Lady Macbeth ANASTASIA BARTOLI
Suivante de Lady Macbeth LAURENCE JANOT
Le Médecin/Une Apparition/Le Serviteur de Lady Macbeth/ JEAN-MARIE DELPAS
Un Araldo TOMASZ HAJOK
2ème apparition EMILIE BERNOU
3ème apparition PASCALE BONNET-DUPEYRON
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef de chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Frédéric Bélier Garcia
Costumes Catherine et Sarah Leterrier
Décors Jacques Gabel
Lumières Dominique Bruguière
Marseille, le 1er octobre 2022
En cette soirée du 1er octobre et pour l’ouverture de la saison 2022/2023, l’Opéra de Marseille avait choisi de présenter Macbeth l’opéra de Guiseppe Verdi dans la production de Frédéric Bélier Garcia, coproduction Opéra de Marseille/Opéra Grand Avignon déjà programmée en fin de saison 2016. Assez fidèle à la pièce de William Shakespeare, l’œuvre de Giuseppe Verdi est parmi les plus sombres du compositeur, telle la voulait-il d’ailleurs demandant à son librettiste des dialogues assez courts mais percutants afin de garder la tension et le dramatique tout au long de l’ouvrage.
Créé à Florence, Teatro alla Pergola le 14 mars 1847, la critique sera un peu frileuse, attendant du compositeur un plus grand élan vers le Risorgimento naissant. L’on pouvait pourtant trouver dans le rôle de Macbeth une critique de la tyrannie et de l’oppression du peuple. Mais au-delà de la politique, Giuseppe Verdi a voulu mettre l’accent sur le côté psychologique, les perversions de l’âme humaine, la soif du pouvoir et la faiblesse d’un Macbeth qui se laisse manipuler par sa femme, elle-même le jouet du destin au travers des prédictions des sorcières. Si la scène et son théâtre nous entraînent dans ces atmosphères étranges et dramatiques, le choix des voix, la puissance et l’orchestration font de cet ouvrage une pièce majeure et des plus abouties de toute l’œuvre du compositeur, et cela dès le prélude avec l’exposition de certains thèmes musicaux. Nous avions déjà apprécié cette production en 2016 et notre sentiment n’a pas changé car bien qu’un peu originale par certains côtés la mise en scène de Frédéric Bélier Garcia reste dans une interprétation assez classique ne dénaturant pas l’ouvrage. Si l’on se réfère aux costumes imaginés par Catherine et Sarah Leterrier l’époque peu définie est un mélange des genres, intemporalité des sentiments? Pourpoints et cuissardes pour certains hommes, costumes noirs portant fraises pour certains autres, robe de velours ou chemise de nuit blanche et longue pour Lady Macbeth, robes disparates pour les sorcières qui sont devenues des femmes déséquilibrées sujettes à des visions, ce qui évitera le grand chaudron où bouillent les ingrédients propres à la sorcellerie. Le metteur en scène restant au plus près du texte la compréhension se fait naturellement : le trouble de Macbeth devant ses visions qui font défiler les rois qui vont lui succéder, la scène de somnambulisme de Lady Macbeth et, si l’on ne voit pas la forêt de Birnam avancer, la bataille est suggérée avec des lances qui transpercent les murs. Le metteur en scène anticipe les décors qui descendent des cintres avant la fermeture du rideau tenant le spectateur dans ces atmosphères tendues ; original ! La direction des acteurs est bien menée, pas de mouvements de foule, mais des déplacements de chacun qui meublent un plateau assez dénudé. Peu de décors mais assez bien imaginés par Jacques Gabel. Une grande pièce de réceptions sans doute, assez vétuste dont le mobilier est cassé et où vivent les femmes déséquilibrées ? Un hall dans le château de Macbeth dont les murs laissent apercevoir une action en transparence, les arbres dans le parc derrière lesquels se dissimulent les sbires venus tuer Banquo ; des scènes éclairées par Dominique Bruguière qui reprend les lumières rasantes et dorées du Caravage ou les clairs-obscurs d’un Rembrandt dont le sombre de son tableau “La ronde de nuit” nous entraîne dans l’épaisse noirceur du parc du château. Des éclairs à vous donner le frisson, mais très belle scène aussi que ces lamentations d’un peuple opprimé, assassiné, éclairée comme un tableau biblique. Si la scène est prenante, le jeu des acteurs et les voix ne le sont pas moins. Un casting réussi, homogène avec des voix superbes et le physique des rôles. Nous ne connaissions pas Anastasia Bartoli qui campe une Lady Macbeth maléfique de tout premier ordre. Elle semble défier le monde, la scène, l’orchestre, la salle, rien ne lui résiste et surtout pas son mari, mais tout finira par un désastre.
Si sa voix nous paraît un peu métallique aux premières notes, son investissement, sa musicalité et la justesse de son interprétation nous ont enchantés tout au long du spectacle. Energie vocale, sens des respirations, longueur de voix dans une liberté qui lui permet vocalises et trilles percutants. Si la soprano italienne a une voix à déclencher tous les cataclysmes, elle sait aussi la moduler, dans la scène de somnambulisme par exemple, pour des émotions palpables et une fin de phrase des plus musicale alors qu’elle quitte la scène. Dalibor Jenis donne de l’épaisseur au personnage de Macbeth malgré la culpabilité et les doutes qui l’assaillent.
Très à l’aise dans son émission, la richesse du timbre de la voix du baryton slovaque lui permet de superbes duos aussi bien avec Banquo qu’avec Lady Macbeth. La puissance ne nuit en rien à sa ligne de chant menée dans une voix homogène au phrasé musical. Puissance intérieure cette fois alors que seul devant son trône à l’acte IV il chante son air “Pieta, rispetto, amore…” graves qui résonnent, qualité du phrasé et harmoniques dans les aigus qui donnent des frissons. Ensemble vocal a cappella de toute beauté. Nicolas Courjal campe un Banquo sensible et sonore. Son air “Come dal ciel precipita…” de l’acte II laisse résonner des graves profonds dans de jolies nuances ou des aigus puissants dans une ligne de chant musicale. Un seul air pour le Macduff du ténor Jérémy Duffau mais une grande sensibilité alors qu’il pleure la mort de ses fils “O figli, o figli miei !” dans une voix claire aux aigus projetés et tenus.
Une voix qui porte sans forcer avec de belles prises de notes. Autre belle voix de ténor, celle de Nestor Galvan pour un Malcolm plein de vigueur dont les aigus résonnent avec force dans le “Vittoria !” final. Laurence Janot est une Suivante au soprano mélodieux que l’on apprécie dans des nuances délicates aux notes projetées. Belle prestation aussi de Jean-Marie Delpas pour un Serviteur de Lady Macbeth sonore aux interventions justes et timbrées. Jolies voix de sopranos pour les deux apparitions chantées par Emilie Bernou et Pascale Bonnet-Dupeyron et belle intervention sonore du Araldo de Tomasz Hajok.
Personnage à part entière le chœur des Sorcières aux voix sonores, inquiétantes et projetées toujours en place et déterminées : “Tre volte miagola la gatta…” rythmes et virulence. Belles voix d’hommes aussi pour un cadre des chœurs très bien préparé par Emmanuel Trenque ; “Patria oppressa…” émotion pour ce peuple malmené et extraordinaire puissance dans le “Vittoria” final qui déclenche un déluge d’applaudissements. Mais cette réussite ne pourrait exister sans la symbiose entre la scène et la musique apportée par le maestro Paolo Arrivabeni. Une direction souple mais ferme aussi dans un souci des équilibres, le choix des tempi et la diversité des nuances. Un orchestre en grande forme qui fait éclater cuivres et cordes sans dureté, change les atmosphères dans un spiccato piano des violons et suit les chanteurs dans des ralentis bien amenés. Le chef italien a su trouver les accents qui font de cet opéra une œuvre particulière, sombre et éclatante. Une première très réussie, un immense bravo! Photo Christian Dresse