Opéra de Toulon: “Pikovaia Dama” (La Dame de Pique)

Opéra de Toulon, saison 2021/2022
“PIKOVAIA DAMA” (La Dame de Pique)
Opéra en trois actes, livret de Modeste Illitch Tchaïkovski, d’après Pouchkine
Musique de Piotr Illitch Tchaïkovski
Lisa KARINE BABAJANYAN
La Comtesse MARIE-ANGE TODOROVITCH
Pauline/Milovsor FLEUR BARRON
La gouvernante NONA JAVAKHIDZE
Macha/Prilepa ANNE CALLONI
Hermann AARON CAWLEY
Le Comte Tomski/Plutus/Zlatogor ALIK ABDUKAYUMOV
Le Prince Yeleski SERBAN VASILE
Tchekalinski ARTAVAZD SARGSYAN
Sourine NIKA GULIASHVILI
Le maître de cérémonies/Tchaplitski CHRISTOPHE PONCET DE SOLAGES
Narumov GUY BONFIGLIO
Danseurs JACKSON CARROLL, FABIO PRIETO BONILLA, GLEB LYAMENKOV
Orchestre de l’Opéra de Toulon
orchestre National Avignon Provence
Chœurs de l’Opéra de Toulon & de l’Opéra Grand Avignon
Maîtrise de l’Opéra de Toulon & du Conservatoire TPM
Direction musicale Jurjen Hempel
Chef de Chœur Opéra de Toulon, responsable de la Maîtrise Christophe Bernollin
Chef de Chœur Opéra Grand Avignon Aurore Marchand
Mise en scène Olivier Py
Réalisation de la mise en scène &chorégraphie Daniel Izzo
Décors & costumes Pierre-André Weitz
Lumières Bertrand Killy
Toulon, le 6 mai 2022
En cette soirée du 6 mai, l’Opéra de Toulon nous présentait le drame absolu de Tchaïkovski “La Dame de pique” d’après la nouvelle éponyme d’Alexandre Pouchkine, considérée par Dostoïevski comme “Le chef-d’œuvre de l’art fantastique”, dans une coproduction Région Sud Provence Alpes côte d’Azur. Mais entrons dans le vif du sujet : la mise en scène d’Olivier Py et sa vision de l’œuvre. Certes, l’histoire est sombre et tourne au drame, mais dans une Russie colorée avec quelques accents folkloriques. Point de couleur ici dans ce tableau en grisaille. Action transposée dans une Russie déconstruite après des années de révolution et de stalinisme. Tout ici est soumis aux obsessions d’Olivier Py plus qu’à celles d’Hermann ou celles d’un Tchaïkovski, imaginées par le metteur en scène. Impossible d’apprécier la musique dans ce prélude qui nous emmène pourtant dans toutes les atmosphères de l’œuvre en quelques notes de thèmes. L’œil est immédiatement attiré par le décor sinistre où un danseur en slip et redingote noire se glisse dans le lit où Hermann dort. Le reste de l’ouvrage sera dans la même veine avec, par exemple, la tsarine qui apparaît dans la Pastorale aux accents mozartiens, affublée d’une perruque ridicule style Marie-Antoinette, accompagnée par deux singes costumés en grooms pour une scène de sodomie. Mise en scène sur deux niveaux où le lit de la Comtesse est exposé en hauteur dans cet immeuble déconstruit. Une Comtesse en chemise qui, dans son délire de souvenirs, s’offre à un Hermann prêt à toutes les veuleries pour obtenir ce qu’il désire avant de l’étrangler. Le destin, que ce soit celui de Pouchkine ou de Tchaïkovski est là ; et le nôtre est de subir jusqu’au bout de l’œuvre les fantasmes du metteur en scène. Omniprésents, les danseurs, dénudés ou en tutu noir, évocation du cygne noir du ballet du compositeur ? Peu importe ! Dans tout ce fatras, la musique devient secondaire et c’est un crime de lèse-majesté, les mesures folkloriques, même, sont comme prisonnières de cet amoncèlement gris ; jusqu’au dernier acte où Hermann joue son destin avec les trois cartes sur le cercueil noir de la Comtesse. Cette œuvre dramatique devient, avec Olivier Py, une œuvre désespérée et désespérante. Les décors et costumes de Pierre André Weitz sont adaptés à cette interprétation. Décor unique sur deux plans. L’étage supérieur sert de scène pour la représentation théâtrale de la Pastorale ou de chambre pour la Comtesse. Un grand panneau aux vitres plus ou moins cassées s’ouvre ou se ferme selon les besoins, sommes-nous après un bombardement, après Tchernobyl ? Les costumes sont à l’avenant, gris, sans connotation d’époque, si ce n’est une liquette blanche pour Lisa ou une chemise longue, blanche aussi, pour la Comtesse. Les lumières conçues par Bertrand Killy nous proposent des clairs obscurs plus ou moins appuyés ; quelques vidéos participent de cette désespérance avec des vues d’immeubles staliniens ou des ciels orageux. En voyant cette adaptation scénique d’Olivier Py, nous pensons que le covid nous a épargné ce visuel cauchemardesque à Marseille, où cette production avait dû être donnée version concertante, nous laissant apprécier les voix et la musique même avec une orchestration réduite. Sans être époustouflant, le plateau est homogène avec des voix qui reflètent les caractères et les émotions. Aaron Cawley est un Hermann investi, exalté, dont la voix puissante et projetée ne pose aucun problème quant à l’émission de ses aigus tenus. Son timbre, un peu surprenant au début, s’arrondit pour devenir dramatique dans des graves colorés. Joli duo avec lisa au dernier acte pour une note d’espoir, avant d’être repris par son “tri karti” obsessionnel. Le Tomski d’Alik Abdukayumov, un rien ambigu dans cette mise en scène, projette sa voix colorée de baryton au timbre chaleureux. Medium sonore, beau phrasé aux respirations musicales. Tomski, mais aussi Plutus et ZlatogorSerban Vasile est le Prince Yeleski que nous avions applaudi à Marseille. Même élégance, même profondeur de voix dans un baryton chaleureux au phrasé sensible. “Ya vas lioubliou” tendre aux aigus sonores, provoque l’émotion. Cet air ressemble à celui du Prince Gremin dans “Eugène Onéguine” mais dans une voix de baryton. Deux voix qui s’accordent, la brillance du ténor d’Artavazd SargsyanTchekalinski, et la basse profonde de Nika GuliashviliSourine. Impeccables le Maître de cérémonies de Christophe Poncet de Solages et le Narumov de Guy BonfiglioKarine Babajanyan est une Lisa à la voix fraîche. Son joli vibrato intensifie les couleurs de sa voix dans une belle conduite du phrasé jusque dans des aigus clairs. Son désespoir au dernier acte, couronné par un bel aigu soulève l’émotion. Joli do avec Pauline. Fleur BarronPauline/Milovsor, fait résonner avec bonheur et puissance son contralto chaleureux aux inflexions russes dans son air “Da vspomnila” sur une belle longueur de voix. Marie-Ange Todorovitch est une Comtesse magistrale même si cette mise en scène la dessert. Elle module sa voix avec intelligence pour un monologue empreint d’émotion. La “Romance de Laurette” cet air emprunté à Grétry “Je crains de lui parler la nuit…” est chanté en français comme une litanie. “Il me dit je vous aime…”, entonné dans une voix sourde est d’un grand réalisme. Anne CalloniMacha/Prilepa, est tout à fait en place avec une voix claire à l’aigu sonore. Très en place aussi la Gouvernante de Nona Javakhidze dans un mezzo sonore à l’aigu projeté. Jolies voix des enfants qui, comme dans Carmen relèvent la garde. Le Chœur est irréprochable d’investissement et de couleurs des voix jusque dans le chant religieux russe d’une grande intensité. Très belle prestation des danseurs, Jackson Carrol nous offrant la seule belle image, sa sortie sur un triple halo de lune. Irréprochable aussi la direction de Jurjen Hempel qui arrive, malgré un visuel chargé et inadéquat, à faire vivre la Russie à travers la musique par ses nuances, ses respirations et ses phrases musicales. Accents dramatiques, accents religieux. Superbe orchestre! Photo Kevin Bouffard