Chorégies d’Orange 2022: “L’elisir d’amore”

Orange, Théâtre Antique, saison 2022
“L’ELISIR D’AMORE”
Opéra comique en 2 actes, livret de Felice Romani
Musique de Gaetano Donizetti
Nemorino FRANCESCO DEMURO
Adina PRETTY YENDE
Belcore ANDRZEJ FILONCZYK
Dulcamara ERWIN SCHROTT
Giannetta ANNA NALBANDIANTS

Orchestre Philharmonique de Radio France
Choeur de l’opéra Grand Avignon, Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo Direction musicale Giacomo Sagripanti
Chef du Choeurs Aurore Marchand, Stefano Visconti
Mise en scène Adriano Sinivia
Décors Christian Taraborrelli
Costumes Enzo Lorio
Lumières Patrick Méeüs
Production de l’Opéra de Lausanne
Orange, le 8 juillet 2022
Fraîcheur bucolique aux Chorégies d’Orange dans une mise en scène qui pourrait nous plonger dans un conte illustré pour enfants. Cette production, créée à Lausanne en 2012, est un courant d’air pur qui nous change des mises en scène qui, depuis plusieurs années maintenant, nous ramènent dans la laideur et les horreurs des guerres. Les portes de la Scala de Milan ne s’ouvraient pas facilement pour les ouvrages de Gaetano Donizetti mais, après le succès d”Anna Bolena” et la création de “L’Elisir d’Amore” le 12 mai 1832 au Teatro Della Canobbiana de Milan, la capitale de la Lombardie allait être conquise définitivement. Adriano Sinivia aborde la mise en scène comme pour un conte ; dans un paysage où les coquelicots et les épis de blé sont gigantesques, les personnages paraissent tels des lilliputiens. Sommes-nous replongés dans le film de Luc Besson “Arthur et les Mimimoys” ? Des idées amusantes, une énorme roue de tracteur par exemple ou des boîtes de conserves qui paraissent gigantesques. Avec un jeu d’acteurs précis et intelligent l’action rythme la scène avec humour et pertinence. Nemorino monte sur un épi de blé comme s’il grimpait dans un arbre et il faut une échelle pour s’installer dans la roue ; Adina raconte l’histoire du philtre d’amour de Tristan et Yseult aux paysans en la lisant dans les pages d’un livre disproportionné posé à même le sol, et au marché les fraises ont la grosseur des pastèques. Pour renforcer cette image villageoise, les vidéos de Davide Pellizoni nous laissent entrevoir un chat derrière une fenêtre, des libellules, des mulots et des lézards courant sur les murs. Un bain de jeunesse et de fraîcheur ! Le décor sans prétention mais amusant et bien venu de Christian Taraborrelli ne s’arrête pas aux fleurs géantes, il affirme l’idée du conte avec la machine roulante de  Dulcamare, mi voiture mi char ; une immense bouteille de vin sur laquelle le bon Dottore vend sa camelote et un manège où les chevaux de bois tournent au centre de la scène. Les lumières de Patrick Méeüs participent à ces ambiances en nous plongeant, avec des teintes dorées, dans un monde onirique empreint de douceur. Les costumes créés par Enzo Lorrio sont colorés; costumes de paysans du pays basque portant espadrilles, épée au côté Belcore commande un régiment de soldats dont les casques sont des coquilles de noix, Dulcamare est l’Enchanteur Merlin, chevelure blanche, mais long manteau rouge. Aucune fausse note, mais des détails amusants que l’on remarque avec plaisir. Aucune fausse note non plus avec ce plateau magnifique. Luttant contre le vent qui fait ployer les épis de blé, Francesco Demuro, remplaçant au pied-levé René Barbera malade, n’a pas eu trop de temps pour se familiariser avec cette immense scène des Chorégies, mais cela ne se remarque pas. A l’aise dans ce rôle et dans sa voix il conquiert Adina aussi bien que le public. Le ténor sarde a su trouver les accents qui émeuvent. C’est la sincérité, l’émotion et la musicalité contenues dans sa voix qui touchent en premier lieu. “Quanto è bella…” chante-t-il dès la cavatina en regardant Adina avec admiration. Musicalité disions-nous, dans les respirations, le phrasé délicat, l’expression même. La voix lance avec projection des aigus faciles et tenus dans un ciel emplit de lucioles. Son air tant attendu “Una furtiva lagrima…”, introduit par le son plaintif du basson, est si expressif et attendrissant que le public séduit demande un bis. Un moment de grâce ! Adina, ne résistera pas à cette très belle interprétation ; naïveté, sincérité, musicalité. Adina c’est Pretty Yende. Inconstante, capricieuse et indifférente aux soupirs de Nemorino, la soprano sud-africaine est tout cela dans un jeu très réaliste et des inflexions de voix très musicales. Dans de jolis phrasés et des prises de notes sans dureté, Pretty yende fait montre d’agilité aussi bien que d’un tempérament affirmé. Sa voix claire et homogène aux aigus assurés et tenus laisse entendre un timbre chaleureux et coloré. Une interprétation très applaudie pour sa première invitation aux Chorégies. Erwin Schrott n’est pas un inconnu pour ce public, on se souvient avec plaisir de ses interprétations des rôles titres dans “Mefistofele” de Boito (2018) et “Don Giovanni” de Mozart (2019). Il fait ici résonner sa voix de baryton-basse en interprétant Dulcamare. On le sait bon acteur, à l’aise dans ses interprétations, et c’est avec bonheur qu’on le voit incarner ce charlatan menteur et hâbleur mais toujours avec panache. Sa voix large et profonde ne craint pas le vent ; grimpé sur sa machine roulante, il convainc avec puissance et projection les paysans qui se précipitent pour acheter sa camelote. On retrouve le timbre chaleureux de sa voix et l’élégance de son chant, même dans ce rôle amusant, de sa cavatina “Udite, udite, o rustici…” à la barcarolle chantée en duo avec Adina. Si sa liqueur n’est pas toujours efficace, il n’en est pas de même pour sa voix et son jeu. Andrzej Filonczyk est Belcore, ce sergent prétentieux et sûr de son charme. Sa voix grave au medium assuré séduit d’entrée la volage Adina. Son jeu affirmé et sa voix projetée donnent de la présence au personnage qui semble lui convenir en tous points. Rythmes, aigus tenus et couleur de timbre animent la scène avec efficacité. Jolie voix de la soprano pour la Giannetta d’Anna Nalbandiants. Amusante, aussi volage qu’Adina, elle fait résonner sa voix avec rythme et légèreté dans un jeu affirmé. Le Chœur, composé des Chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Monte-Carlo, coordonnés par Stefano Visconti, fait preuve ici d’une grande efficacité vocale et théâtrale. Dans cette mise en scène joyeuse, rythmes et projections des voix font fi du vent avec précision sous la baguette du maestro Giacomo Sagripanti. C’est avec une belle énergie qu’il fait ses débuts aux Chorégies en prenant à bras le corps plateau et orchestre, le superbe Orchestre philharmonique de Radio France qui réagit à la moindre inflexion de sa baguette. Dirigeant sans partition (c’est une bonne chose avec un vent qui fait se tourner les pages), il fait montre d’une efficacité redoutable tout en laissant ressortir les inflexions de la musique de Donizetti : rythme, légèreté, tendresse et puissance, sensibilité ou bouffonnerie. On retrouve tout cela sous la baguette de ce maestro inspiré. Le chef donne le rythme, les couleurs, les atmosphères à l’orchestre et au plateau. Aucun succès n’est possible sans un bon chef et il faut dire qu’ici, avec cette direction ferme mais élégante, l’Orchestre de Radio France a su déployer les sonorités et les couleurs qui caractérisent cette magnifique phalange. Un spectacle qui a conquis le public et qui se termine par de longs, longs Bravi. Une superbe soirée ! Photo Gromelle