Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2022
Violon Renaud Capuçon
Piano Martha Argerich
Robert Schumann:Sonate pour violon et piano No1 en la mineur, op. 105; Ludwig van Beethoven:Sonate pour piano et violon No9 en la majeur “à Kreutzer”; César Fanck:Sonate pour violon et piano en la majeur, FWV 8.
Aix-en-Provence le 23 avril 2022
En cette soirée du 23 avril nous étions conviés à un concert, toujours dans le cadre du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2022, qui allait rester dans les mémoires tant le duo Martha Argerich / Renaud Capuçon avait atteint le sublime. Certes il y a les partitions, mais ce que nous avons entendu allait bien au-delà d’une interprétation. De la musique pure ; plus de notes, plus de technique, mais des évocations, des moments hors du temps. Deux artistes qui transcendent la musique pour atteindre le sublime. Depuis plusieurs semaines déjà il n’y avait plus aucune place de libre et le public ne s’y était pas trompé. Schumann, Beethoven et Franck pour un concert de sonates. Les compositeurs déjà méritaient cet engouement, mais Martha Argerich et Renaud Capuçon allaient sans doute nous proposer des moments inoubliables. Ce fut le cas et bien au-delà ! Après l’effervescence du concert donné par la pianiste Wuja Wang, le calme, la sérénité, la musique pure jouée à fleur de doigts et d’archet par deux complices. Certes, les deux artistes se connaissent depuis longtemps, mais c’est une communion, un engagement dans une même esthétique musicale, un même souffle, qui allaient nous transporter tout au long de ce concert. Robert Schumann n’était pas satisfait de de cette sonate No1 pour violon et piano créée à Leipzig le 21 mars 1852, qui sollicitait trop le registre grave selon lui. Cette sonate soulèvera pourtant l’enthousiasme d’Ernest Chausson. Ecrite en trois mouvements, cette musique exprime des sentiments divers. Si l’on trouve souvent tristesse et mélancolie, voire une certaine douleur chez Robert Schumann, il y a toujours des moments de lumière et de joie dans les tempi vifs. Ce qui nous séduit dans l’interprétation de ces deux grands artistes, ce n’est pas uniquement leur entente musicale mais la façon d’aborder la musique, la compréhension de cette musique. Robert Schumann aurait très bien pu composer cette sonate pour ces deux artistes, et nous assisterions à la naissance de cette œuvre. C’est ce qu’il s’est produit ce soir, une sorte de révélation musicale. Si le premier mouvement, joué sans lenteur, et noté expression passionnée, c’est une passion tout en retenue ; les notes coulent sous les doigts de la pianiste dans un toucher inimitable et la belle longueur d’archet du violoniste, qui s’anime avec quelques accents, fait ressortir des teintes voilées. C’est un discours sensible où le petit détaché du violon répond aux notes perlées du piano dans une homogénéité de sons et d’intentions. L’Allegretto du deuxième mouvement est joué dans un jeu aérien ou plus affirmé mais sans aucune dureté. Un piano suave répond à un archet à la corde pour une discussion en toute cordialité. Quelle belle communion des sons ! Calme et sérénité. Le lebahft s’anime sur les notes perlées de la pianiste qui soutient le violon dans un crescendo agitato sans brutalité. Moment de charme en toute simplicité mais avec un immense talent. La Sonate No9 de Ludwig van Beethoven publiée en 1808, avec une dédicace au violoniste français Rodolphe Kreutzer (qu’il refusera toujours d’interpréter), avait initialement été dédiée au violoniste George Bridgetowes qui l’avait créée à Vienne. Mal accueillie par la critique elle est maintenant l’une des sonates pour violon et piano parmi les plus programmées. Elle commence par quelques accords joués au violon qui font penser aux sonates pour violon seul de Bach et s’anime dans un tempo mesuré pour une discussion animée à deux voix dans des sonorités rondes et délicates. Les doigts survolent les touches alors que l’archet s’affirme par quelques accents pour de nombreuses reprises du thème sans baisse d’intensité. Alternance d’agitato et de phrases de charme avec grâce et élégance. Notes qui se font attendre, accords du violon qui sonnent sans dureté et reviennent se fondre dans les sonorités du piano pour finir dans un éblouissement de notes. C’est avec calme que le thème du deuxième mouvement est repris par une longue phrase legato du violon. Conversation à deux voix avec délicatesse et un certain humour sur la pointe de l’archet et le bout des doigts dans des variations sous forme de jeu. Justesse, musicalité, superbe ! L’accord forte du piano introduit le Finale presto dans une musicalité à couper le souffle. Entente parfaite dans la compréhension de l’œuvre, accents dans l’archet, accents sous les doigts de la pianiste. Un violon qui semble s’amuser, un piano qui répond avec relief dans une longue descente… Rallentando, accelerando pour un final joyeux. Quelle entente entre ces deux artistes qui sont capables de transcender n’importe quelle note. Romantique s’il en est, la sonate pour violon et piano de César Franck est dédiée à Eugène Ysaÿe comme cadeau de mariage. Cette sonate en quatre mouvements est un peu le reflet de l’âme du compositeur. Grande probité, un brin de naïveté et un tempérament romantique contrôlé. Quelques notes posées au piano en introduction au long archet du violoniste dans une pureté de sons. Calme et vibrato mesuré. Longue phrase au piano pour un dialogue dans des notes suspendues, qui se font attendre pour une expression qui ne va pas au bout des sentiments. Phrases intériorisées, monde mystérieux, comme rêvé. Les sentiments changent, le piano s’anime avec des oppositions de nuances et d’expressions et un long archet qui suspend le vol des notes pour un instant de grâce. Réponse à deux voix pour un forte expressif mais toujours mélodieux. Dans une belle longueur d’archet le violoniste fait sonner la corde de sol dans des accents dramatiques et une montée en puissance pour un piano appassionato. Cadence d’un violon inspiré pour un recitativo aux reprises d’archet dans le son. Deux artistes qui explorent ensemble une partition sentimentale jusque dans ses pianissimi. Quelle beauté dans une simplicité d’expression ; la musique coule, seule, comme une évidence. Sublime Matha Argerich dont les doigts produisent des sons suaves et perlés. Partition à deux voix, jouée dans un unisson de sentiments, montée en puissance d’un apassionato sans brutalité dans des sons suaves. Bel ensemble sur un piano joyeux. Sublime ! C’est si beau que les applaudissements attendent pour crépiter. Les deux artistes, comme s’ils avaient du mal à se séparer remercient le public par des bis, hommage à Nicholas Angelich décédé quelques jours auparavant, grande tristesse pour ces artistes qui avaient partagé tant de moments de musique. Sicilienne de Maria Theresia von Paradis, extrait de la Sonate en la majeur de Schubert, extrait de la Sonate No 8 de Beethoven, Liebeslied de Kreisler. Chaque bis nous replonge dans des ambiances différentes, des styles d’une grande pureté pour des musiques qui, si elles sont diverses, ont en commun musicalité, beauté des sons et interprétations délicates. Nous n’avons jamais parlé de technique tant elle s’est fait oublier derrière une interprétation jamais forcée, derrière une musique qui coule de source. Un concert qui réconcilie le monde… Une salle debout pour un immense et long, très long merci ! Photo Caroline Doutre