Théâtre antique, Orange, saison 2023
Orchestre Philharmonique de Nice
Direction musicale Michelangelo Mazza
Soprano Anna Netrebko
Ténor Yusif Eyvasov
Mezzo-soprano Elena Zhidkova
Baryton Elchin Azizov
Lumières Vincent Cussey
Lumières Vincent Cussey
Musique Giuseppe Verdi
Orange, le 24 juillet 2023
Orange, le 24 juillet 2023
Il n’y avait qu’à voir le Théâtre antique d’Orange et tous ses gradins occupés, en cette soirée du 24 juillet, pour comprendre que le concert de clôture des Chorégies 2023 serait le concert de l’été. En effet, après avoir annulé sa prestation pour l’édition 2019, Anna Netrebko allait enfin faire résonner sa voix jusqu’au plus hautes rangées de cet immense théâtre sous la protection de l’empereur Auguste. Soirée idéale sans vent, seule une petite brise ferait virevolter les pans de ses somptueuses robes. Maintenant, rassurés sur sa venue, les spectateurs étaient sûrs de passer une soirée mémorable. Parce que russe, parce que proche d’un président aujourd’hui conspué, certains directeurs s’octroient le droit d’interdire leurs scènes à l’immense artiste qu’est cette soprano privant ainsi le public de l’art qui est le sien. Heureusement cette politique n’a pas cours ici et, passant les frontières, la voix d’Anna Netrebko allait faire vibrer les pierres séculaires du Théâtre antique avec airs, trios et quatuors parmi les plus connus de Giuseppe Verdi. Pour ce Gala Verdi, Anna Netrebko est aux côtés de son mari le ténor Yusif Eyvazov, couple charismatique dont l’alchimie est palpable dans chaque geste, chaque regard, chaque note chantée à deux. Mais pour interpréter trios et quatuors, les voix d’Elena Zhidkova, mezzo-soprano, et d‘Elchin Azizov, baryton, viendront étayer la distribution. Anna Netrebko entre en scène et la magie opère instantanément. Elle est Lady Macbeth et lit, d’une voix grave et dramatique, cette lettre si souvent mal interprétée “Nel di della vittoria…Adio” et enchaîne “Vieni t’affretta” avec passion, force, rondeur de son et des aigus à faire trembler la statue d’Auguste. Même du fond de la scène la voix passe sans forcer et garde son homogénéité dans chaque tessiture laissant apprécier de belles prises de notes et de longues phrases tenues. Somptueuse dans sa robe rouge dont la traîne s’envole, Anna Netrebko investit la scène, seule, avec une voix qui monte, pleine, jusqu’aux derniers gradins et jusqu’à la fin de ses longues notes tenues. Belle allure, jeu vif, le ténor azerbaïdjanais dont la voix a pris de l’ampleur et de la souplesse investit lui aussi la scène avec aisance dans une voix solide et projetée. Il est un duc de Mantoue sûr de lui dont les aigus tenus passent l’orchestre avec facilité. Si l’épaisseur de son médium séduit, l’on aimerait plus de nuances et de piani dans l’interprétation de son air “Ella mi fu rapita” ou la cabaletta “Possente amor”. Chantant un peu en force sa ligne de chant manque de sensibilité, ainsi dans le quatuor de Rigoletto pour des “Bella figlia dell’ amore” aux aigus sonores mais un peu trop appuyés. Un quatuor musical toutefois dominé par les voix des deux solistes laissant la mezzo-soprano et le baryton un peu en retrait. Elchin Azizov sera plus remarqué dans l’air de Renato (Un ballo in maschera) “Alzati ! …Eri tu, che macchiavi quell’anima” dans une interprétation sans trop de puissance mais dans une diction bien projetée aux aigus timbrés et aux graves dramatiques. Belle interprétation du duo Alvaro/Carlo (La Forza del destino) “Invano Alvaro, ti celesti al mondo” où les deux hommes s’affrontent avec force, laissant ressortir la phrase musicale du ténor et le phrasé du baryton. Venu de loin, le “Pace, pace…” (La Forza del destino) sur une belle longueur de souffle est attaqué avec sensibilité par une Anna Netrebko habitée dont le timbre coloré laisse ressortir les émotions allant jusqu’à des Fatalita ! fatalita…” lancés avec force dans une voix dramatique. Aidés par l’orchestre ses Pianissimi au vibrato maîtrisé sont superbes d’intensité contenue alors qu’un rallentando bien amené laisse éclater avec force l’aigu de la “Maledizione !“. Sur un joli solo de violoncelle Yusif Eyvazov projette avec clarté sa voix aux sons soutenus dans une belle diction, s’accordant à la sonorité du basson ou de la clarinette avec plus de phrasé et de sensibilité dans son air “La vita è inferno all’ infelice…“, (La Forza del destino encore). Si les aigus sont lancés avec bravoure et investissement, la sensibilité des piani fait souvent défaut dans sa façon de chanter; sans doute la puissance lui sert-elle à assurer sa voix. C’est toujours en retrait et avec timidité qu’Elena Zhidkova interprète “Stride la vampa” de Il Trovatore. La mezzo-soprano russe semble intimidée par cette vaste scène avec ces gradins montant à l’infini et, malgré une belle carrière qui la conduira sur la scène du Bayreuther Festspiele pour être Venus dans l’Opéra de Richard Wagner Tannhäuser, c’est une Azucena bien pâlotte qui interprète ce soir cet air fameux. Toujours dans l’opéra Il Trovatore, le duo “udiste ? Come albeggi…” impressionne avec les voix équilibrées du baryton et de la soprano. Elchin Azizov affronte avec colère et dans une grande justesse d’interprétation une soprano dont la prière monte, limpide, jusqu’aux aigus chantés à l’unisson. Seul morceau dédié à l’orchestre, le ballet de l’acte III d’Otello composé pour la création parisienne de cet opéra; si ce n’est pas une des plus grandes pages de Verdi, il permet de mettre à l’honneur l’Orchestre Philharmonique de Nice avec à sa tête le maestro italo-polonais Michelangelo Mazza dont la direction élégante et souple laisse ressortir la musicalité et les belles sonorités des instruments qui composent cette phalange dans des phrases orientalisantes. Le final de l’acte I de Il Trovatore est choisi pour terminer ce concert avec ce superbe “Tacea la notte“, nous préférons, nous, rester sur la sublimissime interprétation du final d’Aïda où le couple vedette rend à merveille toute la musique, la sensibilité et le dramatique contenu dans la fin de cet ouvrage. Elle, dans une robe bleu-argent dont les pans en ailes de papillons emplissent la scène chante, dans ces pierres qui sont maintenant sa tombe, “La fatal pietra…” avec des aigus éthérés et le soutien d’un vibrato équilibré; combien poignant est son “O terra, addio“! Lui, dans un unisson d’émotions, reprend le phrasé mezza-voce sur le tremolo des violons. C’est un moment de grâce, un moment suspendu dont, seules, les pierres du Théâtre antique peuvent transmettre les vibrations. Transcendé par Anna Netrebko, Yusif Eyvazov atteint ici un très haut niveau émotionnel. Le public enthousiaste appelle un bis. Ce sera le “Libiamo” de La Traviata qui réunit le quatuor vocal pour un moment plus festif. Charme, musicalité et plaisir de chanter ensemble enchantent un public conquis qui gardera longtemps en mémoire les images et les ondes sonores de cette chanteuse exceptionnelle qui magnifie chaque note, chaque air mais aussi les interprètes qui la côtoient, les entraînant dans son sillage de musicalité et de perfection. Une soirée rare animée par les lumières conçues par Vincent Cussey qui donnent vie aux murs du Théâtre antique !