Festival d’Aix-en-Provence 2022: “L’Orfeo”

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2022
“L’ORFEO”
Favola in Musica en un prologue et cinq actes, livret d’Alessandro Striggio Fils
Musique CLAUDIO MONTEVERDI
Orfeo VALERIO CONTALDO
La Musica, Euridice MARIANA FLORES
La Messaggiera COLINE DUTILLEUL
La SperanzaProserpina ANNA REINHOLD
Plutone ALEJANDRO MEERAPFEL
Caronte SALVO VITALE
Pastore I, Spirito III, Eco NICHOLAS SCOTT
Pastore IIIApollo ALESSANDRO GIANGRANDE
Pastore II LEANDRO MARZIOTTE
Ninfa JULIE ROSET
Pastore IV MATTEO BELLOTTO
Orchestre Cappella Mediterranea
Chœur de chambre de Namur
Direction musicale Leonardo Garcia Alarcon
Chef de Chœur Thibaut Lenaerts
Version de concert
Aix-en-Provence, le 11 juillet 2022
Le Triomphe d’Orfeo, tel pourrait être le titre de la représentation donnée au Grand Théâtre de Provence le 11 juillet dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence 2022. En effet, si Orfeo triomphe des enfers, c’est sans conteste avec l’aide de la musique de Claudio Monteverdi et de toute l’équipe musicale. Point n’était besoin de mise en scène. Sur scène, une trentaine de musiciens baroques avec des instruments que l’on a peu l’occasion de voir (sacqueboute, archiluth, théorbe) dirigés par un chef très expressif, un Chœur et l’évolution des chanteurs suffisaient à notre bonheur. Près de deux heures de musique pure ont tenu en haleine un public fasciné. La musique de Monteverdi n’est pourtant pas une musique facile pour un public non averti et, si les amateurs de musique baroque étaient au rendez-vous, il y avait certainement dans la salle des amateurs de musique tout court. Mais le talent et l’interprétation parfaite peuvent subjuguer, ce n’est plus à démontrer. La musique de l’Orfeo, à la charnière entre Renaissance et Baroque, et même la musique baroque en général, étaient tombées dans l’oubli. C’est à partir de la deuxième moitié du XXe siècle que, petit à petit, cette musique redeviendra à la mode. Venant du madrigal (son père était madrigaliste), Monteverdi, proche de la Camerata Fiorentina qui expérimente le récitatif, va mettre en pratique les théories de cette Camerata. L’Orfeo sera le pur produit de cette avancée musicale mélangeant le dramatique et le côté pastoral. Les couleurs données par le large éventail des instruments utilisés et une musique aux rythmes dansants, vont ouvrir les portes à l’opéra tel qu’on le connaîtra quelques décennies plus tard. Remis à la mode, l’opéra baroque aura droit de cité au Festival d’Aix-en-Provence dès 1978 avec l’Alcina de Haendel mis en scène par Jorge Lavelli. Leonardo Garcia Alarcon, à la tête de l’ensemble Cappella Mediterranea qu’il a fondé en 2005, prend un soin tout particulier à faire vivre et ressortir toutes les couleurs de cette musique. Avec une direction incisive sans dureté il enchaîne les différents tempi pour passer des danses rapides aux phrases mélancoliques, voire à la colère d’Orfeo. La déclamation qui suit le sens des paroles est laissée libre, ainsi les récitatifs restent-ils expressifs. Les sentiments sont mis en relief par les couleurs de l’orchestre jusque dans les accompagnements et les tempi précis et souvent vifs soutiennent l’action qui ne faiblit jamais. Joie d’Orfeo pour la célébration des noces tant attendues, étonnement, accablement, colère et renaissance quasi spirituelle sont données sous les impulsions d’un chef d’orchestre attentif et inspiré. Valerio Contaldo est un Orfeo très investi et convainquant. Musiques sacrées et baroques font partie de son répertoire. Sa voix puissante et colorée de ténor laisse résonner un médium projeté. Les aigus radieux de la cantate alors que tout à sa joie il prend le soleil à témoin, “Rosa  del cielo“, laissent place à la tristesse et la douleur sans détruire la poésie. Avec sa décision d’aller chercher Euridice jusque dans les Enfers, l’espoir renaît et c’est avec les fioritures de Monteverdi qu’il tente d’attendrir Caronte pour franchir le Styx. La ligne vocale dans son air “Possente spirito” richement ornementée est chantée avec charme et agilité. Le ténor italien a su avec talent faire ressortir ses émotions, “Rendetemi il mio ben…Acte III“, sans exagération mais avec la simplicité qui convient à la musique de Monteverdi où grâce et limpidité se retrouvent dans chaque voix et particulièrement celles des femmes. Mariana Flores est ici la Musica et Euridice. Sans mise en scène, mais avec beaucoup d’expression, sa voix et sa musicalité charment le public dans le prologue où La Musica nous présente Orfeo. Non moins charmante en Euridice, sa voix prend les accents du bonheur ou de la tristesse lors de la séparation Ahi, vista troppo dolce e troppo amara ! Acte IV”. Une très belle interprétation dans une voix claire et expressive. Fragile alors qu’elle est La Speranza la voix de mezzo-soprano d’Anna Reinhold, maintenant Proserpina, séduit son époux Plutone, par son timbre chaleureux aux accents persuasifs, dans un duo touchant où respirations et notes sans vibrato réussissent à faire rendre les armes au dieu des enfers lui-même. Coline Dutilleul est La Messaggiera. Celle qui doit annoncer la mort d’Euridice à Orfeo fait entendre ses plaintes dans une voix colorée de mezzo-soprano. Joli médium projeté, piani expressifs où tristesse rime avec lamentations. Une belle interprétation très musicale. La Ninfa Julie Roset nous fait entendre un joli soprano clair et projeté. Ces rôles féminins, créés par des voix de castrats qui triomphaient à l’époque des opéras baroques sont depuis longtemps interprétés par des voix de femmes. Dans les registres graves, le majestueux Plutone d’Alejandro Meerapfel fait résonner sa voix de basse profonde pour affirmer sa puissance, mais se laisse fléchir au son des suppliques de Proserpina. Le terrible Caronte de Salvo Vitale à la voix terrifiante venant des profondeurs, loin de se laisser attendrir, sera séduit ou plutôt endormi par la voix suave d’un Orfeo déterminé sur un choral de cuivres. Nicholas Scott, Leandro Marziotte et Mateo Bellotto sont les bergers qui se réjouissent ou se lamentent dans des voix percutantes et expressives. Alessandro Giangrande est un berger mais aussi un Apollo qui s’exprime avec agilité et qui va, dans une voix de ténor claire et affirmée, entraîner son fils Orfeo dans l’Olympe où il continuera à pleurer Euridice. Le Chœur de chambre de Namur fait ici une prestation remarquée dans une musicalité adaptée à la musique de Monteverdi, avec des changements de tempi et de sentiments qui ne laissent jamais rien au hasard et une réelle qualité des ensembles. Phrases solistes, qualité des attaques et homogénéité des voix sont les qualités de ce chœur magnifique. L’ensemble baroque Cappella Mediterranea fait résonner avec maestria ses instruments, illustrant cette musique avec rythme, fluidité et expressivité sous la direction incisive d’un chef habité par cette musique. Un triomphe pour la musique et les artistes ! Un plaisir hors du temps mais bien réel.