Marseille, Opéra Municipal: “Don Carlo”

Marseille, Opéra municipal, saison 2021/2022
“DON CARLO”
Opéra en 4 actes, version Milan, livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après Friedrich von Schiller
Coproduction Opéra National de Bordeaux / opéra de Marseille
Musique Giuseppe Verdi
Elisabetta di Valois CHIARA ISOTTON 
Principessa d’Eboli VARDUHI ABRAHAMYAN
Tebaldo CAROLINE GEA
Voce dal cielo CECILE LO BIANCO
La Contessa d’Aremberg LEA ZATTE
Don Carlo MARCELO PUENTE
Filippo II NICOLAS COURJAL
Rodrigo di Posa JERÔME BOUTILLIER
Il Grande Inquisitore SIMON LIM
Un Frate JAQUES-GREG BELOBO
Il Conte di Lerma CHRISTOPHE BERRY
L’Araldo reale SAMY CAMPS
Les Députés flamands LIONEL DELBRUYERE, JEAN-MARIE DELPAS, FLORENT LEROUX ROCHE, JONATHAN PILATE, DMYTRO VORONOV
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef du Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Charles Roubaud
Costumes Katia Duflot
Décors Emmanuelle Favre
Lumières Marc Delamézière
Vidéos Virgile Koering
Marseille, le 3 juin 2022

Superbe soirée de clôture à l’Opéra de Marseille avec la reprise du Don Carlo de Guiseppe Verdi donné en fin de saison 2017, toujours dans la mise en scène de Charles Roubaud. C’était l’assurance d’une belle soirée. Cet opéra, écrit après bien d’autres succès, est certainement l’un des plus beaux du compositeur. Des airs, des duos, des quatuors, des ensembles accompagnés par une orchestration fournie qui donne des phrases et des reliefs sonores de toute beauté. Sans être à grand spectacle comme Aïda par exemple, il est l’opéra qui met le plus en valeur les voix toutes tessitures confondues. C’est la version italienne, dite de Milan, qui nous est donnée ce soir. Il faut se souvenir que Don Carlos a d’abord été écrit en français pour Paris ; un grand opéra en 5 actes et un ballet comme cela se faisait traditionnellement en France, avec l’acte de Fontainebleau pour débuter, qui avait demandé un nombre considérable de répétitions. Pour sa création à Milan en 1884, Don Carlo est donc chanté dans une transcription italienne, l’acte de Fontainebleau étant supprimé. La mise en scène du Don Carlo présenté à Marseille en 2017 reste sensiblement la même. Comme dans chacune de ses productions, Charles Roubaud respecte le livret, les atmosphères, la musique et les chanteurs. Certaines techniques évoluent et les vidéos remplacent souvent de lourds décors avec des effets plus réalistes. Une mise en scène claire où tout est dit avec peu mais avec élégance et toujours avec beaucoup de goût. Le rideau s’ouvre sur un décor noir avec en fond de scène une grande croix dorée, ouvragée, superbement éclairée devant laquelle un moine, tout de blanc vêtu, prie pour l’âme de Charles Quint. Minimaliste pour un tombeau mais d’une rare beauté. Les jardins sont animés par des arbres enfermés dans des gages. Le plus spectaculaire sera sans doute l’intérieur de la Cathédrale de Valladolid où Carlo viendra implorer la clémence du roi pour les députés flamands. Point de pardon pour les hérétiques. Les drapeaux, les oriflammes flottent au vent et, dans le creux d’une immense croix, l’on peut voir les suppliciés dans des teintes de grisaille puis les immenses flammes qui rougeoient. Des grilles nous enfermeront dans la prison. Les lumières conçues par Marc Delamézière magnifient la mise en scène. Dorées dans les jardins d’Espagne, blanc cru sur les moines et le Grand Inquisiteur, sombres en clair-obscur, ou rasantes et indirectes dans la prison. Elles créent un ensemble cohérent et font ressortir ces atmosphères lourdes, spécifiques à l’Espagne sous l’Inquisition. On n’y échappe pas. Les vidéos de Virgile Koering viennent animer les scènes avec réalisme ; les feuilles des arbres bougent dans un clair de lune, les flammes rougeoient pour l’autodafé et les statues tombent, déconstruites, à la fin. Tout est dit. Le décor d’Emmanuelle Favre est constitué de panneaux de différentes tailles qui créent des volumes animés par les vidéos. C’est sobre et élégant. Elégants comme toujours, les costumes de Katia Duflot. Elégants mais aussi somptueux, respectant l’époque, et qui constituent un décor à eux-seuls. Austérité espagnole avec les robes noires des dames de la cour, une croix argentée pour tout ornement. Plus somptueuses les robes de la Reine, gris pâle, blanche et lumineuse ou noire, alors que la tristesse emplit son cœur. Immense plaisir visuel ces costumes qui correspondent aux personnages. Habit blanc jusqu’aux cuissardes, couronne en majesté pour le roi, Rodrigue et Carlo tout en noir pour un contraste avec le blanc immaculé du Grand Inquisiteur ou le rouge des députés flamands. Superbe ! Superbe aussi le plateau homogène avec des chanteurs qui jouent avec beaucoup de réalisme. Chiara Isotton est une Elisabetta très belle, auréolée de lumière, une lumière que l’on retrouve dans sa voix. Une prise de rôle remarquée tant la soprano paraît à l’aise dans ses sentiments contrastés et la conduite de son chant. La voix est superbe dans chaque nuance, dans l’agilité des vocalises ou la pureté des aigus. Sa technique époustouflante s’efface devant la musicalité et la compréhension du personnage. Sensibilité, contrôle du souffle et du vibrato dans une couleur de voix jamais prise en défaut. Chiara Isotton est une Elisabetta superbe au jeu magnétique. Face à la lumière de ce soprano, la noirceur du contralto de Varduhi Abrahamyan qui, sans jamais forcer nous propose une Eboli de toute beauté. Sensuelle dans la chanson sarrasine, passionnée, violente en femme blessée, c’est avec intensité et de superbes couleurs qu’elle projette “O don fatale…”. Une interprétation vigoureuse et néanmoins très musicale. Si l’expression vocale est un sans-faute, l’expression scénique l’est tout autant. Deux femmes qui s’affrontent, deux voix opposées dans une même esthétique musicale. Caroline Gea est un Tebaldo espiègle, à la voix vive aussi bien que son jeu. Jolie couleur, belle projection, relief et musicalité. Pureté céleste et joli phrasé du soprano de Cécile lo Bianco. Marcelo Puente est ce Carlo emporté par ses sentiments. Applaudi dans Tosca en 2021, il a gardé la couleur et le velouté de sa voix. Prince en proie aux doutes, le ténor argentin adapte sa voix à ce personnage aux sentiments contrastés mais dans une voix qui reste solide, aux aigus faciles et utilisée avec charme jusque dans ses prises de notes ou ses éclats de bravoure. Superbe duo avec Rodrigo dans une ligne musicale qui fait chanter deux cœurs à l’unisson. Jérôme Boutillier est un Rodrigo affirmé, solide vocalement et scéniquement. Une interprétation magnifique dans un rôle écrit pour faire ressortir la voix de baryton. Technique sans faille au service du chant et de la musique dans une homogénéité de voix colorée et projetée. Nicolas Courjal était déjà ce Philippe II assez inquiétant en 2017. Toujours très appréciée, la basse française fait ressortir ici encore les couleurs sombres de sa voix de basse profonde. Force, doutes, tristesse et legato pour son air très attendu “Ella giammai m’amo !” toujours très applaudi. Basse profonde encore pour le Grand Inquisiteur de Simon Lim qui, sans avoir une voix à faire trembler l’Espagne, fait ressortir une ligne de chant soutenue et une autorité de bon aloi. Basse encore avec le Frate de Jacques-Greg Belobo pour un chant conduit dans une belle projection sur un vibrato contrôlé. Voix claire et projetée pour l’Araldo de Samy Camp. Superbe ensemble aux voix homogènes pour la prière des députés flamands. Le Chœur fait ici une prestation très remarquée. Chœur des femmes aux voix percutantes, chœur des hommes aux voix sombres voire religieuses, toujours très homogènes dans des attaques nettes. Paolo Arrivabeni dirige d’une baguette de maître cet ouvrage majeur de Verdi où les airs et les phrases musicales s’enchaînent. Le maestro, privilégiant les sonorités a su trouver, dans des tempi posés, cette unité sonore qui soutient les voix tout en laissant sonner l’orchestre. D’entrée les cors, tels un choral, nous plongent dans ces atmosphères lourdes, mystérieuses, quasi religieuses. Puissance, nuances, relief font ressortir un orchestre qui ne se contente pas d’accompagner les chanteurs. Le violoncelle solo dialogue avec le roi dans son introspection, les violons jouent la légèreté dans les jardins et les trompettes donnent un air martial à l’autodafé. Avec une grande musicalité, le chef d’orchestre a donné les impulsions et la dynamique qui ont participé au succès du spectacle. Un spectacle réussi en tous points. Un grand bravo! Photo Christian Dresse