Marseille, Auditorium du Pharo, saison 2022/2023
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Michele Spotti
Piano Jean-Efflam Bavouzet
Ludwig van Beethoven: Concerto pour piano n°2 en si bémol majeur
Anton Bruckner: Symphonie n°3 en ré mineur
Marseille, le 11 décembre 2022
C’est encore un superbe moment de musique que nous proposait l’Orchestre Philharmonique de Marseille en ce dimanche 11 décembre à L’Auditorium du Pharo cette fois. Deux compositeurs assez éloignés dans le temps mais que la musique austro-allemande pourrait réunir. Si Ludwig van Beethoven est né à Bonn, faisant de lui un compositeur allemand, il s’installe à Vienne dès 1792 et ce concerto n°2, en si bémol majeur pour piano et orchestre, reste encore influencé par l’immense Mozart décédé un an plus tôt. La musique jouée à Vienne va donc réunir Beethoven et Bruckner dans le programme choisi pour ce concert. Mais ces deux œuvres ont un autre point commun : elles ont été remaniées plusieurs fois, les deux compositeurs n’étant jamais satisfaits, au point que Beethoven lui-même décriera la valeur de son concerto jusqu’auprès de son éditeur. Trop classique, trop Mozartien ? C’est ici le talentueux pianiste français Jean-Efflam Bavouzet qui interprète ce concerto avec un charme incomparable et une technique époustouflante. Si l’on ne trouve pas dans cette œuvre, qui fait encore partie des premières compositions de Beethoven, la puissance orchestrale qui le caractérisera plus tard, elle est pourtant, et dans cette interprétation tout particulièrement, un moment exceptionnel de musique. Michele Spotti retrouve, avec un plaisir évident et partagé, l’Orchestre Philharmonique de Marseille qu’il avait dirigé pour la première fois en 2021 pour un splendide Guillaume Tell. Sa baguette a gardé l’énergie, la clarté et la précision que demande ce concerto. Accords affirmés pour une introduction sensible où planent encore des harmonies très mozartiennes. L’homogénéité des cordes et de l’harmonie déroule un tapis sonore au jeu perlé du pianiste où toucher clair et délicat rime avec fluidité. Tout l’art du chef d’orchestre, dans ce tempo allant, réside dans la maîtrise de l’accompagnement avec des enchaînements liés et des nuances qui mettent en valeur le soliste. Le piano discourt avec l’orchestre dans une même esthétique musicale pour des notes piquées ou un crescendo sans dureté mais dans une sûreté de mains qui laisse résonner les sons. La longue cadence de cet Allegro con brio fait alterner puissance et délicatesse dans une modernité toute musicale et des enchaînements de gammes où les deux mains parcourent avec aisance le clavier. Suit un Adagio sans lenteur mais joué avec la sensibilité et l’élégance de jeu qui caractérisent Jean-Efflam Bavouzet. Sentimentale cette phrase pour piano seul où les doigts enfoncés avec délicatesse sur les touches donnent une profondeur de son particulière, et tendre discours avec l’orchestre qui joue sur la pointe des archets laissant les respirations légères amener les sons en suspension pour ce rallentando qui ouvre le brillant Rondo, Molto allegro. Doigts déliés, accents dans le son pour un style encore influencé par Joseph Haydn ; et le pianiste s’amuse avec les notes qui retombent en gouttes d’eau. Dans un jeu facile, comme une évidence, et dans une communion musicale avec l’orchestre, Jean-Efflam Bavouzet égraine les notes, les gammes ascendantes et les trilles incisifs. Quelle élégance, quelle technique! Superbe interprétation ! L’Île joyeuse de Claude de Bussy est donnée en bis ; main gauche mystérieuse et main droite aux doigts perlés. La lumière fait scintiller les eaux alors que les doigts parcourent le clavier créant images et atmosphères. Rythmes vifs et vélocité pour une exécution flamboyante. Superbe encore et enthousiasme sonore d’un public conquis ! Que d’insatisfactions, que de remaniements pour cette symphonie N°3 d’Anton Bruckner dédicacée à Richard Wagner et créée à Vienne le 16 décembre 1877 sous la direction du compositeur. Modifiée, reprise, les références aux opéras de Wagner estompées, 1ère version, 2ème version, 2bis (ou 3ème version)… celle choisie par Michele Spotti et d’une durée de près d’une heure. Si ce n’est certes pas la plus monumentale des symphonies d’Anton Bruckner, cette œuvre ambitieuse, audacieuse même, met les instruments en valeur et tout particulièrement les cuivres. Le tempérament peu assuré du compositeur se ressent sans doute dans la structure de son œuvre et notamment dans cette troisième symphonie, avec des ruptures fréquentes et des thèmes qui reviennent inlassablement, cherchant des sorties éventuelles. Le choix du chef d’orchestre pour cette troisième version est d’y trouver une architecture plus solide, plus élaborée ; il faut dire que le jeune maestro italien a réussi ici une construction idéale trouvant les liens, les nuances et l’unité dont avait besoin cette symphonie. Mais pour un concert réussi, il faut aussi une fusion entre le chef et son orchestre et là, cela se voit, s’entend et se ressent. Dans un tempo allant et une gestuelle qui amène le son, Michele Spotti crée les atmosphères passant du bruissement des cordes à la puissance orchestrale. Les phrases musicales s’enchevêtrent et laissent ressortir la rondeur du son du cor ou la lumière de la flûte. Dans une direction claire et sans aucune afféterie, le chef d’orchestre va chercher le son dans l’assise des basses ou le mystère dans les pizzicati des cordes, avec un choral de trombones sur la puissance des archets. Joie, intensité, puissance encore des trompettes et des timbales, telle une machine en marche. C’est dans un tempo allant mais langoureux que l’Adagio trouve de la profondeur dans la longueur d’archets des alti et des basses pour quelques phrases romantiques. Un mouvement apaisé terminé sur une longue tenue de cor. Vif, fort, rythmé dans un tempo qui avance, le chef conserve son élégance pour des notes qui reviennent tel un manège qui tourne et s’emballe alors que les alti plus marqués passent à une danse populaire dans ce Scherzo coloré et joyeux qui laisse découvrir les couleurs multiples des différents pupitres. Joie contenue dans cet Allegro joué avec délicatesse sur la pointe de la baguette, mais opposition des cuivres qui interrompent le discours. Ce sont là toutes les contradictions d’un Bruckner qui mêle aussi quelques mesures religieuses jouées dans un beau soli de cors. Malgré les phrases apaisées des violoncelles, une symphonie d’Anton Bruckner peut-elle se terminer sans un magistral final où des cordes déchaînées résistent aux cuivres, à toute l’harmonie et jusqu’aux timbales qui couronnent ce déferlement sonore ? Superbe interprétation qui soulève la salle d’enthousiasme avec un jeune chef d’orchestre habité qui a su, tout au long du concert, faire ressortir l’immense palette des couleurs contenues dans l’écriture de ces deux compositeurs qui continuent à marquer la musique. Chef et musiciens sont associés dans cet immense bravo tant la fusion est complète et l’éclat généreux.