Est-il facile de mener de front une carrière de chef d’orchestre et une carrière pianistique ?
Avez-vous été amené à faire des choix ?
Il y a tout au long de l’existence des moments où l’on est confronté à des choix mais, dans mon cas, je me souviendrais plutôt des propositions qui sont venues à moi, au bon moment et que j’ai acceptées. Lorsque je suis amené à faire un choix, il est mûrement réfléchi et je ne le regrette jamais. Cela me permet d’avancer. Toujours regarder plus loin pourrait-être ma devise.
Comment abordez-vous cette vie de chef d’orchestre ; beaucoup de contraintes ?
Comme dans toute chose et dans tout métier il y a des contraintes, mais travailler dans la musique est un privilège, et j’aime travailler. Alors que nous sommes dans la préparation d’un spectacle il faut apprendre une autre partition ou même plusieurs. Etant directeur de l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel j’ai, en plus de l’artistique, un travail administratif. Neuchâtel représente pour moi en temps, un quart de mes activités. Mais j’essaie de tout maintenir et, même si le temps libre m’est compté, le piano fait partie de mes priorités, selon les périodes bien sûr.
Vous avez dirigé plusieurs ouvrages de musique française “le Portrait de Manon”, “Carmen”, “Les Pêcheurs de perles”, “Hérodiade”, “Pelléas et Mélisande”, “La Reine de Saba”, Werther”, Aimez-vous particulièrement cette musique, ce style ?
Je ne me considère pas comme un spécialiste de la musique française mais, ayant dirigé maintenant certains opéras français, on pense très souvent à moi pour ce répertoire et je dois dire que cela me fait plaisir car sans être fermé aux autres musiques, bien au contraire, je me sens, en tant que français un peu investi d’une mission : faire rayonner la musique française. C’est véritablement de la grande musique et c’est ma musique ! Le répertoire français semblait un peu endormi, mais il revient sur le devant de la scène, si je puis dire, grâce à certains directeurs de théâtres, en premier lieu Maurice Xiberras à l’opéra de Marseille, qui aime profondément ce répertoire et n’hésite pas à prendre des risques en ressortant certaines partitions oubliées tel “Le portrait de Manon”. Lorsque je dirige ces ouvrages, je fais aussi un grand travail sur la prononciation avec les chanteurs car si la musique française a son style, ses codes, la prononciation demande une grande exigence pour la fluidité, les respirations ou l’accent sur certaines notes ; il est très difficile de chanter en français car la place de la voix n’est pas toujours la même que lorsque l’on chante en italien par exemple. Et, si l’on veut défendre la musique française, il est primordial d’en conserver le style afin qu’il ne se perde pas. Vous voyez, si je dirige ce répertoire, c’est aussi par plaisir.
Qu’est-ce qui vous procure le plus de joies dans la direction d’une œuvre, l’œuvre elle-même, la production, l’orchestre que vous dirigez ?
Tout à la fois sans doute. Ce que j’aime dans l’opéra c’est la collaboration, orchestre et production. C’est un travail collectif qui implique aussi la technique, les lumières, les changements de décors mais, lors des représentations, ne reste à la barre que le chef d’orchestre qui doit fédérer et rendre cette cohérence entre plateau et orchestre. C’est fascinant si l’on y réfléchit bien. Et, si vous me demandez quelle est l’œuvre que je préfère, c’est sans aucun doute celle que je dirige sur le moment, c’est une implication totale. Et aujourd’hui, c’est “Werther”.
Y-a-t-il une approche particulière avec les différents orchestres ?
Oui, tout à fait. Et, cela peut paraître étrange, mais chaque orchestre a un caractère particulier : le sien, auquel il faut penser lorsque l’on est sur le podium. Je ne dirais qu’il faut s’adapter, je dirais plutôt qu’il y a différentes façons d’aborder les musiciens. Ils sont toujours en attente et il faut que le courant passe. Et cela vient du chef d’orchestre. Ceci dit il y a aussi les conditions de travail. Par exemple, en Allemagne l’on répète moins, il ne faut donc pas perdre de temps et aller à l’essentiel. D’ailleurs, les musiciens n’aiment pas que le chef d’orchestre perde du temps ; et cela est une constante chez les musiciens du monde entier. Il faut rassembler, c’est une responsabilité mais c’est aussi un grand travail psychologique.
Vous êtes encore très jeune pour un chef d’orchestre, peut-on parler de votre plus grande joie ou d’une déception ?
Comme tout le monde j’ai dû avoir quelques déceptions mais je n’y pense pas, je laisse cela derrière moi. C’est ma façon d’avancer car pour moi, chaque spectacle est une joie. Une représentation a quelque chose de magique et le moment présent efface tout le reste.
Trouvez-vous que le monde de la musique a changé et vous semble-t-il qu’il était plus simple de programmer des opéras il y a quelques années ? Avez-vous quelques craintes à ce sujet ?
Je suis un peu jeune et je n’ai pas assez de recul pour vraiment apprécier les changements, l’évolution, survenus dans le monde musical ou celui de l’opéra. Mais tout évolue, tout change, il faut s’adapter et avant tout faire des efforts pour conserver et renouveler le public. Surtout après cette terrible période de covid où tout semblait s’être arrêté. Deux ans c’est très long, il faut absolument que le public retrouve ses anciens réflexes et qu’il retrouve le chemin des théâtres. Certains, heureusement, l’ont déjà fait, d’autres ont encore quelques craintes. Mais je pense que le spectacle vivant gardera toujours son attrait, un attrait qui vient de l’antiquité. Il faut simplement proposer des spectacles attrayants. Le problème majeur à mon avis est le manque d’argent. Monter un opéra coûte cher et même avec des salles pleines, les théâtres sont toujours déficitaires. “Werther” à l’opéra de Marseille sera le premier spectacle d’après confinement où l’on peut venir sans masque et sans pass vaccinal. Nous espérons ne jamais revenir en arrière. Soyons optimistes. Qui a dit ” De la musique avant toute chose…” ?
Peut-on parler de vos projets ?
Mais oui, volontiers. La semaine prochaine un récital à Neuchâtel avec la soprano Patrizia Ciofi accompagnée par mon orchestre l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel. En mai, à Neuchâtel toujours et pour leur premier opéra “Pelléas et Mélisande” de Claude Debussy et à Zurich “Peer Gynt”, le baller d’Edvard Grieg, puis “Le Comte Ory” de Gioacchino Rossini en janvier. “Les Pêcheurs de perles” au Staatsoper de Berlin en juin, “Faust” à l’Opéra de Québec où Jean-François Lapointe a été nommé à la direction artistique, puis le Capitole de Toulouse, Francfort, et pourquoi pas Marseille ? Mais chut… Diriger un théâtre d’opéra me tenterait beaucoup, plus tard.