Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2023
Orchestra Mozart
Direction musicale Daniele Gatti
Richard Wagner: Siegfried-Idyll, www 103; Johannes Brahms: Variations sur un thème de Haydn, op.56; Johannes Brahms: Symphonie N° 4 en mi mineur, op. 98.
Aix-en-Provence, le 12 avril 2023
En cette soirée du 12 avril le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence avait invité l’Orchestra Mozart avec à sa tête Daniele Gatti. Pour ce concert, deux monuments de la musique romantique allemande : Richard Wagner et Johannes Brahms. Si le chef d’orchestre italien aime interpréter des compositeurs de styles très différents, il apprécie beaucoup cette musique puissante et passionnée, n’a-t-il pas été invité au Festspielhaus de Bayreuth pour diriger Parsifal ? Il sera d’ailleurs plébiscité par les musiciens de la Staatkapelle Dresden dont il prendra la direction en juillet 2024. Avec l’Orchestra Mozart, qu’il dirige ce soir, il impose son style. Loin de la mode actuelle qui est “vite et fort” Daniele Gatti entre dans l’intimité du compositeur et fait vivre son œuvre sans jamais vouloir le remplacer. C’est ce qu’il fait dès Siegfried-Idyll. Richard Wagner est dans une période heureuse de sa vie ; Siegfried, le troisième enfant qu’il a eu avec Cosima est né et celle-ci est enfin divorcée du chef d’orchestre Hans von Büllow. Ils pourront donc se marier le 25 août 1870. Voulant faire un cadeau à sa femme, il compose cette phrase sentimentale en gage d’amour et la lui fait jouer le jour de son anniversaire. Ce n’est pas ici une œuvre de passion tonitruante mais une page tout en sensibilité et délicatesse. Daniele Gatti prend le parti d’un tempo lent, trop diront certains, mais tout à fait dans l’esprit de ces préludes que le compositeur écrit dans ses opéras où priment le son, les respirations et les changements d’harmonies. Richard Wagner, capable de sonorités excessives dans le fortissimo, parle toujours d’amour avec délicatesse semblant vouloir caresser les sons. A-t-il peur que ces sentiments fragiles s’enfuient ? Ici, le chef d’orchestre entre sur la pointe des archets dans un son venu de loin. Avec une direction précise et sur l’assise des basses il laisse les phrases voler sur le souffle des instruments qui se répondent dans une intensité toujours mesurée jusque dans les forte. Le cor au son velouté est ce Siegfried qui sait discourir avec un oiseau, chant de la clarinette au timbre clair. Tout est dit dans ce chant d’amour si bien interprété. Daniele Gatti, avec une économie de gestes mais une grande souplesse de baguette, alterne marcato sans rudesse et longueur d’archets laissant les instruments jouer en vagues successives dans des pianissimi extrêmes mais encore colorés. Œuvre éminemment sentimentale sans outrance avec des contrastes de nuances jamais trop appuyés, sorte de déclaration d’amour délicate, raffinée, empreinte de tendresse dont les vibrations s’éteignent dans un long souffle. Les Variations sur un thème de Haydn (extrait du Choral de Saint-Antoine de la Feldpatrie en si bémol majeur de Joseph Haydn) est pratiquement la première œuvre symphonique de Johannes Brahms ; composée en 1873 et dirigée le 2 novembre de la même année par le compositeur, elle ouvre la porte à ses symphonies ultérieures. Ces Variations, écrites dans un certain académisme et un style assez pur sont dirigées ici avec un parti pris de tempi assez modérés qui permettent ligne musicale et souplesse d’exécution sur une structure solide qui s’appuie sur les basses et les timbales. Dirigeant toujours sans partition Daniele Gatti laisse les instruments s’exprimer dans des atmosphères diverses et différentes tonalités. Les couleurs changent, les gestes s’élargissent et les sonorités deviennent plus légères dans une sorte de danse ou prennent de l’ampleur. Les phrases s’enchaînent avec souplesse, chant, contre-chant, bruissement du quatuor ou avec plus de force pour un Finale où triangle et trompettes apportent une lumière avant une explosion plus joyeuse. Le maestro nous a donné ici une version d’une grande finesse d’expression, abordant les rythmes avec précision où la profondeur de Brahms laisse la parole, souvent plus légère, à Joseph Haydn. Moins de légèreté dans la symphonie N°4 de Johannes Brahms mais de la grandeur. Le compositeur lui-même la trouvait triste ; ce sera sa dernière symphonie. La boucle est-elle bouclée après les Variations qui sont sa véritable première œuvre symphonique ? Toujours impressionné par le génie de Beethoven, le compositeur confiait Hermann Lévi en 1872 “Je ne composerai jamais de symphonie ! Vous n’imaginez pas quel courage il faudrait quand on entend toujours derrière soi les pas d’un géant. “Heureusement il ne s’est pas tenu à ces propos et le style de Brahms, qui se reconnaît dès les premiers accords, est totalement différent de celui de Beethoven qu’il considérait comme un géant de la musique. Cette symphonie, dirigée par un Daniele Gatti en pleine maturité de son art, ne recherchant jamais l’effet pour l’effet, nous a transportés, d’un coup de baguette, dans l’univers du compositeur. Prenant encore le parti de tempi modérés, il dirige à l’allemande avec les sons au fond des temps, laissant les notes respirer, résonner sans précipitation dans une architecture équilibrée. Dès le premier mouvement, et sur l’assise des basses, les belles phrases du quatuor dans une expression toute allemande. Une certaine nostalgie, un temps éclairée par les trompettes, s’envole avec calme. D’une baguette ferme, le chef d’orchestre laisse ressortir chaque intention musicale comme autant d’images qui formeront un tout sonore sur un formidable roulement de timbales. Toujours moderato, l’Andante introduit par les cors reste dans cette retenue aux sons enveloppants jusque dans le legato des violoncelles. Dans cette écriture où chaque instrument prend la parole, la beauté des sonorités qui passent sans rupture de l’un à l’autre avec des rythmes syncopés est un modèle d’orchestration et de direction. Chez Johannes Brahms les phrases sentimentales sont toujours d’une grande retenue, elles gardent ici un certain mystère jusqu’au long solo de clarinette en diminuendo. La nostalgie a quitté ce troisième mouvement joué energico et même giocoso ; il semble un discours entre les instruments aux accords appuyés avec des oppositions de forte éclatants sans dureté et de souplesse qui nous emmènera, dans un accelerando sonore, jusqu’à ces trois accords impressionnants de puissance. L’Allegro passionato du quatrième mouvement, introduit par les sons amples des cuivres et les notes sombres des timbales, semble vouloir nous transporter dans des atmosphères plus tragiques avec cette phrase d’une grande pureté jouée à la flûte sur les appuis piano des cors. Le choral des trombones aux sonorités religieuses nous prépare à un agitato marcato éclatant mais toujours empreint de solennité. Puissance des violons sur de belles longueurs d’archets puissance des timbales tragiques et oppositions de nuances qui gardent rondeur et plénitude de sons jusqu’à l’accord final. Superbe ! Daniele Gatti nous a fait une démonstration époustouflante d’une rare technique de direction car oui, la musique se vit mais le bras d’un chef d’orchestre a aussi sa technique. Précision sans grandiloquence, ampleur du geste qui amène le son, musicalité, intériorité communiquée à tout l’orchestre, à chaque musicien en particulier et à tout le public. Et l’on pourrait dire que ce soir grâce à Daniele Gatti et l’Orchestra Mozart, Johannes Brahms lui-même était parmi nous. Un moment d’une grande puissance émotionnelle !