Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2022
Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale Jonathan Nott
Violon Renaud Capuçon
Edward Elgar: concerto pour violon et orchestre en si mineur op. 61, Igor Stravinsky: “Le Sacre du printemps”
Aix-en-Provence, le 14 avril 2022
Si certains concerts nous transportent dans des ambiances spirituelles, voire religieuses, le programme de ce soir va nous faire explorer des musiques d’une intensité plus vigoureuse. Le concerto pour violon et orchestre d’Eward Elgar, est créé à Londres le 10 novembre 1910 par son dédicataire Fritz Kreisler ; moins connu que son concerto pour violoncelle, il n’en reste pas moins un monument de la littérature pour violon. D’une durée de cinquante minutes, il est l’un des concertos les plus longs du répertoire. D’une grande intensité, il est même une épreuve physique pour le violoniste qui reste sous tension dans un engagement de chaque note ; le compositeur avouera dans une lettre “avoir écrit son âme en toutes lettres dans ce concerto”. Un concerto post romantique dans une écriture classique. Nous entrons de plein pied dans le vif du sujet avec une explosion orchestrale dirigée par la baguette énergique mais néanmoins souple de Jonathan Nott qui prend tout de suite la dimension des sonorités de cet orchestre somptueux. Renaud Capuçon nous livre ici une interprétation superbe, passant au-dessus des sons généreux de l’orchestre sans jamais forcer avec la seule intensité du vibrato qu’il maîtrise à l’envi. Cette œuvre autobiographique nous fait entrer dans l’intimité du compositeur qui nous laisse explorer la profondeur de son âme dans un flux mélodique, aux thèmes changeants, pour des ambiances passionnées ou plus orageuses. C’est avec une grande générosité de son que Renaud Capuçon nous dévoile toutes les possibilités de ce violon que l’on pourrait croire magique tant il passe avec facilité des phrases lyriques aux sons calmes qui font vibrer les notes sur la corde de sol. Violon de charme dans un moment de tendresse avec des reprises d’archet d’une grande souplesse. Justesse parfaite, mais aussi justesse d’expression pour des glissandi harmonieux. Aucune stridence dans l’aigu, mais chaleur des cordes graves. C’est avec beaucoup d’émotion que le violoniste se glisse dans la douceur de l’andante avec une musicalité à fleur d’archet. Jonathan Nott semble posséder son orchestre et faire partie de lui ; sans rien imposer il insuffle cette délicatesse au quatuor qui permet l’intériorité sonore d’un violoniste habité pour des phrases romantiques. Démanchés délicats, longueur d’archet sur un tapis sonore. Que demande un violon Guarnerius pour sonner ? Pas grand-chose peut-être, un archet à la corde, un vibrato intense coordonnés par un artiste inspiré. Eblouissant dernier mouvement dans un vivace qui fait ressortir toutes les possibilités d’un violon endiablé. Vélocité de main gauche, notes jouées harmoniques qui sonnent, petit détaché énergique, fougue, accords pleins qui projettent les sons, lyrisme. Quelques mesures de musique pure pour une cadence d’une justesse parfaite tout en délicatesse, mais éblouissement dans une énergie qui amène staccato volant et montée en double corde. Orchestre à l’écoute dirigé par un chef qui sculpte les sons. Cinquante minutes de folie musicale ! Ce n’est plus un succès, c’est un déferlement d’applaudissements pour ce violoniste magistral qui a su enchanter le public. Folie musicale encore avec Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky composé pour les Ballets russes de Serge Diaghilev ; il est le dernier ballet de la trilogie russe après L’Oiseau de feu et Petrouchka. Ce ballet, créé au Théâtre des Champs Elysées le 29 mai 1913 dans la chorégraphie de Vaslav Nijinski avec Pierre Montheux à la baguette donnera lieu à l’un des grands scandales de la musique classique. Et pourtant, il y a bien longtemps maintenant que cette musique est ovationnée sur toutes les scènes du monde. La version que nous en donne ce soir Jonathan Nott à la tête de son splendide orchestre est somptueuse. Impossible de transcrire ici toutes les couleurs, toutes les atmosphères, tant elles sont nombreuses et diverses, imaginées par un compositeur qui explore toutes les possibilités sonores de chaque instrument, en commençant par le périlleux solo de basson initialement écrit pour la clarinette. Les sons, certes, mais aussi les rythmes. Œuvre géniale s’il en est où chaque détail a son importance. Cette composition est un tableau sonore et nous allons de surprise en découverte avec toujours le même éblouissement. Nous vivons les dissonances, dues aux superpositions, comme de brefs éclats de lumière. La nature se réveille et le fait savoir. Dans ce grand rite sacral païen, l’adoration de la terre ira jusqu’au sacrifice dans des sonorités parfois étranges ou très puissantes pour une sorte de marches sonore scandée par la grosse caisse ou des archets furioso au talon. Rien ne peut plus arrêter la nature ! Eclats des trompettes sur des tenues des basses, cor anglais plaintif, mystère, précision, netteté. Timbales impressionnantes, stridence d’un piccolo pour une nature en pleine effervescence. Dans cette palette immense de couleurs, la nature s’affirme dans la lumière crue d’un soleil au zénith. Mais cette œuvre, considérée comme l’œuvre classique majeure du XXe siècle, n’est pas simplement faite de rythmes et de sons, il y a tout une imagerie extraordinaire, et c’est là que Jonathan Nott prend toute sa place. Chef habité qui, en plus de donner chaque départ aux instruments, donne aussi les impulsions, le souffle, les respirations, la musicalité contenue dans certaines phrases avec une précision, un respect de la partition et de chaque soliste à qui il donne la parole. Interprétation magistrale d’un chef qui sculpte les sons tout en menant son orchestre de baguette de maître. Superbe ! Une réussite, un triomphe avec des rappels à n’en plus finir. Crédit photo – Caroline Doutre