Marseille, Opéra municipal de Marseille, saison 2022/2023
“GIOVANNA D’ARCO”
Opéra en 3 actes et 1 prologue, livret de Temistocle Solera d’après Die Jungfrau von Orleans de Friedrich von Schiller
Musique de Giuseppe Verdi
Giovanna d’Arco YOLANDA AUYANET
Carlo VII RAMON VARGAS
Giacomo JUAN JESUS RODIGUEZ
Delil PIERRE-EMMANUEL ROUBET
Talbot SERGEY ARTAMONOV
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Version concertante
Marseille, le 23 novembre 2022
Après le succès d’Elisabetta regina d’Inghilterra en version concertante, l’Opéra de Marseille réitère et nous donne à écouter, toujours en version concertante et première audition dans cette ville, la “Giovanna d’Arco” de Giuseppe Verdi. C’est bien connu, le directeur général de l’Opéra de Marseille Maurice Xiberras aime les voix. Il les connaît bien et les choisit avec un soin d’autant plus grand qu’aucune mise en scène ne vient étayer le propos. Voix reconnues ou en devenir, son choix est sûr et le public marseillais est toujours assuré d’avoir un plateau excellent et homogène. Les voix choisies ce soir sont des valeurs sûres d’autant que sur une durée de deux heures seuls trois personnages se partageront cabalettes, cavatines et duos ; c’est dire si cet ouvrage demande de solides voix.
Giovanna d’Arco est le septième opéra de Giuseppe Verdi, créé à Milan au Teatro alla Scala en 1845. Verdi éprouve une grande tendresse pour cette œuvre qu’il considère comme son meilleur opéra ; basée sur l’adaptation de la pièce Die Junfrau von Orleans de Friedrich von Schiller, elle met en scène la vie de Jeanne d’Arc. Cette adaptation qui nous évite le bûcher, Jeanne mourant sur le champ de bataille, met l’accent sur une supposée idylle entre le roi Charles VII et la vaillante guerrière amenant le courroux d’un père qui, se sentant déshonoré, livrera sa fille aux anglais. On comprend surtout le courroux des français; comment, toucher à une figure emblématique de l’histoire de France ? Cet opéra sera donc boudé en France et, de ce fait, très peu programmé. Cet ouvrage a pourtant tenté de superbes voix, de Renata Tebaldi à Montserrat Caballé ou Anna Netrebko… et Carlo Bergonzi en roi Charles entre autres. L’écriture en est tout à fait verdienne tant pour l’orchestre avec des envolées guerrières aux tempi enlevés, que pour les mélodies sensibles qui mettent en valeur les voix et les instruments solistes. Y-a-t-il voix plus appropriée pour Jeanne que celle de Yolanda Auyanet qui nous avait déjà séduits dans le Don Carlo de 2017 (Elisabeth de Valois) ? Elle allie sensibilité et autorité avec un charme à fleur de voix. Une Jeanne inspirée qui défend avec force sa patrie et son roi mais qui cède parfois aux voix tentatrices qui lui font découvrir ses sentiments inavoués pour le souverain. Si Jeanne est une toute jeune fille qui peut avoir quelques côtés fragiles, elle est plus connue pour sa force et sa détermination. La voix de la soprano espagnole est ici tout indiquée et on retrouve avec délice les pianissimi sur un filet de voix qui ont fait la célébrité de sa compatriote Montserrat Caballé. Mais si ses notes chantées piano ravissent, sa mélodie dans un médium soutenu et moelleux, accompagnée par une clarinette au timbre mélodieux force l’admiration. Et que dire de ses aigus tranchants mais toujours timbrés ? Ce rôle, d’une grande difficulté tant les changements de sentiments sont nombreux, Yolanda Auyanet l’aborde dans une voix homogène et maîtrisée malgré les multiples sauts d’intervalles. Très belle cavatine” Sempre all’alba ed alla sera…” et émotion garantie à l’écoute de la romance “O fatidica foresta”. Duos superbes avec Carlo où elle fait montre d’autorité, ou plus passionné avec Giacomo “Amai, ma solo un instante”. Une voix lumineuse ; la belle compréhension du personnage lui permet aussi des phrases sublimes avec ces prises de notes délicates qui appellent le superlatif. Sublime ! Ramon Vargas est Carlo. Si ce roi pris de doutes veut déposer les armes, la voix vaillante du ténor mexicain ne désarme jamais. Ténor au répertoire plus qu’impressionnant ; du belcanto, certes, mais pas que, Berlioz, Gounod, mélodies et même lieder… feront résonner sa voix. Depuis quand tient-il le haut de la scène ? On pourrait attendre une voix un peu vieillie, il n’en est rien ; puissance, beau maintien du souffle et aigus sûrs et tenus sont ses atouts. Ce rôle tendu, Ramon Vargas le soutient de bout en bout avec une vaillance époustouflante. Sa technique parfaite lui permet une émission directe aux attaques franches mais aussi une belle ligne de chant ainsi dans son duo avec Jeanne, pour une déclaration passionnée et une mélodie où prime le sens du phrasé. Etonnant Ramon Vargas qui, malgré sa voix puissante, arrive à être touchant dans ses inflexions vocales. Une interprétation sans faute tant la musicalité omniprésente ressort dans chaque phrase. Superbe aussi ! Troisième personnage sombre et hautement antipathique ce Giacomo qui peut livrer sa fille au nom de l’honneur. Grâce à sa voix profonde et un magnifique soutien du souffle, Juan Jesus Rodriguez relève le défi et force l’admiration. Nous avions déjà apprécié le baryton espagnol dans le rôle de Macbeth sur cette scène en juin 2016 ; nous ne serons pas déçus ce soir. La voix est puissante mais toujours dans un timbre coloré. Son large ambitus nous offre un Air dramatique “Speme al vecchio er auna figlia” dans un timbre chaleureux et une ligne de chant admirable. Si l’on n’adhère pas à la souffrance de ce père qui livre sa fille, on est toutefois conquis par ce chant au souffle soutenu. Terrible dans une colère sonore et rythmée, mais beau duo avec Carlo aux deux voix équilibrées dans un a cappella avec chœur d’une grande justesse et un trio dramatique pour un grand final du II. Un Giacomo impressionnant de méchanceté dans une voix solide et mordante. L’acte III nous offre un autre duo superbe d’engagement, avec Jeanne cette fois, dans une même esthétique musicale avant de faire allégeance au roi. Giuseppe Verdi a souvent privilégié les voix de baryton, si ce n’est pas le cas ici où les trois voix sont équitablement distribuées il offre, cette fois encore au baryton l’occasion de briller. Un rôle difficile admirablement défendu par un Juan Jesus Rodriguez au sommet de son art vocal. Superbe encore ! Trois phrases simplement pour la superbe voix de Sergey Artamonov (Talbot) et deux interventions sonores pour le Delil de Pierre-Emmanuel Roubet. Comme souvent chez Verdi, le Chœur tient une partie importante ; peut-être un peu moins sollicité dans cet ouvrage il est ici au mieux de sa forme toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque. Attaques précises, ensemble homogène, représentant les anglais aussi bien que les français, passant de la scène aux coulisses avec un chœur féminin aux voix éthérées. Puissance et couleurs sont les qualités du chœur de l’Opéra de Marseille. Nous retrouvons Roberto Rizzi Brignoli à la tête de l’orchestre et du plateau dirigeant toujours sans baguette. Une direction sans doute un peu plus franche que dans le Rossini présenté en début de mois. Verdi demandant plus de force, le chef d’orchestre italien semble plus investi et surtout plus précis ; mais c’est sans doute à l’orchestre que vont tous nos éloges. Si Giuseppe Verdi avait une grande tendresse pour cet ouvrage, nous pouvons comprendre pourquoi. Passé le ravissement de la découverte, nous restent des Airs (il y en a à foison), des atmosphères et surtout des émotions procurées aussi par l’orchestre qui, en plus d’un ensemble parfait et d’un accompagnement attentif aux voix, nous propose des solos magnifiques, flûte, hautbois, trompettes, violoncelle, avec une mention spéciale pour la clarinette dans cette mise à l’honneur par le compositeur qui utilise toutes les possibilités de cet instrument aux couleurs particulières. Un ouvrage à écouter, réécouter sans modération tant le plaisir fut grand. Un immense bravo et merci pour cette découverte à l’opéra de Marseille.
Giovanna d’Arco est le septième opéra de Giuseppe Verdi, créé à Milan au Teatro alla Scala en 1845. Verdi éprouve une grande tendresse pour cette œuvre qu’il considère comme son meilleur opéra ; basée sur l’adaptation de la pièce Die Junfrau von Orleans de Friedrich von Schiller, elle met en scène la vie de Jeanne d’Arc. Cette adaptation qui nous évite le bûcher, Jeanne mourant sur le champ de bataille, met l’accent sur une supposée idylle entre le roi Charles VII et la vaillante guerrière amenant le courroux d’un père qui, se sentant déshonoré, livrera sa fille aux anglais. On comprend surtout le courroux des français; comment, toucher à une figure emblématique de l’histoire de France ? Cet opéra sera donc boudé en France et, de ce fait, très peu programmé. Cet ouvrage a pourtant tenté de superbes voix, de Renata Tebaldi à Montserrat Caballé ou Anna Netrebko… et Carlo Bergonzi en roi Charles entre autres. L’écriture en est tout à fait verdienne tant pour l’orchestre avec des envolées guerrières aux tempi enlevés, que pour les mélodies sensibles qui mettent en valeur les voix et les instruments solistes. Y-a-t-il voix plus appropriée pour Jeanne que celle de Yolanda Auyanet qui nous avait déjà séduits dans le Don Carlo de 2017 (Elisabeth de Valois) ? Elle allie sensibilité et autorité avec un charme à fleur de voix. Une Jeanne inspirée qui défend avec force sa patrie et son roi mais qui cède parfois aux voix tentatrices qui lui font découvrir ses sentiments inavoués pour le souverain. Si Jeanne est une toute jeune fille qui peut avoir quelques côtés fragiles, elle est plus connue pour sa force et sa détermination. La voix de la soprano espagnole est ici tout indiquée et on retrouve avec délice les pianissimi sur un filet de voix qui ont fait la célébrité de sa compatriote Montserrat Caballé. Mais si ses notes chantées piano ravissent, sa mélodie dans un médium soutenu et moelleux, accompagnée par une clarinette au timbre mélodieux force l’admiration. Et que dire de ses aigus tranchants mais toujours timbrés ? Ce rôle, d’une grande difficulté tant les changements de sentiments sont nombreux, Yolanda Auyanet l’aborde dans une voix homogène et maîtrisée malgré les multiples sauts d’intervalles. Très belle cavatine” Sempre all’alba ed alla sera…” et émotion garantie à l’écoute de la romance “O fatidica foresta”. Duos superbes avec Carlo où elle fait montre d’autorité, ou plus passionné avec Giacomo “Amai, ma solo un instante”. Une voix lumineuse ; la belle compréhension du personnage lui permet aussi des phrases sublimes avec ces prises de notes délicates qui appellent le superlatif. Sublime ! Ramon Vargas est Carlo. Si ce roi pris de doutes veut déposer les armes, la voix vaillante du ténor mexicain ne désarme jamais. Ténor au répertoire plus qu’impressionnant ; du belcanto, certes, mais pas que, Berlioz, Gounod, mélodies et même lieder… feront résonner sa voix. Depuis quand tient-il le haut de la scène ? On pourrait attendre une voix un peu vieillie, il n’en est rien ; puissance, beau maintien du souffle et aigus sûrs et tenus sont ses atouts. Ce rôle tendu, Ramon Vargas le soutient de bout en bout avec une vaillance époustouflante. Sa technique parfaite lui permet une émission directe aux attaques franches mais aussi une belle ligne de chant ainsi dans son duo avec Jeanne, pour une déclaration passionnée et une mélodie où prime le sens du phrasé. Etonnant Ramon Vargas qui, malgré sa voix puissante, arrive à être touchant dans ses inflexions vocales. Une interprétation sans faute tant la musicalité omniprésente ressort dans chaque phrase. Superbe aussi ! Troisième personnage sombre et hautement antipathique ce Giacomo qui peut livrer sa fille au nom de l’honneur. Grâce à sa voix profonde et un magnifique soutien du souffle, Juan Jesus Rodriguez relève le défi et force l’admiration. Nous avions déjà apprécié le baryton espagnol dans le rôle de Macbeth sur cette scène en juin 2016 ; nous ne serons pas déçus ce soir. La voix est puissante mais toujours dans un timbre coloré. Son large ambitus nous offre un Air dramatique “Speme al vecchio er auna figlia” dans un timbre chaleureux et une ligne de chant admirable. Si l’on n’adhère pas à la souffrance de ce père qui livre sa fille, on est toutefois conquis par ce chant au souffle soutenu. Terrible dans une colère sonore et rythmée, mais beau duo avec Carlo aux deux voix équilibrées dans un a cappella avec chœur d’une grande justesse et un trio dramatique pour un grand final du II. Un Giacomo impressionnant de méchanceté dans une voix solide et mordante. L’acte III nous offre un autre duo superbe d’engagement, avec Jeanne cette fois, dans une même esthétique musicale avant de faire allégeance au roi. Giuseppe Verdi a souvent privilégié les voix de baryton, si ce n’est pas le cas ici où les trois voix sont équitablement distribuées il offre, cette fois encore au baryton l’occasion de briller. Un rôle difficile admirablement défendu par un Juan Jesus Rodriguez au sommet de son art vocal. Superbe encore ! Trois phrases simplement pour la superbe voix de Sergey Artamonov (Talbot) et deux interventions sonores pour le Delil de Pierre-Emmanuel Roubet. Comme souvent chez Verdi, le Chœur tient une partie importante ; peut-être un peu moins sollicité dans cet ouvrage il est ici au mieux de sa forme toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque. Attaques précises, ensemble homogène, représentant les anglais aussi bien que les français, passant de la scène aux coulisses avec un chœur féminin aux voix éthérées. Puissance et couleurs sont les qualités du chœur de l’Opéra de Marseille. Nous retrouvons Roberto Rizzi Brignoli à la tête de l’orchestre et du plateau dirigeant toujours sans baguette. Une direction sans doute un peu plus franche que dans le Rossini présenté en début de mois. Verdi demandant plus de force, le chef d’orchestre italien semble plus investi et surtout plus précis ; mais c’est sans doute à l’orchestre que vont tous nos éloges. Si Giuseppe Verdi avait une grande tendresse pour cet ouvrage, nous pouvons comprendre pourquoi. Passé le ravissement de la découverte, nous restent des Airs (il y en a à foison), des atmosphères et surtout des émotions procurées aussi par l’orchestre qui, en plus d’un ensemble parfait et d’un accompagnement attentif aux voix, nous propose des solos magnifiques, flûte, hautbois, trompettes, violoncelle, avec une mention spéciale pour la clarinette dans cette mise à l’honneur par le compositeur qui utilise toutes les possibilités de cet instrument aux couleurs particulières. Un ouvrage à écouter, réécouter sans modération tant le plaisir fut grand. Un immense bravo et merci pour cette découverte à l’opéra de Marseille.