Camp des milles, les Milles, Festival de Pâques 2022
Violon Renaud Capuçon
Violoncelle Kian Soltani
Clarinette Pascal Moraguès
Piano Hélène Mercier
Olivier Messiaen “Quatuor pour la fin du temps”
I. Liturgie de cristal; II. Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du temps; III. Abîme des oiseaux; IV. Intermède; V. Louange à l’Eternité de Jésus; VI. Danse de la fureur, pour les sept trompettes
VII. Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du temps
VIII. Louange pour l’Immortalité de Jésus
Les Milles, le 11 avril 2022
Quand la musique atteint le sublime ! Un concert chargé d’émotions dans un lieu approprié que l’on quitte en silence, sur la pointe des pieds tant on est encore bouleversé. Ce “Quatuor pour la fin du temps”, Olivier Messiaen le compose dans un camp de prisonniers en Pologne, au Stalag VII A, à Görlitz où il sera créé le 20 juin 1941 devant 4OO détenus, avec trois de ses amis musiciens détenus comme lui : Jean Le Boulaire (violon), Etienne Pasquier (violoncelle, du Trio Pasquier), Henri Akoka (clarinette), Olivier Messiaen tenant la partie de piano. “Si j’ai composé ce quatuor, c’est pour m’évader de la neige, de la guerre, de la captivité et de moi-même” dira-t-il plus tard. Profondément croyant, le compositeur rapproche l’auditeur de l’éternité dans un espace immatériel et infini. C’est en 8 mouvements successifs qu’Olivier Messiaen propose cette œuvre inspirée par l’annonce de l’ange de l’Apocalypse (Il n’y aura plus de temps), dans une esthétique musicale, harmonique et rythmique où l’on reconnaîtra certaines des harmonies spécifiques de sa musique. Certains mouvements sont repris d’œuvres plus anciennes, d’autres sont des compositions originales. Dans cette œuvre profondément religieuse, la recherche rythmique donne les impulsions qui sont le moteur de ces introspections. Avec cette large palette de couleurs et de sentiments, souvent suggérés, Olivier Messiaen fait intervenir les oiseaux et leurs trilles, le chant du merle à la clarinette ou celui du rossignol interprété par le violon. L’Apocalypse se joue dans la nature avec l’ange en arc-en-ciel ou la mélopée plaintive du violon et du violoncelle. L’œuvre est souvent basée sur les sons, quelquefois murmurés mais toujours intérieurs. Trois mouvements atteignent des sommets de musique et d’interprétation : le III avec la clarinette, solo qui nous transporte sur des chemins inexplorés, le V extatique, avec le violoncelle Louange à l’Eternité de Jésus, sur les accords sensibles du piano, et le VIII qui vient après un fouillis sonore pour un mouvement du “Diptyque pour orgue” de 1930. Un violon calme sur les accords posés du piano joués pianissimo, un violon qui transcende les notes tenues pour une émotion contenue. Renaud Capuçon était au violon. Après le romantisme du dernier concert, cette musique intériorisée demande un calme céleste aux notes non vibrées par moments, dans la simplicité de l’harmonie ou la tristesse pour une fin annoncée. Souplesse des démanchés et note aiguë tenue jouée sur un crin de l’archet VIII. Tout est fini ! Venu après le fouillis d’arc-en-ciel qui demande force et énergie ; une interprétation sublimée. Kian Soltani fait résonner sont violoncelle “stradivarius” avec des sons purs et intenses dans un vibrato un peu élargi qui sied bien à ces phrases lentes qui montent vers l’Eternité de Jésus V. Pureté de style avec quelques notes qui se font attendre. Chant nostalgique mais pas sombre pour ce mouvement accompagné de quelques accords joués avec délicatesse au piano. Moment sublime immatériel avec un archet maîtrisé. Peu de notes mais une grande émotion. L’Abîme des oiseaux III. est joué par le clarinettiste Pascal Moraguès, soliste à l’Orchestre de Paris il n’en poursuit pas moins une brillante carrière de concertiste et nous dit même avoir travaillé cette partition avec Olivier Messiaen. Dans le III. il a su chercher ces sons voilés mais néanmoins suaves, souvent empreints de tristesse. Sons profonds dans le grave ou plus aigus, notes piquées pour le chant des oiseaux. Le clarinettiste trouve des sonorités étranges, des nuances extrêmes dans une belle homogénéité sonore. Mystère, solitude, intervalles vertigineux comme un cri. Souffrance ? Superbe ! C’est Hélène Mercier qui, du piano, soutient l’œuvre dans un jeu qui étaye les atmosphères avec intelligence et musicalité. Très investie dans la musique de chambre on la sent à l’écoute des autres voix, soutenant le violoncelle ou le violon par des accords posés, piano, donnant de la profondeur à leurs phrases musicales. Arpèges égrenés ou trilles forte, le jeu d’Hélène Mercier se fond dans ces harmonies tout en restant présent sans forcer. Subtilité et musicalité pour ce quatuor dont l’interprétation atteint le sublime. Donné à écouter dans un lieu chargé d’émotions et de mémoire, le Camp de détention des Milles, près d’Aix-en-Provence, ce concert restera sans nul doute le point culminant des émotions de ce festival. Impossible de penser qu’il puisse y avoir une interprétation plus proche de l’écriture d’Olivier Messiaen ! Ovation après un long moment de silence avec l’archet du violoniste en suspension. Photo Caroline Doutre