Opéra de Marseille: “Nabucco”

Marseille, Opéra Municipal, saison 2022/2023
“NABUCCO”
Opéra en 4 actes, livret de Temistocle Solera, d’après Nabuchodonosor, drame d’Auguste Anicet-Bourgeois et de Francis Cornu
Musique Giuseppe Verdi
Abigaïlle CSILLA BOROSS
Fenena MARIE GAUTROT
Anna LAURENCE JANOT
Nabucco JUAN JESUS RODRIGUEZ
Zaccaria SIMON SLIM
Ismaël JEAN-PIERRE FURLAN
Abdallo JEREMY DUFFAU
Le Grand Prêtre THOMAS DEAR
Danseurs : Cyrille De Gonzalgue, Emanuele Esposito, Vassilig Evlachev, Nikolaos Kafetzakis, Elias Koor, Hoang David Nguyen
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale 
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Jean-Christophe Mast
Assistante mise en scène / Chorégraphie Laurence Fanon
Décors et Costumes Jérôme Bourdin
Lumières Pascal Noël
Production Opéra de Saint-Etienne
Marseille, le 30 mars 2023
L’Opéra de Marseille avait programmé Nabucco en ce mois d’avril et affichait complet depuis de nombreuses semaines déjà. C’est dire la popularité de cet opéra de Giuseppe Verdi ; et pourtant cet ouvrage a bien failli ne jamais être composé. Après l’échec en 1840 d’Un giorno di regno, qui sera retiré de l’affiche le soir même, et qui fait suite à trois deuils consécutifs, Giuseppe Verdi décide d’arrêter la composition d’opéras et de rompre le contrat qui le liait au Théâtre de La Scala. Il faudra toute la patience et la ténacité de Bartolomeo Merelli, alors directeur du théâtre pour convaincre le compositeur d’accepter de se remettre à l’ouvrage avec Nabucco, le manuscrit de Temistocle Solera, relatant un passage de l’Ancien Testament. Verdi finira par céder et n’aura jamais à le regretter. C’est un triomphe dès la première représentation ! A-t-il tout de suite vu le rapprochement entre le peuple juif réduit en esclavage par le roi de Babylone et l’Italie morcelée, dont la Lombardie-Vénétie est sous la domination autrichienne ? Toujours est-il que le chœur des hébreux “Va pensiero” sera immédiatement repris par les italiens et deviendra le symbole de l’unité italienne. Si le triomphe est énorme lors de la création de Nabucco à La Scala, il l’est aussi à Marseille en cette journée du 30 mars, alors que la dernière représentation de cet ouvrage remonte à 1989. Comme on l’a souvent dit, un succès à l’opéra ne tient pas simplement à l’ouvrage ou à la qualité des chanteurs ; c’est un tout. L’opéra est une alchimie. La musique certes, mais aussi le visuel. Pourquoi encombrer l’œil de choses inutiles alors que tout est dit dans la musique et le chant ? La mise en scène doit être un plus, elle peut sublimer la musique, en aucun cas la détruire ou la faire passer au second plan. Le spectateur doit-il se poser des questions au sujet de ce qu’il voit alors que la musique lui dit tout autre chose ? Rien de tel ici. Le metteur en scène Jean-Christophe Mast et son équipe ont su, avec des décors minimalistes, créer les atmosphères et magnifier le chant. Certes, pour le Temple de Jérusalem ou les jardins de Babylone, il faudra faire appel à l’imagination, mais les déplacements, le jeu des acteurs, les entrées et sorties du peuple, des soldats créent le mouvement et donnent une cohérence et une grande compréhension de l’action. La scène, presque vide de décors, laisse circuler les acteurs et la musique avec beaucoup de fluidité, un peu sombre ? Mais sombre est cet épisode de la Bible et l’accent est mis ici sur les personnages, comme une analyse des caractères plus qu’un grand spectacle. Par contre, les lumières imaginées par Pascal Noël créent les décors à elles-seules. Lumières venues des cintres ou superbe effet latéral de spots allumés pleins feux qui, au travers d’un brouillard, rendent presque irréel le défilé des gardes. Lumières dorées ou bleutées sur les hébreux en prière, ou simple halo lumineux éclairant Nabucco ou Abigaïlle sur un fond noir. Les décors et costumes sont de Jérôme Bourdin. Peu de décors donc mais des colonnes qui descendent ou remontent pour suggérer des espaces ou un escalier amovible qui permet de donner hauteur et puissance à certains personnages. Les costumes, sans grande référence à une époque définie, sont assez sobres pour le peuple des hébreux, mais plus richement conçus pour Nabucco, Abigaïlle ou Zaccaria avec des coiffes qui pourraient évoquer des temps lointains et le parti pris du blanc et du noir pour différencier les protagonistes. Il faut aussi noter la superbe chorégraphie de Laurence Fanon qui, avec six danseurs réussit à remplir et animer la scène sur les rythmes de la musique dans des tempi rapides. Six danseurs tout de noir vêtus, longue chevelure attachée, armés de longues lances dorées qui donnent à voir, avec beaucoup d’allant et de talent, un défilé de gardes, impressionnant de précision et quelques figures acrobatiques qui ponctuent l’agressivité contenue dans certains passages musicaux. Superbe ! Pour ce plateau de rêve, nous retrouvons le couple applaudi dans Macbeth sur cette scène en 2016, Csilla Boross et Juan Jesùs Rodriguez. Après avoir été le père de Jeanne d’Arc en novembre 2022, Juan Jesùs Rodriguez campe ici un Nabucco magistral. La voix n’a rien perdu de sa rondeur, de sa puissance, et nous retrouvons avec bonheur toutes les qualités qui nous avaient enchantés alors. Le baryton espagnol à l’aise vocalement et scéniquement habite ce personnage dans une certaine sobriété de mouvements mais aussi une autorité certaine qui n’exclut pas une grande pureté de style avec des aigus sûrs, généreux et tenus qui n’empêchent en rien la souplesse du legato. On aime cette puissance aux harmoniques palpables alors qu’il impose son Nabucco, cette tension dans la voix lorsqu’il affronte Abigaïlle, mais aussi la couleur du timbre alors qu’il est démuni et adresse une prière à l’acte III “Deh perdona” “Son pur queste mie membra ! ” ou “Dio mi guida ! ” Remarquable acteur, superbe chanteur, Juan Jesùs Rodriguez est un Nabucco de tout premier plan. Face à lui, la superbe voix de Csilla Boross. Puissance et tempérament aussi démesurés que l’ambition de son Abigaïlle. Depuis sa Lady Macbeth de 2016, sa voix s’est arrondie, elle a perdu un peu de ce métal qui rendait ses aigus agressifs. Au plus haut de sa tessiture, la couleur est toujours présente et le médium plein et rond. Sa belle technique lui permet des passages de notes et des sauts d’intervalles sans aucune difficulté. Voix solide et percutante dans la colère, elle sait être plus sensible alors que le timbre s’adoucit “Io t’amava” acte I, ou “Su me…morente…esamine…” acte IV sur un beau solo de flûte et violoncelle. Prestation magistrale aussi dans une voix qui emplit la salle sans perdre de sa couleur. Superbe soprano avec quelques accents plus graves, la Fenena de Marie Gautrot charme par la profondeur de sa voix. Sa prière finale ” Oh dischiuso è il fimamento !” est chanté dans un joli phrasé où la voix dramatique aux aigus sûrs laisse ressortir la ligne musicale. Voix qui donne à entendre un joli trio avec Abigaïlle et Ismaël. Solide prestation tout en nuances. Laurence Janot est une Anna à la voix sûre dont les aigus colorés passent au-dessus des ensembles. Si le baryton est solide, la basse de Simon Slim ne l’est pas moins. Il est un Zaccaria qui galvanise les Hébreux. Sa Cavatina “Sperate, O figli…” acte I, est un modèle du genre ; voix soutenue au souffle immense qui semble ne jamais s’épuiser. Puissance et autorité déployées dans une voix colorée jusqu’aux graves d’une profondeur abyssale et une ligne de chant qui laisse éclater les aigus. Simon Slim est un Zaccaria dont on se souviendra. Jean-Pierre Furlan est un Ismaël puissant dont la voix de ténor passe la rampe avec vigueur et sûreté, suppliant ou engagé, ses solides aigus tenus ressortent dans une projection claire et un jeu adapté. On remarque aussi l’Abdallo de Jérémy Duffau dont la voix de ténor, projetée, lance un “Immenso Jehovah ! ” sonore, ainsi que la voix grave du Grand Prêtre Thomas Dear. Mais que dire du Chœur, personnage à part entière ? Nombreux sont les spectateurs venus spécialement pour l’écouter ; ils ne seront pas déçus. Superbe prestation, superbe interprétation vocale et scénique, dans un engagement total aussi bien dans le chœur des Hébreux que celui des Assyriens. Admirablement préparés par Emmanuel Trenque, les artistes de chœur ont trouvé (en plus de l’unité italienne), cette unité de son, de voix qui procure le frisson. Magnifiques dans le “Va pensiero” qui se termine sur une très longue tenue pianissimo a cappella bien sûr, cette prière qui a traversé les siècles avec la même ferveur, mais dans tout l’ouvrage aussi où voix d’hommes, voix de femmes, voix mixtes soulèvent l’enthousiasme et les bravi tant la justesse d’interprétation et la musicalité sont présentes dans chaque note. Un immense bravo ! Un immense bravo aussi au chef et à son orchestre. Merci aussi au metteur en scène qui a eu l’intelligence de ne rien ajouter sur l’ouverture, nous laissant goûter en paix ce moment magique écrit pour orchestre seul. Paolo Arrivabeni, dans une forme éblouissante et sans effet de baguette inutile, conduit son orchestre vers des sommets de musicalité. Après les premières mesures d’un choral de trombones et reprenant les thèmes principaux, l’ouverture nous conduit au travers de cette fresque biblique dans des tempi appropriés, jamais trop lents, plus rapides pour le défilé des gardes qui donne du relief, avec des sonorités dosées pour l’harmonie de coulisse. Le chef a su trouver les sons qui conviennent pour l’accompagnement des solistes ou plus sonores pour l’orchestre seul. Superbe sextuor de violoncelles dont le soliste déploie ses harmonies dans un vibrato moelleux, solo de flûte, de cor anglais, de clarinette. Avec son chef, l’orchestre a su sublimer la musique de Verdi qui écrit souvent mieux pour les voix que pour la partie orchestrale. Ici c’est un tout avec un orchestre en grande forme. On se souviendra longtemps de ce Nabucco – spectacle de l’année sans doute -. Avec un grand merci à Maurice Xiberras qui sait à merveille choisir les voix. Longs, très longs applaudissements. Superbe !