Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2023
Orchestre de Paris
Direction musicale Klaus Mäkelä
Piano Yuja Wang
Jean Sibellius: Valse triste op. 44 N°1; Magnus Lindberg: Concerto pour piano (Commande du China National Centre for the Performing Arts, des orchestres symphoniques de San Francisco et Toronto, de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre de la NDR Elbphilharmonie);
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Symphonie N° 6 en si mineur, op. 74 “Pathétique”.
Aix-en-Provence, le 15 avril 2023
En cette soirée du 14 avril le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence nous proposait un concert très intéressant à plus d’un titre : un concerto de piano dont la première audition en France venait d’être donnée à la Philharmonie de Paris par sa dédicataire Yuja Wang, jeune pianiste chinoise à la technique éblouissante, et la direction du jeune chef finlandais Klaus Mäkelä nommé depuis peu à la tête de l’Orchestre de Paris. Une salle comble pour ce concert à sensations…fortes. Placée sous le signe de la Finlande, la première partie du concert nous proposait la Valse Triste de Jean Sibelius, composée en 1903 pour la musique de scène de la pièce d’Arvid Järnefelt Kuomela, titre laconique signifiant mort. L’on sent le poids de la tristesse, la douleur même, dès les premières mesures de cette Valse Introduite par les pizzicati des contrebasses, joués piano, dans un tempo lent. Le chef d’orchestre recherche l’unité de son avec des gestes en suspension, jouant sur les nuances et les changements de tempi, dans une sorte de danse au-delà de la mélancolie. Ayant longtemps hésité entre la carrière de compositeur et celle de violoniste, Jean Sibelius retrouve ici la légèreté, le legato qu’apporte la pratique de cet instrument dans le phrasé de certaines lignes mélodiques, avec cette rondeur de son qui enveloppe la musique d’un certain mystère. La valse hésite… tristesse, lumière sur les notes de la flûte jouées dans un tempo allant ? Mais le roulement des timbales nous rappelle que le drame n’est pas loin. Respectant les intentions du compositeur, Klaus Mäkelä dirige cette Valse avec souplesse et simplicité nous transportant dans les atmosphères mystérieuses de la Finlande. Finlande encore avec le compositeur Magnus Lindberg, né à Helsinki en 1958. C’est en 2022 qu’il compose ce concerto pour piano (une commande) pour la fougueuse pianiste chinoise Yuja Wang qui le créera à San Francisco le 13 octobre 2022 sous la direction d’Esa-Pekka Salonen. Le compositeur aime les sons et, si l’écriture est parfois très moderne, ou légèrement atonale, elle reste tout à fait dans une construction harmonique privilégiant les rythmes et les envolées. Contrôle et liberté sont les deux exigences de Magnus Lindberg qui aime les contrastes. Il compose ce concerto dans un style très personnel en pensant à Yuja Wang, à son tempérament et à sa technique époustouflante se servant de ses qualités pour créer une œuvre éblouissante. L’on peut rechercher, et sans doute trouver, quelques accords qui feront penser à Rachmaninov, ou des harmonies à la Bartok, mais inutile de chercher et contentons-nous de nous laisser porter par la puissance de cette musique et le jeu musclé de la pianiste. Si nous n’avions pas aimé son interprétation de la Sonate N°18 de Beethoven lors du concert donné la saison dernière au Festival de Pâques, force est de constater ce soir que cette musique est tout à fait à sa mesure. Dans cette écriture imagée, Yuja Wang peut très bien faire preuve de légèreté avec sa main droite ou d’une grande force dans des accents syncopés joués triple forte. Le chef d’orchestre peut tout à fait laisser sonner l’orchestre avec puissance dans des sonorités qui font ressortir cuivres, gong et grosse caisse, mais il sait aussi se faire plus discret donnant à la pianiste toute l’importance voulue par le compositeur. Mystère de certaines dissonances, mais puissance d’une cadence aux accords appuyés qui résonnent sous l’apport de la pédale. Vélocité des deux mains, basses sonores, aigus perlés. Laissant la pianiste s’exprimer en toute liberté, le maestro déroule un tapis sonore avec les sons mystérieux des violoncelles et des altos. Les contrastes de nuances surprennent, les sonorités se mélangent, les trombones soutiennent la force du piano dans des accents nord-américains et les images se colorent dans une nouvelle cadence. Si Yuja Wang est capable d’une force phénoménale sans altérer les sons, elle sait aussi faire preuve de délicatesse dans un toucher léger pour une réponse au violoncelle alors que les dissonances apportent relief et lumière. Les atmosphères et les harmonies changent, ne croyons-nous pas entendre quelques notes sorties d’une partition d’Olivier Messiaen ? Comme une sorte d’espoir et dans une grande précision, la lumière semble poindre sous les doigts de la pianiste qui tient tête aux cuivres. Mais, sur des vagues sonores et des montées successives en crescendo, la soliste est rattrapée par la puissance de l’orchestre dans une sorte de fin du monde lumineuse. Sforzandi, accords puissants aigus, immense triple forte, immense succès et immenses bravos d’un auditoire subjugué. Si ce concerto d’une force exceptionnelle paraît difficile d’accès à une première audition, il reste écrit, avec ses trois mouvements, dans une forme assez classique. Il est bien évident que la pianiste chinoise accroît le succès tant cette partition, écrite pour elle, semble ne pouvoir exister que par elle. Son talent, sa fougue, son incroyable technique, bien au-delà de ses excentricités vestimentaires, marqueront cette œuvre qui sera sûrement considérée, dans quelques années, comme un classique de son époque. Un bis sentimental avec “Les chemins de l’amour” mélodie chantée que Francis Poulenc a composée pour la pièce de Jean Anouilh “Leocadia” dans laquelle la pianiste a trouvé les accents français dans un tempo de valse au joli rubato dans un toucher très délicat. Délicatesse encore avec ce “Pas de quatre” tiré du ballet Le Lac des cygnes de Tchaïkovski dans des notes vives et perlées aux accents joyeux. Du charme, du chien, pour ce troisième bis sur des variations de thèmes de Carmen dans un tempo vif et soutenu. Agilité, force dans une facilité éblouissante ! Fin de cette première partie de concert et enthousiasme sonore d’un public conquis. Nous attendions beaucoup de la Symphonie N°6 (Pathétique) de Piotr Ilitch Tchaïkovski dirigée par Klaus Mäkelä, tant ce jeune chef nous avait séduits en juillet 2021 avec la Symphonie N°9 (Nouveau monde) d’Antonin Dvorak au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence. Mais Tchaïkovski n’est pas Dvorak et, oserons-nous le dire, nous avons été déçus. Certes, Klaus Mäkelä est toujours talentueux, mais si la jeunesse de ce chef, 26 ans à peine, procure enthousiasme, fougue et détermination, elle ne peut pas encore l’imprégner de ces sentiments de peine, de douleur que donne le vécu et qui s’expriment au-delà de la partition. Et, s’il est une symphonie qui rend bien tous ces sentiments, ce tumulte intérieur que la vie souvent douloureuse du compositeur a suscité en lui, c’est cette Pathétique. Le compositeur choisi lui-même ce sous-titre ; prémonition ? Il mourra quelques jours après en avoir dirigé la première audition, le 28 octobre 1893. Dans le premier mouvement assez lent, le son du basson venu de loin nous plonge d’entrée dans une atmosphère douloureuse ; le chef d’orchestre trouve les sonorités qui font ressortir les instruments et les thèmes des violons, privilégiant les sons de cuivres joués au fond des temps ou des trompettes aux accents désespérés. Le choral des trombones, joués en majeur sur les pizzicati du quatuor vient rendre une atmosphère apaisée dans un calme mesuré. La Valse à 5 temps, dirigée sans baguette mais avec précision, apporte la légèreté d’un spiccato dans des phrases qui alternent joie et nostalgie. Manque-t-elle un peu de profondeur ? Mais elle ne manque pas de jolies couleurs, clarinette, cors…et d’un certain allant. Vivace, spiccato, mystère et bruissements pour ce troisième mouvement, par un orchestre qui avance vers une marche triomphale dans la précision des rythmes, d’où le quatuor déchaîné et les timbales sonores semblent avoir chassé la tristesse. Un peu trop marquée, cette fin tonitruante enlève un peu du dramatique aux derniers accords. Avec les sons du quatuor et la tristesse du basson venue des profondeurs, l’Adagio lamentoso replonge Tchaïkovski dans la nostalgie et la tragédie. Peut-être un peu trop d’effets dans la gestuelle du maestro qui semble oublier cette souffrance latente qui veut s’exprimer dans des respirations tout en laissant sonner les cors. L’écriture dramatique de ce mouvement n’a pas besoin de démonstration théâtrale; le choral de trombones, sur l’appui des basses dans une douleur maîtrisée, laisse entrevoir un homme vaincu, entraîné par des sforzandi et dont l’espoir s’envole sur un dernier pizzicato. Si Klauss Mäkelä n’a pas su encore trouver les accents dramatiques contenus dans cette symphonie, il a néanmoins exploité toutes les ressources et les grandes qualités de son orchestre réussissant à donner souffle et vigueur à une partition qui n’en manque pas. Un programme grandiose et un concert puissant dont on se souviendra. Un grand bravo ! Photo Caroline Doutre