Opéra de Marseille: “Les Huguenots”

Marseille, Opéra municipal, saison 2022/2023
“LES HUGUENOTS”
Opéra en 5 actes, livret de Eugène Scribe et Emile Deschamps
Musique Giacomo Meyerbeer
Valentine KARINE DESHAYES
Marguerite de Valois FLORINA ILIE
Urbain ELEONORE PANCRAZI
Une coryphée / une jeune fille catholique EMILIE BERNOU
Une dame d’honneur / une jeune fille catholique OCEANE CHAMPOLLION
Raoul de Nangis ENEA SCALA
Le Comte de Nevers MARC BARRARD
Marcel NICOLAS COURJAL
Le Comte de Sant-Bris FRANCOIS LIS
Cossé KAËLIG BOCHE
Meru THOMAS DEAR
Thoré FREDERIC CORNILLE
Tavannes CARLOS NATALE
De Retz JEAN-MARIE DELPAS
Bois-Rosé ALFRED BIRONIEN
Maurevert GILEN GOICOECHEA
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale José Pérez-Sierra
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Louis Désiré
Décors et costumes Diego Méndez-Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Nouvelle production
Marseille, le 6 juin 2023
Giacomo Meyerbeer reviendrait-il à la mode ? Pourtant considéré comme l’initiateur du Grand Opéra Français, ce compositeur allemand, censuré par la politique nazie en tant que juif qui eut un immense succès au XIX° siècle, avait du mal à revenir sur le devant de la scène. Mais depuis quelques temps, les directeurs de théâtres semblent ne plus hésiter à le programmer, version scénique ou version concert. C’est donc avec “Les Huguenots“, et dans une nouvelle production, que Maurice Xiberras directeur général de l’Opéra de Marseille décide de terminer sa saison 2022/2023, opéra présenté pour la dernière fois sur cette scène en 1967. C’est dire si ces représentations étaient attendues. Si Giacomo Meyerbeer a su inspirer Richard Wagner et Giuseppe Verdi même, il reste dans une écriture charnière avec une technique orchestrale allemande, un art du bel canto rossinien, une déclamation française, des leitmotive et des récitatifs encore hérités de Mozart. Œuvre d’art total avec une grande sollicitation des chœurs et une orchestration assez originale qui n’hésite pas à employer des instruments solistes tels la clarinette basse, que l’on entendra pour la première fois dans un opéra ou la viole d’amour. Cette fresque historique relatant la guerre de religion en France au XVI° siècle avec la terrible nuit de la Saint-Barthélémy demande un plateau de haute tenue et un chœur d’une grande puissance. Pari tenu ici. La mise en scène est confiée à Louis Désiré et à son équipe. Désirant rendre l’ouvrage le plus compréhensible possible, le metteur en scène décide d’épurer le dispositif scénique de cette intrigue tout en gardant le côté dramatique de l’ouvrage. Les artistes sont guidés avec beaucoup d’intelligence, évitant la grandiloquence tout en mettant l’accent sur le caractère de chaque personnage les faisant évoluer avec vivacité, force ou mystère dans le complot. Diego Mendez-Casariego signe les décors et les costumes. Peu de décors mais utiles. Des panneaux, des murs ou des cloisons descendent des cintres, ainsi que de larges bandes transparentes maculées de sang lors des affrontements. Une ouverture nous laisse entrevoir les jardins du château de Chenonceau où se tient la cour de Marguerite de Valoisreine de Navarre, pas de pré-aux-clercs ou de ballet de bohémiens, mais une chapelle où Valentine et Marcel se rencontrent et qui deviendra le théâtre d’une bataille rangée entre catholiques et protestants. Une longue table dressée pour les libations servira de mur, une fois renversée, où Valentine, Raoul et Marcel mourront dans une sorte de sacrifice. Des moments très forts dans cette mise en scène à l’atmosphère pesante, toujours en cohésion avec le livret et la musique. Si les costumes des belligérants se contentent du noir, les robes des femmes, aux couleurs éclatantes d’une grande élégance et coupées dans de superbes tissus, apportent une lumière bien venue, ainsi que le long et sobre manteau de Marcel au rouge ecclésiastique. Les éclairages judicieux de Patrick Méeüs créent ces atmosphères très sombres avec les ombres portées des conspirateurs mais ne sommes-nous pas ici dans un des épisodes les plus terribles de l’histoire de France ? Les halos projetés sur certains personnages subliment les costumes, alors que la luminosité qui éclaire les jardins du château de Chenonceau procure un moment de fraîcheur. Du gris, du noir, avec ces clairs obscurs qui nous immergent dans certains tableaux de Rembrandt. Belle réalisation. Reformant le couple entendu lors des Huguenots donné au Théâtre de La Monnaie à Bruxelles la saison dernière, Karine Deshayes et Enea Scala sont ici époustouflants de beauté de voix, d’engagement et de théâtralité. Sollicité tout au long de l’ouvrage, le ténor sicilien Enea Scala est ici, en interprétant le rôle de Raoul, dans une performance et physique et vocale. Vaillant, passionné, il enchaîne les airs et dès le premier acte où, évoquant sa bien-aimée et simplement accompagné par la viole d’amour, la romance  “Plus blanche que la blanche hermine…” est chantée avec sensibilité et de bons passages de notes aux des aigus bien amenés. Voix puissante et timbrée dans la colère, il devient charmeur (“Beauté divine enchanteresse…”) dans son duo avec la Reine de Navarre et nous propose, avec Valentine, un superbe duo d’amour dans des phrases romantiques sur une superbe ligne musicale. Spécialement écrit à la demande d’Alphonse Nourrit, ténor qui créa ce rôlece duo n’avait pas été prévu initialement alors qu’il deviendra l’un des points forts de la partition. Dans un bel engagement vocal avec des “Aux armes !” puissants et projetés, Enea Scala devient touchant en lançant ses “Tu m’aimes…” mélodieux. C’est un sans-faute pour ce ténor, engagé vocalement et scéniquement, dont les superbes aigus successifs passent avec facilité. Un superbe Raoul Marc Barrard campe ici un comte de Nevers très bien vocalement au jeu pertinent d’une grande crédibilité. Sa voix de baryton large et timbrée résonne et passe sans forcer, laissant ressortir les diverses facettes de son caractère généreux. Souffle, phrasé, diction et projection donnent du relief à sa prestation. Dans cette prise de rôle, Nicolas Courjal est un Marcel très juste et très apprécié. Il marque ce rôle de protestant fanatique dans une voix de basse profonde bien utilisée, chantant avec autorité et sobriété. Sa “chanson à boire huguenote” donne toute sa dimension à la voix aux accents différents, colère, sensibilité, ou phrasé musical accompagné par la clarinette basse. Très belle prestation dans un rôle qui semble écrit pour lui. Autre voix de basse intéressante, celle du comte de Saint-Bris interprété avec fierté et autorité. Avec un phrasé élégant et une grande maîtrise du vibrato, François Lis laisse résonner sa voix grave dans une puissance qui lui conserve toute sa couleur. Impressionnant parfois jusque dans le legato musical où aigus et respirations donnent du caractère à ce personnage peu sympathique. L’on remarque aussi la voix claire du ténor Kaëlig Boché (Cossé), la basse solide de Thomas Dear (Meru) ou le ténor engagé de Carlos Natale (Tavannes), le baryton projeté et timbré de Gilen Goicochea (Maurevert) ou de Jean-Marie Delpas (de Retz) et de Frédéric Cornille (Thoré) ainsi que la puissante voix de ténor d‘Alfred Bironien (Bois-Rosé). Présence et voix équilibrées qui donnent assise et relief. Très bien distribués, les rôles féminins nous font découvrir la soprano roumaine Florina Ilie, une Marguerite de Valois tout en charme et en talent dans sa belle robe jaune. Sa voix fraîche et timbrée vocalise avec assurance et légèreté passant de l’a cappella aux notes staccato avec aisance tout en projetant ses aigus limpides avec facilité. Son air “Ô beau pays de la Touraine” apporte une certaine fraîcheur, alors que la cabalette “A ce mot seul s’anime et renaît la nature” est chanté avec beaucoup de charme. L’autorité de sa voix se retrouve dans son maintien qui n’altère en rien son phrasé musical, accompagné par la harpe. Une superbe Reine de Navarre! Somptueuse Karine Deshayes qui campe une Valentine sensible et touchante dont le timbre chaleureux de la voix enchante. Mezzo-soprano, soprano falcon, du nom de Cornélie Falcon qui créa le rôle ? Karine Deshayes est tout cela à la fois. Elle a la profondeur de la mezzo et la hauteur, l’agilité de la soprano, alliées à une technique sans faille. La couleur de sa voix, sa rondeur se prêtent à tous les sentiments et elle passe avec souplesse de la puissance aux aigus projetés, à la sensibilité d’un legato musical. Sa parfaite conduite du chant lui permet des vocalises légères dans une douceur de voix tout en rondeur. Quelle homogénéité de voix, quel aigus harmonieux et quelle beauté du chant! La mezzo-soprano Eleonore Pancrazi est un Urbain alerte et juvénile à souhait dans une voix fraîche et sonore aux aigus assurés. Dès l’acte I, son “Nobles seigneurs salut ! ” nous présente un page joyeux et qui enchaîne à l’acte II un “Non, non, non, vous n’avez jamais je gage…” malicieux mais néanmoins puissant. Sa belle technique lui permet des sauts d’intervalles faciles dans une voix pure et projetée pour des vocalises précises. Très belle prestation dans un joli jeu scénique. Magnifique engagement du cadre des Chœurs avec une mention spéciale pour les hommes vocalement et scéniquement d’une grande précision dans des rythmes assurés et les attaques. Très investis, catholiques et huguenots sont les piliers de ce spectacle. Chœur de femmes, chœur mixte, chœur religieux de coulisse un grand bravo ! Après avoir dirigé Rossini, La Donna del Lago, Armida, sur cette scène, José Pérez-Sierra prend l’orchestre à bras le corps pour cet ouvrage à la partition orchestrale très fournie. Dans cette écriture riche le maestro fait résonner l’orchestre sans jamais couvrir les voix. Le choix des tempi n’autorise aucun ennui et les changements de rythmes sont faits avec une grande précision dans une orchestration pas toujours évidente. De nombreux solos mettent les instrumentistes à l’honneur dans des choix particuliers. La clarinette basse justement ou la viole d’amour, symbole de l’amour aveugle accompagnant Raoul dans sa romance alors qu’il ne connait pas encore le nom de sa bien-aimée. Cette page, écrite comme une cadence de concerto est interprétée sur un instrument ancien par l’alto solo de l’orchestre. Un très joli moment. D’autres passages écrits pour violoncelle solo joués en sorte de continuo procurent un certain éclairage à la partie orchestrale. Mais aussi flûte solo, harpe, solo de cor, de trombones, trompettes de coulisse. Cette écriture imagée donne à l’orchestration une dimension particulière. Malgré la longueur de cet opéra, le public a fait un triomphe à l’ouvrage, avec des bravi longs, longs. Nous attendons avec impatience l’ouverture de la prochaine saison avec l’Africaine de… Giacomo Meyerbeer encore. Photo Christian Dresse