Opéra de Toulon: “Così fan tutte”

Toulon, Opéra, saison 2022/2023
“COSÌ FAN TUTTE”
Opéra bouffe en deux actes, livret de Lorenzo da Ponte
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Fiordiligi BARBARA KITS
Dorabella MARION LEBEGUE
Despina PAULINE COURTIN
Guglielmo VINCENZO NIZZARDO
Ferrando DAVE MONACO
Don Alfonso DAVID BIZIC
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Karel Deseure
Chef de chœur Christophe Bernollin
Mise en scène Christophe Gayral
Décors Mathieu Lorry-Dupuy
Costumes Frédéric Llinares
Lumières Marie-Christine Soma
Réalisées par Romain Portolan
Toulon, le 31 janvier 2023
Encore une salle comble en cette soirée du 31 janvier ; plus un seul strapontin de libre pour la dernière représentation du “Cosi fan tutte” de Mozart donné à l’Opéra de Toulon. Wolfgang Amadeus Mozart reste une valeur sûre même si, comme ce soir, la production venue de Saint-Etienne laisse libre cours à l’interprétation du metteur en scène Christophe Gayral. En principe nous n’apprécions pas toujours les transpositions mais nous nous devons de dire que celle-ci est assez réussie. L’on retrouve la joie, la légèreté de l’œuvre de Mozart et de Lorenzo da Ponte son librettiste, tout en perdant un peu de sa profondeur. Le metteur en scène traite ici le propos avec naturel gardant finesse et délicatesse même dans les moments burlesques. C’est sans doute ce côté enjoué et coloré, sans oublier le talent des artistes, qui nous a fait apprécier cette version. Les femmes sont-elles les mêmes à toutes les époques et les sentiments humains restent-ils inchangés ? Cela n’est plus à démontrer. Les années 70 du siècle dernier et la libération des mœurs servent d’écrin à cette production qui finit plus sagement qu’elle n’a commencé et Christophe Gayral, dans un réalisme quelque peu désabusé nous montre un avenir qui ne  semble pas avoir beaucoup évolué. Après quelques chemins de traverse, le côté machiste est de retour. Nos deux jeunes héros, sans doute mariés, et après avoir, dans leur grande mansuétude, pardonné les incartades de leurs fiancées un peu volages, ont repris leurs habitudes : entre hommes devant l’écran de télévision pour un match de foot sans doute, les femmes leur apportant leurs pantoufles. Humour un peu grinçant du metteur en scène ? Laissons-les un peu s’amuser, elles n’en reviendront que plus dociles… Ceci dit, nous sommes ici à l’époque des Hippies Peace and love où les joints et les disques des Beatles circulent joyeusement. Sommes-nous chez Don Alfonso où nos quatre protagonistes sont invités ? Celui-ci, joyeux viveur, a décidé d’ouvrir les yeux de ses deux jeunes amis un peu loin des réalités de la vie et de l’amour. Volages nos fiancées ? Impossible. Et c’est dans des déguisements dignes du Festival de Woodstock, cheveux longs et pantalons pattes d’éléphant qu’ils vont essayer de séduire, en les interchangeant bien sûr, les charmantes demoiselles. Réticents et suffisants au début, ils vont avoir de bien désagréables surprises. Tout ceci va donner une fresque amusante, rythmée, joyeuse plus hésitante ou plus chagrine, emmenée par la désopilante Despina. La direction des acteurs, millimétrée, soutient le rythme et l’action. Le décor unique conçu par Mathieu Lorry-Dupuy est élégant et sobre. Un grand salon dont les larges baies vitrées s’ouvrent sur une vue époustouflante ; des pins, la mer d’un bleu azur, la végétation… Un escalier donnant accès à l’étage permet certaines évolutions. Les lumières créées par Marie-Christine Soma éclairent les scènes avec intelligence. Eblouissantes pour les journées au bord de la mer ou plus sombres pour des soirées un peu déjantées où les multiples bougies créent les atmosphères dans la fumée des joints. Très joli contrejour en ombres chinoises aussi. Un immense canapé transformable meuble la pièce. Les costumes réalisés par Frédéric Llinares sont amusants et bien venus dans ce contexte. Les costumes trois pièces très sérieux de nos jeunes amoureux du début s’opposent à ces déguisements en vogue à Kathmandu qui les rendent méconnaissables avec cheveux longs et perruque blonde. Les fiancées ont aussi troqué leurs jupes strictes aux couleurs pastel pour des saris plus en rapport avec leur nouvelle émancipation. Tout ceci est donné à voir et à écouter dans une joyeuse liberté et l’on se prête au jeu. Le plateau est en rapport avec cette comédie : équilibré et talentueux. Barbara Kits est la sage Fiordiligi qui, malgré quelques réticences se laissera entraîner par la frivolité ambiante. Voix suave au vibrato naturel dans une noblesse de maintien. A l’aise dans son jeu elle l’est aussi dans sa voix, une voix longue aux vocalises agiles. Ses aigus francs sont chantés sans forcer avec une musicalité qui ressort aussi bien dans ses Airs que dans les ensembles et duos. La souplesse de sa voix lui permet de passer du grave à l’aigu avec aisance tout en donnant plus de force dans son Air ” Come scoglio” de l’acte I. Plus piano et dramatique, soutenu par les variations solistiques du cor, sera son Air de l’acte II “Per pietà ben mio perdona…”.  Une superbe Fiordiligi. Plus délurée est la Dorabella de Marion Lebègue qui chante avec force et musicalité dans une voix profonde de mezzo-soprano. De belles attaques, du rythme dans son Air de l’acte I “Ah ! Scostati ! Smanie implacabili…” qui fait résonner ses graves. Dans un jeu amusant et un ton enjoué elle parle de l’amour avec légèreté “E amore un landroncello…” à l’acte II. La voix est longue, le vibrato agréable et c’est avec beaucoup de grâce qu’elle chante des duos équilibrés avec Fiordiligi. La Despina de Pauline Courtin a tout ce que requiert ce rôle. Une voix de soprano percutante, la légèreté, la verve et la brillance. Toujours en place dans une diction projetée, elle est amusante avec charme et naturel. Sa voix claire passe aussi bien dans l’Air de l’acte I “In uomini, in soldati sperare fedelta…” chanté avec conviction et projection, qu’à l’acte II, alors qu’elle chante “Una donna a quindici anni…” d’une voix suave et plus légère. Mutine, libertine, la voix suit la scène et peut devenir nasillarde suivant le personnage. Un feu d’artifice. Dave Monaco prête sa voix de ténor à Ferrando. Sans être une grande voix il a tout du ténor mozartien : le velouté, le legato, le style et la ponctuation. Sa sensibilité peut aussi devenir plus énergique dans la colère sans aucune rupture vocale. Se coulant dans ses deux personnages, il nous séduit d’entrée dès l’acte I avec son Air “Un’ aura amorosa…” d’une grande musicalité aux ralentis bien amenés. Douceur, souplesse et charme mais aigus assurés sans être forcés. Un Ferrando attachant à la voix tout en rondeur. Le baryton Vincenzo Nizzardo est Guglielmo. En costume trois pièces au début, il se transforme peu à peu en séducteur impénitent. De l’allure, un jeu à l’aise, une guitare et le voilà un autre homme. Sa voix solide et ses graves chaleureux auront peu de difficulté à séduire Dorabella ainsi que le public. Amusant et se voulant charmeur à l’acte I “Non siate ritrosi…” il est plus vif et sonore dans son Air de l’acte II “Donne mie la fate a tanti…”. Convaincant dans sa colère, il est un Guglielmo amusant. Amusant aussi le Don Alfonso de David Bizic en pantalons blancs et chemise rouge hawaïenne. Le Don Alfonso imaginé par le metteur en scène n’a rien du vieux barbon aigri, il est plutôt un jouisseur qui entraîne ses amis pour des découvertes qu’ils auraient sans doute préféré éviter. La voix est grave à souhait, sonore, chaleureuse, puissante comme l’est ce personnage truculent. Jeu à l’aise et souplesse de voix. Une voix ronde et homogène projetée et rythmée. Un don Alfonso bien dans la note de cette mise en scène cohérente pour un plateau équilibré. Peu sollicité mais bien préparé par Christophe Bernollin, le chœur est très en place et participe de la bonne humeur ambiante. Mais si le succès est au rendez-vous c’est aussi et sans conteste grâce à l’orchestre et à son chef Karel Deseure. Une direction affinée, mozartienne, nette, précise, au plus près du texte mais empreinte de musicalité, respectant les voix, les soutenant sans jamais les couvrir tout en gardant les tempi et les rythmes qui font la réussite de l’ouvrage. L’attention du spectateur est constamment soutenue par la musique d’un Mozart superbement interprété. Un grand bravo aux musiciens de l’orchestre pour cette interprétation pétillante, musicale dans une belle unité de son. Un grand moment de plaisir !