Festival d’Aix-en-Provence 2023: “Così fan tutte”

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2023, Théâtre de l’Archevêché,
COSI FAN TUTTE
Dramma giocoso en deux actes, livret de Lorenzo Da Ponte
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Fiordiligi AGNETA EICHENHOLZ
Dorabella CLAUDIA MAHNKE
Ferrando RAINER TROST
Guglielmo RUSSELL BRAUN
Don Alfonso GEORG NIGL
Despina NICOLE CHEVALIER
Chœur Académie Balthasar Neumann
Orchestre Balthasar Neumann
Direction musicale Thomas Hengelbrock
Chef de chœur Detlef Bratschke
Mise en scènescénographie Dmitri Tcherniakov
Costumes Elena Zaytseva
Lumière Gleb Filshtinsky
Aix-en-Provence, 21 juillet 2023
Un nouveau Cosi fan tutte inutile ! En cette soirée du 21 juillet 2023 le Festival d’Aix-en-Provence nous présentait la dernière représentation du Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart dans la nouvelle production de Dmitri Tcherniakov. Les aléas de la programmation et des pandémies ont voulu que cette nouvelle production, prévue pour être donnée en 2020, soit jouée cette année qui célèbre le 75° anniversaire de ce festival qui avait justement débuté avec Cosi fan tutte. Que de chemin parcouru depuis la première édition, alors que Gabriel Dussurget (fondateur du festival) loue une production de la compagnie suisse de Marisa Morel, et la production de Dmitri Tcherniakov… En ces années d’après-guerre les opéras de Mozart étaient peu joués en France mais ils feront, comme à Salzbourg, la renommée d’Aix-en-Provence et de son Festival. Dmitri Tcherniakov est maintenant bien connu en ce lieu et pas toujours pour de bonnes raisons ; Don Giovanni de Mozart en 2010 et 2013, puis Carmen d’après Georges Bizet en 2017, mises en scène assez controversées. Comme très souvent dans ses interprétations, le metteur en scène russe nous parle de libido…en berne. Il n’est pas ici question, comme dans le livret de Lorenzo Da Ponte, de jeunes gens qui veulent mettre à l’épreuve l’amour et la fidélité de leurs promises, mais de deux couples qui ont passé la cinquantaine et qui cherchent à pimenter leurs émois sexuels. Tout se passe dans une maison d’hôte tenue par Don Alphonse et sa compagne Despina qui s’affrontent, avec passion ou violence, cherchant aussi de nouvelles émotions. Nous sommes ici très loin du marivaudage de l’époque de Mozart et monsieur Tcherniakov éprouve le besoin d’écrire quatre pages dans le programme de salle pour nous expliquer le travail fait sur la psychologie des personnages : ” On réfléchit beaucoup, avec une grande finesse, comme si nous faisions de la dentelle…” Le résultat est plus que décevant ; révoltant même. Les élucubrations du metteur en scène nous ont fait perdre Mozart ! L’intérieur de la maison au décor actuel et impersonnel nous invite dans une vaste salle à manger/salon sur laquelle s’ouvrent deux portes vitrées donnant dans les chambres. Ici point de déguisement, les couples sont déjà d’accord, mais comme le texte de Da Ponte reste inchangé, nombre de spectateurs avouent n’avoir rien compris à ces trois heures de spectacle. Les costumes conçus par Elena Zaytseva sont contemporains avec un costume jaune pour Don Alfonso (couleur de la trahison, de l’infidélité ?) dans les lumières très banales de Gleb Filshtinsky qui n’apportent rien. Le décor ainsi posé, la suite ne nous apportera rien de plus agréable non plus. Après avoir longtemps réfléchi, et pour être en accord avec son propos, le metteur en scène pense avoir trouvé le cast idéal. Des chanteurs ayant passé la cinquantaine, d’une grande réalité, connaissant bien l’ouvrage pour l’avoir chanté il y a longtemps déjà. Ils ont accepté le défi et pourquoi pas ? Nous ne tirerons donc pas sur les chanteurs comme le fait Despina à la fin du spectacle, avec son long fusil de chasse en visant Don Alfonso, ils s’en sortent plutôt bien dans ce contexte. La soprano suédoise Agneta Eichenholz est une Fiordiligi au jeu sobre, élégante et racée son “Per pietà, ben mio perdona” est interprété avec sensibilité dans un joli phrasé musical et, si ses graves sont un peu faibles ses aigus, lancés avec une certaine agilité, sont sonores et timbrés.La mezzo-soprano allemande Claudia Mahnke, que nous avions appréciée dans le ring de Richard Wagner au Bayreuther Festspiele en 2013 dirigé par Kirill Petrenko, est une solide Dorabella, rôle qu’elle interprète dans une voix forte et bien placée. Elle chante avec tempérament ses deux Airs donnant rythme et impulsions et nous fait entendre un joli duo avec Fiodiligi ainsi qu’un terzetto équilibré “Soave sia il vento” avec Don Alfonso. Nicole Chevalier est une Despina vive qui arrive à nous faire oublier la vulgarité du personnage voulue par le metteur en scène en chantant “Signora Dorabella…In uomini in soldati” avec intelligence dans une voix puissante et bien placée. Plus parlando que cantando, le Don Alfonso de Georg Nigl garde un phrasé agréable dans un jeu assez vif, tout en rendant le côté venimeux du personnage de cette version. Essayant de donner vie à Ferrando, dans des accents sincères et passionnés, le ténor allemand Rayner Trost chante son Air “Una amorosa…” avec nuances mais sans trop de charme donnant toutefois un peu de relief à cette mise en scène plus que terne. Le baryton canadien Russel Braun est un Guglielmo moins naïf mais plus vaniteux que Ferrando. C’est avec une voix grave qu’il tente de séduire ces dames dans son Aria de l’acte I “Non siate ritrosi” ou avec plus de vigueur à l’acte II “Donne mie, la fate a tanti”. Mais sans le pétillant de Mozart. Le Chœur Académie Balthasar, bien préparé par don chef Detlef Bratschke et chantant dans la fosse d’orchestre est très en place dans chacune de ses interventions, respectant les traditions du compositeur dans l’interprétation. La direction de Thomas Hengelbrock à la tête de l’Orchestre Balthasar Neumann nous avait habitués à mieux, il est ici assez décevant. Voulant entrer dans le contexte de cette production, le chef d’orchestre atténue la brillance et la légèreté de la partition. Jouant sur des instruments d’époque, la petite harmonie sonne sans clarté, seules les trompettes et le pianoforte d’Andréas Küppers dans les récitatifs donnent relief et luminosité, sans oublier les violons au spiccato incisif. Décidément, après la production de Christophe Honoré de 2016 qui se passait en Ethiopie sous la domination de Mussolini, et celle de Dmitri Tcherniakov, le Cosi fan tutte de Mozart n’est pas à la fête au Festival d’Aix-en-Provence. Pourquoi donc défigurer les œuvres ? Pourquoi donc subir les fantasmes des metteurs en scène pendant 3h30, mal assis ? Monsieur Tcherniakov a-t-il des problèmes de libido ? Nous espérons vivement que dans ses prochaines productions il aura réglé son problème. Nous pensons aussi aux chanteurs qui donnent toujours le meilleur d’eux-mêmes. Si à la dernière représentation nous n’avons pas eu les hués du soir de la première, le metteur en scène étant déjà parti, les applaudissements d’un public consterné étaient moins fournis.