Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2022
“ORPHÉE ET EURYDICE”
Opéra en quatre actes, livret de Pierre-Louis Moline d’après Ranieri de’ Calzabigi, version remaniée par Hector Berlioz d’Orphée et Eurydice (Paris, 1774)
Musique de Christoph Willibald Gluck
Orphée EMILY D’ANGELO
Eurydice SABINE DEVIEILHE
Amour LEA DESANDRE
Chœur et Orchestre Pygmalion
Direction musicale Raphaël Pichon
Chef de chant Mathieu Pordoy
Aix-en-Provence, le 21 juillet 2022
En cette soirée du 21 juillet nous voici retournés au royaume des morts pour l’Orphée et Eurydice de Gluck cette fois, donné au Festival d’Aix-en-Provence pour une seule représentation. Ce petit bijou de musique baroque nous est présenté dans la version de 1859 remaniée par Hector Berlioz. Le rôle d’Orphée avait été interprété par des hommes, voix de castrats ou haute-contre, mais c’est Pauline Viardot qui est choisie pour interpréter Orphée selon la demande de Léon Carvalho le directeur du Théâtre-Lyrique. Grand admirateur de Gluck, le compositeur français reprend, pour le Théâtre-Lyrique, la version parisienne de 1774 et donne le rôle à une mezzo-soprano. Le 19 novembre 1859, dans des décors d’Eugène Delacroix, Paris redécouvre cette œuvre dans une version fidèle mais plus moderne. Gluck a déjà écrit une trentaine d’ouvrages, il est dans une certaine recherche et Orphée et Eurydice sera le premier de ses opéras dits réformés avec cette tendance à la simplicité. Contrairement à Monteverdi, ce n’est pas une cantate nuptiale qui qui ouvre l’opéra mais la déploration d’Orphée dans une douleur contenue. On ne trouve pas ici les riches ornementations d’un Monteverdi mais une ligne vocale plus simple soutenue par les accords du luth (ici, la harpe) et des récitatifs plus chantés. Hector Berlioz n’aimait pas l’ouverture prévue par Gluck aussi, Raphaël Pichon n’a pas pensé trahir le compositeur en la remplaçant par un prélude écrit de la main de Gluck, plus sombre, plus en adéquation avec l’ensemble de l’œuvre. La phrase lugubre du début chantée par le chœur terminera l’ouvrage après un grondement de timbales car ici, Orphée cédant aux suppliques d’Eurydice se retourne, la regarde et la voit mourir une seconde fois. Donnée en version concert par ce qu’il se fait de mieux en matière de baroque l’Ensemble Pygmalion jouant sur instruments anciens avec son chef Raphaël Pichon. Le chef d’orchestre français qui a abordé la musique par l’étude du piano, du violon et du chant nous propose une interprétation superbe de cette œuvre. Recherche des sonorités avec ces instruments anciens qui voilent parfois les sons et ce superbe solo de flûte, recherche aussi des dynamiques dans des tempi appropriés, impulsions données aux chanteurs et au chœur pour une présence et une implication dont le relief est un plaisir toujours renouvelé. Raphaël Pichon est un chef convaincant. Sans baguette mais dans une direction ample il passe des forêts aux enfers et de l’éclat des cuivres aux sonorités des cordes plus sensibles avec des voix qui se superposent ou des homophonies qui donnent de la puissance au chœur. Chanteurs d’exception aussi. L’Orphée d’Emily D’Angelo est remarquable en tous points, présence, voix, musicalité. La mezzo-soprano qui fait ses débuts au Festival d’Aix-en-Provence aussi bien que dans ce rôle fait preuve d’une maturité de voix et d’une aisance vocale qui tiennent en haleine un public subjugué “Amour viens rendre à mon âme…”. Passant du mezza-voce à une voix dramatique aux graves sonores et aux aigus puissants, la mezzo-soprano canadienne sait aussi faire preuve d’agilité et de vélocité, chantant avec orchestre ou a cappella dans un exercice de chant sans faute. “J’ai perdu mon Eurydice…” cet autre air très attendu avec ses appels tragiques, chanté dans un tempo allant, est empreint d’une belle émotion expressive. Mince, les cheveux courts, sanglée dans un ensemble pantalon noir, Emily D’Angelo est sans aucun doute cet Orphée qui nous fait partager sa douleur et son talent. Sabine Devieilhe est Eurydice. Annoncée souffrante (une laryngite), nous retrouvons la soprano française telle que nous la connaissons, avec une voix cristalline où brille la lumière dans une musicalité à fleur de lèvres. Elle est cette Eurydice fragile, heureuse, mais dont les doutes vont la conduire (dans cette version) à une mort définitive, plongeant Orphée dans une douleur éternelle. Fragile donc au début revenant à la vie dans un joli phrasé aux aigus célestes, sa voix s’affermit dans un échange rythmé avec Orphée alors qu’elle le supplie de lui parler. Sa technique vocale, son vibrato homogène et sa musicalité tout en délicatesse font de cette Eurydice obstinée un moment de souffrance pour Orphée mais un grand moment de plaisir pour le public. Autre moment de charme et de transparence avec l’Amour de Lea Desandre. La mezzo-soprano italienne, déjà très appréciée dans le rôle de Cherubino “Le Nozze di Figaro” donné au Théâtre de l’Archevêché en 2021 est ici un Amour sensible aux aigus affirmés sans dureté, interprété avec charme et souplesse dans de jolis phrasés. Tout concourt ici pour nous faire vivre un moment particulier. Il est des moments sublimes qui ne se renouvellent peut-être jamais. En sera-t-il de même pour celui-là, tant on atteint ici à la perfection ? Raphaël Pichon a su tirer l’essence même de la musique avec un orchestre aux sonorités particulières dont l’interprétation fait ressortir les émotions. Le Chœur, dans un savant dosage passe de la puissance des Furies aux lamentation d’Orphée pour la phrase finale “Ah, dans ce bois lugubre et sombre…” qui introduit aussi l’ouvrage. Une réussite dans le choix des tempi ou les sonorités de l’orchestre, jusqu’aux déplacements des solistes et du chœur qui concourent, avec l’apport des lumières qui vont jusqu’au noir complet, à ces atmosphères étranges et contrastées. Et, puisque nous arrivons à la fin de ce festival, n’est-il pas étrange de constater que les bravi d’une salle qui applaudit debout vont aux trois spectacles donnés en concert, sans mis en scène donc, où le public, remplissant les salles a acclamé sans restriction ces moments de musique pure sublimée par le talent des artistes ? Des artistes talentueux durant tout le Festival d’Aix-en-Provence.