Aix-en-Provence, Festival de

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2023
Piano Alexandre Kantorow
Johannes Brahms: Sonate pour piano N°1 en ut majeur op. 1; Franz Liszt :Transcription de lieder de Franz Schubert, Franz Schubert: Fantaisie en ut majeur op. 15, D. 760. “Wanderer Fantasie”
Aix-en-Provence, le 9 avril 2023
Après un premier rendez-vous manqué avec Alexandre Kantorow pour cause de covid, le récital de ce soir affichait complet depuis bien longtemps déjà. Ce jeune pianiste, 26 ans à peine, concertiste à 16 ans, lauréat du prestigieux Concours International Tchaïkovski de Moscou en 2109, Victoire de la musique classique, dans la catégorie Soliste Instrumental en 2020, est un artiste complet qui maîtrise aussi bien la technique que la musicalité, avec, en plus, la profonde connaissance des compositeurs qu’il interprète, ce que le jeune âge ne confère pas automatiquement. Long jeune homme au physique romantique, l’on sent combien il est habité par l’œuvre dès qu’il pose ses doigts sur les touches du piano. Pour ce récital, Alexandre Kantorow fait le choix d’un programme dédié à la musique romantique allemande. Johannes Brahms, Lieder de Franz Schubert transcrits par Franz Liszt et Schubert. Bien que considérée comme une œuvre de jeunesse, l’on reconnaît la puissance émotionnelle de Brahms dès les premières mesures de cette sonate N°1 en ut majeur dans la puissance des accords de l’Allegro qui laisse ressortir les qualités du pianiste et du compositeur. Une composition aux atmosphères contrastées où la sûreté des mains, dans une vigueur sans violence, fait place au toucher délicat du soliste avec ce son qui lui est propre et qu’il gardera jusque dans les puissants forte. Légèreté des notes perlées ou notes au fond des touches, phrase sentimentale effleurée ou jeu viril, les belles couleurs restent présentes dans ces élans passionnés. Les quelques notes jouées par la main gauche nous imprègnent de la douceur de cet Andante aux variations délicates dans une pureté de style pour ce récit enchanteur. Joué con fuoco, le Scherzo sonore et rythmé reste élégant dans une apparente facilité où les contrastes de nuances donnent un relief particulier à ce mouvement. Avec des oppositions de sentiments, le vivace du Finale, tourbillon de notes piquées, sûreté de mains et jeu à l’aise, enveloppe les diverses atmosphères avec délicatesse ou vélocité. Eblouissant ! Franz Schubert est considéré comme le maître incontesté du lied, il en composera de nombreux dont certains (56) seront transcrits pour piano seul par Franz Liszt. Le plus connu est peut-être Der Wanderer (Le voyageur) sur un poème de Georg Philipp Schmidt, poème musical de la solitude de l’errance, dont les atmosphères se retrouvent dans Winterreise (Le Voyage d’hiver). Le début de Der Müller und der Bach est assez sombre ; les nuances ébauchées par une main droite délicate, laissent résonner les graves au fond des temps pour des sentiments retenus dans un tempo modéré. Les thèmes se détachent avec vélocité et croisements des mains. La phrase triste, lente, comme un souvenir laisse reconnaître l’écriture de Schubert dans la pureté de la ligne musicale et la délicatesse d’un legato sous un toucher aérien dans l’aigu ; Alexandre Kantorow nous fait voyager dans une nature nostalgique, celle qu’apprécie tant le compositeur. Liszt s’efface ici et laisse Schubert s’exprimer sous les doigts d’un pianiste inspiré. Dans Die Stadt (Schawnengesang) les graves de la main gauche sonnent avec profondeur laissant la main droite discourir comme une lumière qui chercherait à s’imposer. Belles atmosphères tout en contrastes et musicalité sur des arpèges qui s’effacent. La beauté de la ligne musicale d’Am Meer fait place à plus d’affirmation dans un tempo lent et habité avec cette main droite qui cherche à percer sans y parvenir.La Wanderer Fantaisie, seule Fantaisie publiée du vivant du compositeur, Schubert la compose en 1822 dans un style tout à fait personnel qui requiert une solide technique ; le compositeur lui-même n’a-t-il pas affirmé : “le diable devrait jouer cela !” faisant référence à la difficulté d’exécution. Jouant sur la profondeur des sons, Alexandre Kantorow commence cette Fantaisie par un discours vigoureux où les changements de nuances et d’atmosphères sont nombreux. Vélocité, mais aussi force dans les doigts, une force contrôlée qui ne produit jamais un son dur, et c’est là tout le génie de ce pianiste qui envoûte et subjugue ne jouant jamais sur la virtuosité, mais sur la pureté du texte de Schubert sans rupture, comme des sentiments qui s’imposent et s’en vont en toute tranquillité…l’auditeur, entrant dans cette intériorité habitée retient son souffle. Et comme un rayon de lumière, un souvenir agréable qui touche à la perfection file sur les ailes fragiles d’un papillon alors que l’agitation revient avec puissance. L’Adagio douloureux du promeneur solitaire passe avec beaucoup de sensibilité et laisse s’exprimer le Presto fougueux, tout aussi musical, avec des phrases qui s’enflamment. Les mains qui discourent avec vigueur dans des gammes enlevées terminent cet Allegro plus marqué. Applaudi, ovationné, le pianiste reste avec Schubert pour Litanei. Tendresse, sensibilité, élégance de chaque note et du moindre crescendo… Une phrase toute simple qui coule avec naturel dans une douceur extrême. Le pianiste revient et nous propose La valse triste de Vercsay dans la version György Cziffra, une mélodie délicate ; touches effleurées ou enfoncées, Alexandre Kantorow semble survoler le clavier sans vraiment le toucher alors que chaque note sonne avec délicatesse. Généreux il revient pour la Canzion N° 6 de Mompou. Peu de notes pour cette mélodie nostalgique où les simples harmonies nous transportent. Alexandre Kantorow, voulant sans doute laisser le public sur une note joyeuse entame avec un réel plaisir la Marche turque de Mozart version Volodof, jazzy, rythmée, enlevée avec vélocité ; s’amusant avec les intonations, le pianiste termine cette marche éblouissante sur un formidable glissando. Le succès est immense et le public est conquis par ce talent, ce naturel et cette musicalité qui irradie. Un pianiste rare qui respire et vit la musique. Des bouquets de bravos à la hauteur du plaisir qu’il nous a donné ! Photo Caroline Doutre