Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2022
“NORMA”
Tragedia Lirica en deux actes, livret de Felice Romani, d’après Norma ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet
Musique de Vincenzo Bellini
Version de concert
Norma KARINE DESHAYES
Pollione MICHAEL SPYRES
Adalgisa AMINA EDRIS
Ovoreso KRZYSZTOF BACZYK
Flavio JULIEN HENRIC
Clotilde MARIANNE CROUX
Orchestre Ensemble Resonanz
Chœur Pygmalion
Chœur Pygmalion
Direction musicale Riccardo Minasi
Chef de chœur Lionel Sow
Version de concert
Version de concert
Aix-en-Provence, le 18 juillet 2022
En cette soirée du 18 juillet, et pour un seul concert, le Festival d’Aix-en-Provence nous proposait Norma, certainement l’opéra le plus connu de Vincenzo Bellini et opéra mythique du belcanto depuis que Maria Callas, en l’interprétant en 1949 l’a sorti d’un demi sommeil, faisant de “Casta Diva” un air d’anthologie. Vincenzo Bellini compose cet opéra en trois mois tout en pensant à la cantatrice Giuditta Pasta pour le rôle-titre; Il sera créé à la Scala de Milan le 26 décembre 1831, jour d’ouverture de la saison. Pas très bien reçu à la création, le rôle étant un peu aigu pour La Pasta, le triomphe viendra à la quatrième représentation, le compositeur ayant repensé le rôle un demi ton plus bas. Considéré comme un très grand mélodiste, Bellini reçoit, pour cet ouvrage, les éloges d’autres compositeurs tels Gaetano Donizetti ou Richard Wagner qui dirige l’ouvrage à Riga en 1837. Felice Romani, le librettiste, s’inspire d’une tragédie d’Alexandre Soumet dont le sujet est Médée. Mais Norma n’est pas Médée, elle ne tuera pas ses enfants et se donnera même en sacrifice pour la rédemption de ses péchés. Sous-jacente, une intention politique se cache derrière le drame amoureux ; alors que la Lombardie-Vénétie est gouvernée par l’Autriche l’opéra nous parle d’une révolte des gaulois contre le joug romain. C’est dans une version critique de la partition réalisée par Riccardo Minasi en collaboration avec Maurizio Biondi, d’après des corrections manuscrites autographes du compositeur effectuées après la première représentation, que cette œuvre est donnée ; c’est dans le souci de revenir aux sources que Riccardo Minasi a choisi cette version qu’il dirige ce soir prenant à bras le corps l’Ensemble Resonanz et le Chœur Pygmalion. Donné en version concert avec orchestre et Chœur sur la scène, nous nous sommes demandé au fil de la soirée si cette interprétation suivait au plus près les indications du compositeur ; une direction sans baguette, énergique certes, mais dure, aux tempi vifs avec des nuances très contrastées et des accents exagérés qui enlèvent la fluidité de la musique. Bien loin du style belcantiste tel que nous l’imaginons. Quelle mouche a donc piqué le chef d’orchestre ? Un orchestre qui réagit toutefois avec vivacité aux demandes de la direction. Nous ne sommes pas certains que Bellini concevait ainsi son ouvrage car cette direction très affirmée influe sur l’interprétation vocale. Karine Deshayes, dans une prise de rôle et pour sa première invitation au Festival d’Aix-en-Provence sera cette Norma si attendue par les amateurs de bel canto que les places se sont envolées dès leur mise à la vente. Majestueuse dans une belle présence, la soprano française, qui avait tout d’abord abordé l’ouvrage dans le rôle d’Adalgisa au Teatro real de Madrid, fait résonner ici sa voix aux accents dramatiques. Elle est cette druidesse trompée, bafouée dont les sentiments multiples et contradictoires seront transcrits par sa voix. Une voix chaude au medium coloré qui n’exclut pas l’agilité, sans doute acquise à la fréquentation des œuvres de Rossini. Vaillante et incisive dans ses colères, sachant moduler sa voix pour laisser transparaître sa douleur, Karine Deshayes, avec des aigus timbrés et affirmés laisse ressortir sa musicalité dans un chant à l’aise. Superbes duos avec Adalgisa (“Oh ! Rimenbranza, io fui… Acte I”) pour une communion des deux voix dans une même esthétique musicale. Si cette magnifique interprétation nous a séduits et même bouleversés par moments, c’est “Casta Diva” qui nous a laissés un peu dubitatifs Une prière qui nous a paru très maniérée, avec des accents, des respirations plutôt étranges. Est-ce la version critique ou à la demande du chef d’orchestre qui dirige l’ouvrage tambour battant ? Qu’il nous soit permis de préférer une interprétation plus éthérée, une prière à la lune sur un solo de flûte plus simple en fait. Mais incontestablement Karine Dehayes a été pour cette prise de rôle une Norma magnifique dont la voix somptueuse nous a charmés. Nous espérons l’écouter à nouveau dans une autre version sous une autre direction. La révélation de la soirée sera sans doute Amina Edris qui fait ses débuts au Festival D’Aix-en-Provence en remplacement de Nina Minasyan dans le rôle d’Adalgisa. Un rôle écrit à l’origine pour la soprano Giulia Grisi. Superbe dans sa robe noir et blanc, elle est cette druidesse dont les sentiments amoureux laisseront place au devoir. Cette mesure, ces sentiments contrastés mais affirmés transparaissent tout au long de son chant. La soprano égyptienne déploie son large ambitus avec élégance ; touchante dans sa simplicité, sincère dans son agilité mais toujours dans un soutien du souffle qui lui permet des respirations dans un joli phrasé. Rondeur et chaleur du timbre qualifient cette voix qu’un vibrato homogène intensifie. Avec des aigus triomphants et des vocalises légères elle module sa voix et nous laisse écouter des duos magnifiques avec Norma dans une musicalité parfaite (“Mira, o Norma…”). Le rôle de Clotilde est ici tenu par une soprano, Marianne Groux. Avec une belle présence, la soprano franco-belge défend ce rôle assez court dans une voix claire et affirmée dans un style parfait. Michael Spyres est ici Pollione, ce proconsul romain franchement antipathique. C’est dans une voix barytonnante et affirmée que le ténor américain assume ce rôle avec autorité. Si sa voix solide et claire est un peu forcée par moments, il vient à des sonorités plus douces avec Adalgisa. Son “Va crudele…” est projeté avec de beaux graves et des aigus affirmés. Le terzetto final de l’acte I “Vanne, si ; mi lascia, indegno…”est superbe d’homogénéité des voix. Il faut attendre le duo final avec Norma pour entendre les accents de ses sincères regrets. Une très belle interprétation où manque peut-être une certaine lumière. La basse polonaise Krysztof Baczyk est Ovoreso, un grand prêtre à la belle allure dont la voix grave vient des profondeurs. S’il manque un peu de projection, les phrases sensibles du dernier acte résonnent avec douleur. Julien Henric est un Flavio à la voix de ténor claire et projetée dans une belle diction. Rôle court mais très en place et remarqué. Le Chœur Pygmalion, très bien préparé par Lionel Sow fait montre d’une belle homogénéité des voix dans la force “Guerra ! Guerra !… Acte I” ou plus plaintif, mais toujours dans des attaques précises. L’Ensemble Resonanz est une phalange précise qui laisse résonner les cordes aussi bien que les cuivres ou ses instruments solistes dans une belle énergie. Une représentation où les chanteurs acclamés par une salle enthousiaste et debout voit le triomphe de Karine Deshayes pour une prise de rôle magistrale de présence et de musicalité. Superbe soirée !