Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2022: Lionel Bringuier & Renaud Capuçon en concert

Grand Théâtre, Aix-en-Provence, Festival de Pâques, saison 2022
Orchestre Philharmonique de Nice
Direction musicale Lionel Bringuier
Violon Renaud Capuçon
Bedrich Smetana: “Ma Vlast” (Ma patrie), Deuxième poème, Vitava (La Moldau); Max Bruch: Concerto pour violon et orchestre No1 en sol mineur, op.26; Piotr Illitch Tchaïkovski :Symphonie No5 en mineur, op. 64
Aix-en-Provence, le 9 avril 2022
Après le violon tout en nuances et spiritualité de Christian Tetzlaff, pour le concert d’ouverture, Renaud Capuçon allait nous entraîner dans le romantisme avec le concerto pour violon et orchestre du compositeur allemand Max Bruch, créé le 5 janvier 1868 par Joseph Joachim pour sa version définitive. Mais c’est Smetana qui allait commencer le concert avec Vitava (La Moldau), deuxième épisode du poème symphonique Ma Vlast (Ma Patrie) avec Lionel Bringuier à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice. Et coule la rivière…dans un tempo mesuré avec la fluidité des flûtes et les sons veloutés des cordes qui arrivent par vagues, les accents des archets ou les timbales sonores qui épousent les reliefs de son cours. Poème narratif, descriptif avec la traversée d’un village et la musique de quelque noce champêtre, le murmure des eaux aux sons de la harpe cristalline ou les eaux apaisées qui voient défiler le paysage. Lionel Bringuier dirige son orchestre d’une baguette ferme mais avec une certaine souplesse tout en faisant ressortir l’homogénéité des cordes. Cuivres et timbales se déchaînent pour des eaux plus tumultueuses mais qui passent en majesté devant Vysehrad, le château de Prague, pour quelques mesures d’un chant qui deviendra presque national. Une interprétation brillante et colorée qui fait ressortir la souplesse des cordes et de la petite harmonie pour une musique bucolique ; mais aussi brillance des cuivres dans les éclats d’une composition très imagée. Une entrée de concert qui met en valeur l’orchestre.Romantisme encore avec Max Bruch et son concerto No1 pour violon et orchestre. C’est toujours avec un immense plaisir que nous retrouvons Renaud Capuçon et l’incomparable sonorité de son violon Guarneri del Gesù “Panette”. Après un roulement de timbales piano, le long sol joué à vide résonne avec calme et fait place à un jeu plus animé pour un romantisme affirmé avec ces alternances de phrases musicales aux légers glissandi et des moments plus passionnés. L’archet est à la corde, le vibrato intense, et l’orchestre répond avec force dans un tempo allant. Quelques libertés d’interprétation dans un style qui reste classique nous font apprécier la pureté des sons sur chaque corde. Vitesse maîtrisée d’un archet qui joue la nostalgie, sûreté de main gauche avec des démanchés élégants et virtuosité amènent cette superbe phrase jouée forte par l’orchestre. Le deuxième mouvement est interprété sans lenteur avec des nuances, des substitutions de doigts, un vibrato intense et un archet contrôlé qui nous plongent dans un romantisme intériorisé. Jeu sentimental, tension dans la ligne musicale et changements d’atmosphères dans une grande compréhension du texte, et nous voici emportés par une phrase aux aigus intenses dans un finale vif introduit pas un orchestre sonore avec cette technique d’archet qui permet toutes les audaces au violoniste. Du jetato au talon aux sons plus éthérés mais toujours soutenus, ou aux attaques sans brutalité dans les sonorités de l’orchestre, cette maîtrise donne une entière liberté à sa main gauche qui s’autorise glissandi et vélocité ; un archet qui semble être le prolongement de son bras. Superbe accompagnement de l’orchestre pour ce finale brillant empreint de lyrisme. Applaudissements, bravos, rappels pour le violoniste dont l’interprétation éblouissante a soulevé l’enthousiasme du public. Y-a-t-il plus romantique chez les compositeurs russes que Tchaïkovski ? En choisissant sa 5ème symphonie écrite en 1888, nous resterons dans ces sentiments exaltés, nostalgiques ou plus sombres. Comme d’autres compositeurs, Tchaïkovski introduit un groupe de notes qui revient en rythme dans chaque mouvement. Il croit au destin, la providence s’inscrit-elle ici ? Composée en 6 semaines cette composition rencontrera un vif succès mais pas auprès de la presse. On lui reprochera une structure austro-germanique; et pourtant, impossible de se tromper, chaque phrase nous plonge dans l’univers du compositeur. Tout dépend de l’interprétation, du chef d’orchestre. Les mouvements commencés en mineur se terminent en majeur, malgré les coups du destin Tchaïkovski garde en lui cette lumière d’espoir. C’est par la clarinette aux sonorités sombres que débute cette symphonie dans un piano presque lyrique, et toujours ces moments nostalgiques qui contrastent avec les rythmes forte des affirmations. Un compositeur tourmenté qui hésite constamment entre lyrisme et nostalgie. Après un superbe solo de cor sur un tapis sonore déployé par les basses du quatuor, les solistes de l’harmonie prennent la parole pour une montée en puissance avec les trompettes et les trombones sur un énorme roulement de timbales; expression de sentiments douloureux. Tension, piano délicat, exaltation, un deuxième mouvement qui se termine par des questions exprimées par la clarinette sensible. Sensible aussi la Valse qui se veut plus joyeuse, plus enjouée. Sommes-nous dans ces salons où les conversations bien qu’animées restent légères ? Précision des cordes dans un petit détaché incisif, mais phrase du hautbois ou de la clarinette jouées avec nostalgie. Peut-être un certain manque de profondeur dans l’exposé du dernier mouvement pour des sons posés qui laissent la place à une énorme montée en puissance dirigée avec vivacité et énergie dans un déferlement de sonorités dominées par les cuivres et les timbales. Si nous avons trouvé la direction un peu technique, manquant d’un certain lié entre les différentes atmosphères enlevant ainsi un peu de lyrisme au récit, Lionel Bringuier a réussi à mettre en valeur ce superbe orchestre aux qualités très remarquées. Réactions immédiates, ensemble parfait, sonorités généreuses et musicalité des solistes et de toute la formation orchestrale. Les émotions étaient au rendez-vous pour ce concert de musiques romantiques qui a transporté un public enthousiaste. Un superbe succès ! Photo Caroline Doutre