositeur habité, George Benjamin revient, dans le programme de salle, sur sa rencontre avec l’écrivain Martin Crimp, britannique lui aussi, pour une collaboration de quatre opéras déjà: Into the Little Hill, Written on Skin, Lessons in Love and Violence et maintenant Picture of a day like this. Pour cette dernière œuvre, onirisme et parcours initiatique nous projettent dans un cheminement intérieur pour une quête du bonheur. Mais le bonheur n’est-il pas dans l’acceptation de ce qui est, et le renoncement à cette quête? George Benjamin, Martin Crimp, leur équipe et les chanteurs réussiront à nous en convaincre durant 1h15 de pur enchantement visuel et musical. Nous avions tout particulièrement apprécié l’écriture de George Benjamin dans Written on Skin mais aussi lors d’un concert pendant ce même festival de 2012 où son écriture particulière nous faisait découvrir un duo composé pour deux altos. Pour ce quatrième opéra écrit à quatre mains avec l’écrivain Martin Crimp, George Benjamin nous explique la genèse de ses compositions. Tout d’abord les voix, chaque rôle est composé pour un artiste qu’il côtoie ; il étudie ses facilités, ses faiblesses et ses caractéristiques personnelles. C’est une composition “cousue main” pour chaque chanteur. La musique orchestrale (ici assez petite formation) s’adapte au texte et aux artistes jusque dans la moindre inflexion, la moindre respiration. C’est ce qui donne ces atmosphères musicales qui enveloppent le spectateur qui ne peut s’en échapper. Les compositions de George Benjamin sont basées sur les sons et, s’il existe quelques ruptures dans les scènes ou le récit, il y a toujours une cohérence musicale, un fil conducteur qui tient le spectateur totalement immergé dans le récit. Une femme est devant son enfant, mort, mais il peut être rendu à la vie si elle trouve une personne heureuse qui lui donnera un bouton prélevé sur sa manche pour preuve. Une page lui est donnée avec quelques noms pour l’aider, mais elle n’a pour ce faire qu’un temps limité : une journée. Le bonheur est subjectif, quelques apparences de bonheur, mais sommes-nous réellement heureux ou le croyons-nous simplement ? Dans cet espoir la Femme fait des rencontres et perd ses illusions le long du chemin. Sont-ce ces espoirs laissés en route qui font apparaître un bouton brillant dans la paume de sa main en dernière image ? L’image d’une femme lumineuse allégée de ses illusions laissées en route… Le texte est simple et poétique, la musique qui s’y attache, en parfait équilibre entre rythme, phrasé et un visuel en communion artistique, créé ces moments de réelle émotion. Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma (mise en scène, scénographie, dramaturgie et lumière) ont su rendre ces atmosphères, tristesse, colère, espoir-désespoir sans emphase mais avec beaucoup de justesse et une acuité visuelle qui marque les esprits et transporte le spectateur dans l’émotion intérieure de chaque personnage. L’ensemble, plutôt sombre, laisse les lumières mettre l’accent sur certains personnages ou certaines actions avec de beaux éclairages, souvent indirects, ainsi sur l’Artisan assis dans une cage de verre qui laissent ressortir son costume bleu couvert de boutons de sa fabrication. Les costumes conçus par Marie La Rocca Sont justes et sans prétentions pour un jour ordinaire mais en écho avec les personnages. Une lumière vespérale éclaire le jardin féérique de Zabelle créé par les vidéos tout en transparence de Hicham Berrada.
Les voix se fondent dans ce visuel tout en gardant les caractéristiques de chaque personnage. Marianne Crebassa, d’une grande puissance émotionnelle dans la simplicité de son jeu est cette femme désespérée, puis incrédule mais déterminée. Dans cette interprétation d’une grande justesse et sans aucun artifice, la mezzo-soprano laisse résonner sa voix chaude et colorée dans un joli vibrato mesuré. Angoisse, révolte transparaissent dans ses inflexions ou ses réponses brèves alors qu’une grande souplesse vocale permet au duo chanté avec Zabelle d’accorder les deux voix. Dans cette simplicité d’action, Marianne Crebassa fait vivre le spectateur au gré de ses émotions, soutenue par une musique enveloppante qui la met en valeur. Le premier couple rencontré pourrait faire croire au bonheur; un lit où deux jeunes gens, dans un éclairage doré et des images esthétiques, expriment leur tendresse ; caresses, mots d’amour dans un chant presque religieux laissent vite place à une querelle. Beate Mordal, cette amoureuse à la voix claire et affirmée de soprano, fait face à son superbe amoureux dont la voix prenante de contre-ténor envoûte. Cameron Shahbazi qui donne l’image d’un homme heureux laisse assez vite tomber le masque. Il sera aussi l’Assistant de la Compositrice, Beate Mordal encore, qui montrera son égocentrisme dans une voix mordante et projetée. La femme n’aura pas plus de chance avec l’Artisan qui, dans son costume bleu paraît être un artisan heureux. Mais la perte de son travail l’a rendu accro à la drogue et à l’automutilation. Le baryton John Brancy laisse résonner sa voix chaleureuse et puissante dans une belle ligne de chant et un médium coloré aux aigus en falsetto. Mais, lui non plus n’a rien d’un homme heureux. Pas plus qu’il ne l’est dans le rôle ambigu du Collectionneur alors qu’il tente de séduire la Femme d’une voix puissante au souffle soutenu. Une très belle prestation scénique aussi. Les cloches sonnent, le temps presse, la journée s’achève. La rencontre avec Zabelle est le seul espoir mais son jardin féérique n’est-il pas lui aussi une illusion ? La voix puissante et colorée de la soprano Anna Prohaska ne correspond pas, elle non plus, à celle du bonheur recherché. Elle évoque son malheur avec de beaux graves projetés dans un récit prenant alors que les cloches égrainent les dernières minutes. La Femme se retrouve seule et chante avec un vibrato homogène et un visage très expressif tout en ouvrant une main où luit un bouton… Le bonheur est-il là ? N’oublions pas les comédiens Lisa Grandmottet, Eulalie Rambaud et Mattthieu Baquey. A la tête du Mahler Chamber Orchestra, George Benjamin a su créer des atmosphères étranges avec, pour fil conducteur, un orchestre aux rythmes précis et aux sonorités changeantes où quelques notes se frottent en dissonances sans heurter l’oreille. Une composition étudiée, travaillée mais qui semble toujours couler de source. C’est une réussite totale pour cet art total qu’est ici cet opéra, c’est aussi un immense succès qui laissera un impact durable sur chaque spectateur. Un spectacle sans fausse note. Un immense bravo! ©Photo Jean-Louis Fernandez
Les voix se fondent dans ce visuel tout en gardant les caractéristiques de chaque personnage. Marianne Crebassa, d’une grande puissance émotionnelle dans la simplicité de son jeu est cette femme désespérée, puis incrédule mais déterminée. Dans cette interprétation d’une grande justesse et sans aucun artifice, la mezzo-soprano laisse résonner sa voix chaude et colorée dans un joli vibrato mesuré. Angoisse, révolte transparaissent dans ses inflexions ou ses réponses brèves alors qu’une grande souplesse vocale permet au duo chanté avec Zabelle d’accorder les deux voix. Dans cette simplicité d’action, Marianne Crebassa fait vivre le spectateur au gré de ses émotions, soutenue par une musique enveloppante qui la met en valeur. Le premier couple rencontré pourrait faire croire au bonheur; un lit où deux jeunes gens, dans un éclairage doré et des images esthétiques, expriment leur tendresse ; caresses, mots d’amour dans un chant presque religieux laissent vite place à une querelle. Beate Mordal, cette amoureuse à la voix claire et affirmée de soprano, fait face à son superbe amoureux dont la voix prenante de contre-ténor envoûte. Cameron Shahbazi qui donne l’image d’un homme heureux laisse assez vite tomber le masque. Il sera aussi l’Assistant de la Compositrice, Beate Mordal encore, qui montrera son égocentrisme dans une voix mordante et projetée. La femme n’aura pas plus de chance avec l’Artisan qui, dans son costume bleu paraît être un artisan heureux. Mais la perte de son travail l’a rendu accro à la drogue et à l’automutilation. Le baryton John Brancy laisse résonner sa voix chaleureuse et puissante dans une belle ligne de chant et un médium coloré aux aigus en falsetto. Mais, lui non plus n’a rien d’un homme heureux. Pas plus qu’il ne l’est dans le rôle ambigu du Collectionneur alors qu’il tente de séduire la Femme d’une voix puissante au souffle soutenu. Une très belle prestation scénique aussi. Les cloches sonnent, le temps presse, la journée s’achève. La rencontre avec Zabelle est le seul espoir mais son jardin féérique n’est-il pas lui aussi une illusion ? La voix puissante et colorée de la soprano Anna Prohaska ne correspond pas, elle non plus, à celle du bonheur recherché. Elle évoque son malheur avec de beaux graves projetés dans un récit prenant alors que les cloches égrainent les dernières minutes. La Femme se retrouve seule et chante avec un vibrato homogène et un visage très expressif tout en ouvrant une main où luit un bouton… Le bonheur est-il là ? N’oublions pas les comédiens Lisa Grandmottet, Eulalie Rambaud et Mattthieu Baquey. A la tête du Mahler Chamber Orchestra, George Benjamin a su créer des atmosphères étranges avec, pour fil conducteur, un orchestre aux rythmes précis et aux sonorités changeantes où quelques notes se frottent en dissonances sans heurter l’oreille. Une composition étudiée, travaillée mais qui semble toujours couler de source. C’est une réussite totale pour cet art total qu’est ici cet opéra, c’est aussi un immense succès qui laissera un impact durable sur chaque spectateur. Un spectacle sans fausse note. Un immense bravo! ©Photo Jean-Louis Fernandez